Tizen de Samsung serait-il un véritable concurrent ?

Tizen de Samsung serait-il un véritable concurrent ?

En tant que fabricants d'appareils mobiles des plus médiatisés, Apple et Samsung sont les leaders incontestés de l'industrie des smartphones : les nouvelles versions d'iPhone et Galaxy sont toujours très attendues et font presque systématiquement l'objet de nombreux éloges médiatiques. Pourtant, alors que les appareils Apple fonctionnent exclusivement avec leur propre système d'exploitation (iOS), Samsung propose des smartphones avec des systèmes différents - la plupart de ses clients choisissant Google Android.

Cette situation pourrait changer très prochainement. En effet, lors d'une interview le 15 mars dernier, le PDG de Samsung, Lee Kun-Hee, a annoncé son intention de sortir dès le mois d'août, un smartphone utilisant le nouveau système d'exploitation Samsung - Tizen.

On pourrait imaginer que cette démarche soit tout à fait logique pour une entreprise aussi influante que Samsung. En effet, cela pourrait être l'opportunité de se libérer de sa dépendance à Google. Mais le succès ou non de cette démarche dépendra beaucoup du marché visé par Samsung. Pour le moment, Samsung n'a pas encore été claire sur ce sujet. Si la nouvelle plateforme représente simplement une évolution de son système d'exploitation pré-existant, Bada, et reste concentrée sur ce même marché entrée-de-gamme, Tizen pourrait être en mesure de se créer une niche en offrant un système d'exploitation de base, mais néanmoins performant. Cela dit, les propos de Lee Kun-Hee semblent suggérer que Tizen sera destiné à un marché haut-de-gamme, ce qui le mettrait en concurrence directe avec Android. S'imposer dans un marché déjà saturé n'est pas une simple affaire.

En effet, actuellement quatre principaux systèmes d'exploitation coexistent déjà. Google Android et Apple iOS dominent nettement et représentent ensemble plus de 90% du marché des smartphones dans le monde, alors que Windows et Blackberry sont en pleine lutte pour maintenir leurs positions de troisième et quatrième place, loin derrière leurs deux rivaux. iOS et Android dominent le marché en partie grâce à la force de leurs écosystèmes respectifs - c'est-à-dire la mesure dans laquelle leurs appareils fonctionnent bien entre eux - mais également grâce l'ensemble des applications et des contenus qui sont à la disposition de leurs utilisateurs.

Des applications toutes-puissantes

Il y eu un temps durant lequel les clients de téléphonie mobile avaient très peu d'attentes en termes de fonctionnalités. Ils étaient satisfaits par ce qu'aujourd'hui on considérerait comme des applications de base. A l'époque où la première génération d'iPhone fut commercialisée, les utilisateurs attendaient de pouvoir passer des appels téléphoniques et d'envoyer des messages, voire pour les utilisateurs les plus avancés d'ajouter des événements à leur calendrier, de parcourir des pages Web, et enfin d'écouter de la musique.

Aujourd'hui, les utilisateurs s'attendent à beaucoup plus. Les applications sont devenues essentielles à la survie des systèmes d'exploitation. En effet, le nombre d'applications disponibles reflètent la santé d'un système d'exploitation, sa capacité à générer du revenu et sa pénétration dans le marché : Android et iOS ont chacun plus de 700 000 applications alors que Windows Phone en détient seulement 120 000, ce qui met en lumière les difficultés actuelles de Microsoft sur ce marché.

Il y a trois ans, Android ne détenait que 9 000 applications en comparaison avec son compétiteur iOS qui en détenait 100 000. Et pourtant ils ont réussi à rattraper Apple en l'espace de quelques mois. Cela dit, il y avait encore un peu d'espace sur le marché pour un écosystème supplémentaire.

