Les consommateurs ont, depuis longtemps, pris l’habitude, de se laisser guider par la marque. Ils s’asseyaient simplement sur le siège arrière et laissaient les marques les conduire dans leur parcours client. Chaque marque ayant son histoire, en choisissant l’une ou l’autre, le consommateur souscrivait en quelque sorte à celle-ci et la laissait ensuite s’exprimer à sa place. Un achat était déjà une sorte d’expression de l’ego : « on devient ce qu’on achète ».
Mais aujourd’hui, les consommateurs ont envie de prendre eux-mêmes le volant. Avec toutes les informations dont ils disposent aisément, et les exigences renforcées qui en découlent, ils souhaitent dorénavant dire aux marques où ils veulent se rendre, et par quel moyen. Bien sûr, ils sont toujours à la recherche de l’authenticité, de la technique et du design, mais ils souhaitent de plus en plus pouvoir partager cette expérience avec leur marque favorite.
Ce mouvement, de la focalisation sur le produit vers la focalisation sur l’expérience, constitue un défi considérable pour les marques de luxe. Les consommateurs recherchent bien plus qu’une qualité exceptionnelle : ils veulent aussi que celle-ci soit accompagnée d’une expérience à la hauteur, qu’elle soit en magasin ou en ligne. Le marketing expérientiel est devenu un enjeu stratégique majeur, y compris dans le luxe.
S’adresser à leur coeur - Faites leur plaisir !
Le monde a longtemps été expérimenté de façon superficielle. Voyager se résumait à collectionner un nombre faramineux de destinations dans un temps contraint pour accumuler les photos et affirmer avec conviction : « J’y étais ». Les voyageurs « de luxe » quant à eux avaient pris l’habitude de s’installer dans des hôtels 5-étoiles offrant un service et un confort aux standards occidentaux, peu importe l’endroit. Faire les magasins se résumait alors à visiter les mêmes boutiques des mêmes marques, que ce soit à Paris, à Londres ou à Shanghai.
En revanche, les « millennials » ont des habitudes et des souhaits radicalement différents, qui entraînent des changements majeurs dans l’industrie du tourisme et du retail. Ils recherchent avant tout l'authenticité, à savoir une expérience profonde du lieu, en dehors des sentiers battus et des parcours touristiques aseptisés. S’ils partent en weekend dans une capitale, ils vont plutôt dans un Airbnb pour être au plus proche de la vie locale, et veulent manger local, boire local, acheter local. Ils sont avant tout à la recherche de l’immersion et du dépaysement, et d’expériences profondes qu’ils ne sont pas prêts d’oublier.
Quelles implications pour l’industrie du Luxe ?
Le magasin DFS (filiale de distribution de LVMH) de Venise nous offre un exemple intéressant du rôle du marketing expérientiel dans la façon de faire naître des émotions. Le Fondaco dei Tedeschi, l’un des plus grands bâtiments de Venise, a été restauré et revitalisé par Jamie Fobert en prenant en compte l’héritage architectural du lieu et en y intégrant quelques touches de modernité. Un étage entier a été consacré à des expositions et des événements ouverts au public, créant ainsi un nouveau hub de culture pour les touristes et les vénitiens. On ne s’y rend pas simplement pour acheter un produit, on y va pour réellement vivre une expérience.
L'art parle aux observateurs sur le plan émotionnel. Des études ont pu montrer que s’exposer à l’art était un facteur majeur de réduction du stress, et il permet par ailleurs de constamment aiguiser la curiosité, car le consommateur veut apprendre et comprendre le processus de création qui sous-tend ce qu’il achète.
Certaines marques ont ouvert des musées, comme la Fondation Louis Vuitton à Paris qui fait de l’art une partie intégrante du storytelling de la marque Louis Vuitton. Le PDG de LVMH, Bernard Arnault, explique qu’ils ont voulu créer à Paris un “espace extraordinaire pour l’art et la culture”. L’exposition Christian Dior au Musée des arts décoratifs est aussi un exemple remarquable de l’art prenant une place centrale dans le storytelling de la marque. Cette exposition permet de contribuer à la légitimation du fondateur en tant qu’artiste, et renforce l’idée que l’art et la mode sont inévitablement liés.
S’adresser à leur esprit - Divertissez les !
Le storytelling est un des meilleurs moyens pourfaire naître de l’intérêt chez les consommateurs. Le consommateur d’aujourd’hui a envie de connaître l’histoire de chaque marque, son processus de création, ses inspirations artistiques. Il souhaite être stimulé intellectuellement sur cette marque, que ce soit en magasin ou en ligne. Ce souhait, de plus en plus important, se traduit en quelque sorte par une « folie du contenu ». Le contenu est capital, mais il doit aussi être crédible, authentique et unique.
Le storytelling visuel est particulièrement efficace. Les images font office de raccourcis pour le cerveau : elles sont assimilées par le cerveau humain 60 000 fois plus rapidement que les mots, et sont mémorisées avec beaucoup plus d’aisance. Les vidéos peuvent se révéler encore plus percutantes : on passe 5 fois plus de temps à regarder des vidéos que des images statiques. Des études ont pu montrer que la vidéo permettait une meilleure mémorisation de l’identité de la marque par rapport à une simple photo. Même les vidéos très courtes, comme celles réalisées par l’application Boomerang peuvent être particulièrement redoutables. Le storytelling, qu’il passe par des anecdotes, des images d’Histoire, ou des courtes vidéos, permet d'amener le consommateur en voyage, même si celui-ci ne dure que quelques secondes.
L’expérience immersive peut aussi être créée au sein même des magasins physiques. Christian Dior, par exemple, a pu utiliser des casques de réalité virtuelle pour offrir à leur client une expérience des coulisses (et au premier rang!) de leurs derniers défilés et de leurs nouvelles créations. Suivant le même niveau d’exigences que dans ses ateliers, Dior a mis en place les “Dior Eyes”, casque de réalité virtuelle haut de gamme utilisant les toutes dernières technologies. Offrant une image et un son haute-définition, il permet d’explorer l’univers de la Maison et ses coulisses en se déplaçant dans cet espace virtuel grâce à une vue à 360°.
S’adresser à leurs sens - Faites leur vivre une immersion !
Enfin, faire naître l’intérêt chez les consommateurs de produits de luxe relève aussi de la stimulation des cinq sens. Lorsqu’ils sont en processus d’achat, les consommateurs doivent bien évidemment être invités à prendre connaissance sensoriellement du produit, que ce soit par la texture d’un tissu, l’odeur d’un parfum ou le bruit d’un fermoir. Dans le cas d’un parfum, la fragrance fait presque appel au subconscient, par la réponse quasi automatique que procure notre cerveau. Un pschitt de Chanel #5 nous permet en un instant d’apprécier l’identité de Chanel, et l’effet est exponentiel lorsqu’il est associé à un logo ou un produit phare de la marque, tel qu’un sac à main matelassé.
Des marques comme Johnnie Walker (Diageo) utilisent ce phénomène d’association à leur avantage. Le « Sensorium » de Johnnie Walker met en immersion les clients au sein d’une expérience sensorielle, à la découverte de ses trois arômes de whiskey. Par exemple, à mesure qu’ils avancent dans l’espace, une salle rouge, des formes courbés et des cloches qui sonnent met en valeur les arômes de baies rouges du whiskey « red label ». Le Sensorium, d’abord élaboré dans le cadre d’une expérimentation à l’Université d’Oxford, fait maintenant partie intégrante de la stratégie marketing de l’entreprise. Selon le Professeur Charles Spence, Directeur de la recherche “Crossmodal” au sein du département de psychologie expérimentale de l’Université d’Oxford, “les résultats montrent que les environnements multisensoriels affectent les vapeurs, les arômes et l’arrière-goût du whiskey, malgré le fait que tous les participants étaient bien conscients de boire la même chose tout au long de l’expérience. En outre, les résultats indiquent que notre ressenti sur l’environnement dans lequel nous goûtons le whiskey a un impact sur notre appréciation du whiskey en lui-même”.
Cette façon de faire du marketing sensoriel devrait pouvoir prendre sa place dans une expérience omnicanal : les clients devraient pouvoir expérimenter l’identité de la marque aussi bien dans les magasins physiques, en ligne, sur une application, dans un catalogue ou encore sur les réseaux sociaux. Le magasin Sephora Flash de la rue de Rivoli à Paris offre par exemple un accès simple et illimité à l’ensemble du catalogue numérique, et le client peut ainsi se faire livrer des produits indisponibles au magasin ou à son domicile. Chaque élément de l’expérience client doit être cohérent, complémentaire et rationalisé.
Aujourd’hui, de nombreux aspects de l’expérience d’achat (en ligne et hors ligne) ont été expérimentés, optimisés et systématisés. Il s’agit alors pour les boutiques de luxe de pouvoir ramener de la spontanéité dans l’équation de vente, en encourageant ses consommateurs à découvrir et à explorer plus librement l’univers de la marque par l’expérience.