La situation aujourd'hui est très différente. La compétition a déjà bien avancé. Même une entreprise aussi puissante que Samsung aurait du mal à créer une offre d'applications qui pourrait rapidement rivaliser avec l'App Store de Apple et le Google Play de Android. Les taux de croissance du nombre d'applications à la fois pour l'iOS et Android commencent déjà à se stabiliser. Le marché est beaucoup plus saturé et il sera probablement très difficile pour Samsung d'être en mesure de connaître le même type de croissance que ses deux rivaux ont connu par le passé.
D'autre part, les coûts et les difficultés de la migration d'une plateforme à une autre font que les clients sont plus ou moins prisonniers d'un écosystème : autrement dit, une fois qu'un client dispose d'un appareil type smartphone et/ou tablette, d'un ensemble d'applications et des contenus associés tels que des fichiers de musique et vidéo (protégés), il est plus difficile pour ce client de quitter un écosystème pour un autre. Même si Samsung propose une offre très attractive et forge des partenariats avec des entreprises afin de créer un écosystème abondant d'applications, il ne sera pas nécessairement facile de séduire les clients.

Le paradoxe de la poule et de l'œuf                             

En économie, ce paradoxe de la poule et de l'œuf est bien connu quand il s'agit de lancer ce que nous appelons une plateforme multi-faces qui visent à faciliter les interactions entre différents groupes distincts d'utilisateurs. C'est le dilemme auquel Samsung doit maintenant faire face avec Tizen. En effet, s'ils ne parviennent pas à attirer suffisamment de clients et de développeurs simultanément pour soutenir et faire vivre l'écosystème durant une période de temps courte, la plate-forme mourra.

En d'autres termes, les clients ne voudront pas passer à une plate-forme qui n'a pas les applications qu'ils souhaitent, et, en même temps, les développeurs ne vont pas développer des applications pour une plate-forme qui n'a pas assez de clients, donc de potentiel de revenu. L'exemple de Palm Inc. illustre bien cette problématique : après seulement quatre ans, le WebOS de Palm Inc. n'avaient que 10 000 applications et la plate-forme a été abandonnée car elle n'arrivait pas à attirer suffisamment de participants (clients et développeurs).

Microsoft se trouve actuellement dans une situation similaire. Afin de s'assurer que les sociétés principales développent des applications pour sa plate-forme, Microsoft est actuellement obligée de parrainer des développeurs et les paye entre $ 60 000 et $ 600 000 pour chaque application. Même si certaines applications populaires sont toujours manquantes, Microsoft détient aujourd'hui quelques 120 000 applications.

La situation de Microsoft dans l'industrie du mobile illustre parfaitement la situation qui attend très certainement Samsung. D'ailleurs, il sera d'autant plus difficile de réussir car Samsung ne dispose pas d'un aussi vaste écosystème que Windows, qui aujourd'hui encore, domine largement le marché des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels. De plus, même si Microsoft subventionne fortement le développement d'applications, ses parts de marché ne représentent qu'environ 10% du marché mobile. Windows Phone ne peut tout simplement pas rivaliser avec les géants Android et iOS qui n'ont aucune difficulté à prouver aux développeurs que leurs applications seront vues et téléchargées. Se poser alors la question de savoir pourquoi un développeur créerait-il une application pour une plateforme qu'il ne croit ni viable, ni rentable? Et si Microsoft continue de se battre, que fera Tizen de vraiment différent? C'est ce qui reste à voir.

En août de cette année, Samsung doit réaliser une transition très délicate. Si la transition vers Tizen est trop brutale, leur part de marché pourrait être impactée de manière négative puisqu'un grand nombre de clients pourrait décider de rester avec Android qui est bien implanté et avec lequel ils ont leurs habitudes.

Pour que Samsung Tizen OS vive, Samsung devra apporter une vraie valeur ajoutée tout à fait nouvelle aux consommateurs qui pourraient de manière temporaire accepter un compromis sur le faible nombre d'applications disponibles lors du lancement. Le problème c'est que Tizen ne semble pas vouloir se différencier des plates-formes mobiles existantes. Au sein de ce marché saturé, Samsung aura seulement une période de temps limitée pendant laquelle elle pourra construire un écosystème et attirer les clients et les développeurs. Quelle que soit la force de la marque Samsung aujourd'hui, sans cette masse critique, Tizen serait voué à l'échec.

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