A l’occasion de l’inauguration des musées Yves Saint Laurent à Paris et à Marrakech, ESSEC Knowledge a réalisé un LIVE avec le Professeur Delphine Dion, qui nous éclaire sur la stratégie de la marque Saint Laurent Paris.
C’est sur l’avenue Marceau à Paris, ainsi qu’à Marrakech, sur la bien-nommée rue Yves Saint Laurent, que la marque Saint Laurent Paris a récemment ouvert au grand public deux des anciennes résidences du créateur. Ces deux musées sont dédiés aux créations d’Yves Saint Laurent, et plongent les visiteurs au cœur de son espace de travail, de ses croquis et de ses inspirations.
Saint Laurent Paris n’est pas la première marque à dédier un musée à son créateur, et ne sera pas la dernière. Delphine Dion, Professeure de Marketing à l’ESSEC Business School et experte de l’industrie du luxe, explique que cette tendance va s’accentuer dans les prochaines années, et ce pour deux raisons principales.
La mode en tant qu’art
“La mode est actuellement en train d’essayer de se légitimer en tant qu’art majeur” explique-t-elle, “et pour prétendre au même titre que la peinture ou la sculpture, il faut avoir sa place dans un musée. En étudiant la sémantique, on arrive au constat intéressant que le mot couturier a disparu du monde de la mode. Les différentes maisons n’utilisent plus le terme “grand couturier” mais privilégient le titre de directeur artistique.”
“C’est emblématique car le directeur artistique revêt alors le statut d’artiste, et l’artiste c’est celui qui crée, qui invente, qui casse les codes. La mode repose sur la capacité à créer de nouveaux codes esthétiques, puis à les imposer sur le marché.”
L’homme et le mythe
La Professeure Dion explique par ailleurs que cette stratégie s’inscrit dans une stratégie plus large de construction du mythe, propre aux marques de luxe. “Si on regarde les grandes marques dans l’univers de la mode et du luxe en ce moment, à savoir Dior, Chanel ou Saint Laurent, elles sont toutes des marques humaines, des marques dont l’identité est créée autour d’une personnalité.”
En l'occurrence, “Saint Laurent Paris est une marque humaine créée autour de la personnalité de Yves Saint Laurent. Cela veut donc dire que le directeur artistique actuel, Anthony Vaccarello, n’est finalement que le messager, le porte-parole d’Yves Saint Laurent. Sa mission est de réinterpréter le style et l’esprit Yves Saint Laurent.”
En ce sens, les musées Yves Saint Laurent ont un rôle particulièrement important, car ils sont situés dans les lieux au cœur de la vie du créateur. Paris et Marrakech sont deux villes qui ont joué un rôle majeur dans sa vie, que ce soit sur le plan créatif ou sur le plan personnel.
Mais si la personnalité du créateur est si importante, pourquoi avoir délesté la marque Saint Laurent Paris du prénom du fondateur? Bien que cette question ait fait couler beaucoup d’encre, le Professeur Dion considère que ce changement n’a pas modifié l’identité de la marque. “Dior ne s’appelle pas Christian Dior, et Chanel ne s’appelle pas Gabrielle ou Coco Chanel. C’est une façon de distinguer le fondateur et la marque. La marque Saint Laurent est une enveloppe symbolique crée autour de la personnalité de Yves Saint Laurent. Cette enveloppe symbolique est ensuite incarnée par une succession de créateurs.”
Du musée de la mode à la mode des musées
A l’avenir, les marques vont être de plus en plus amenées à développer ce type de musées. Des projets autour de Coco Chanel seraient en cours, la marque ayant racheté il y a deux ans la maison dans laquelle la créatrice passait ses vacances sur la Côte d’Azur. Le Professeur Dion ajoute que, d’un point de vue marketing de la marque humaine, celles-ci ont intérêt à développer le mythe autour de la personnalité de leur créateur, car c’est ce qui leur permet de forger une identité forte.
La mode dans les musées bénéficie autant à la mode qu’aux musées, grâce au nouveau public qu’elle apporte en leurs murs. “Les expositions consacrées aux marques ou aux créateurs connaissaient énormément de succès ces dernières années” explique-t-elle, en prenant notamment l’exemple de l’exposition Jean-Paul Gaultier qui n’a pas désemplit. “Pour les musées, il s’agit d’un moteur considérable, car cela permet de faire venir le public dans les musées. Il s’agit parfois d’un nouveau public, plus jeune, et pas forcément très familier avec l’univers des musées et de l’art. C’est alors une façon de faire tomber les barrières et de rendre cet univers moins intimidant.” L’attrait du grand public pour ces expositions permet alors d’aider les musées en apportant des rentrées financières qui permettent d’organiser des expositions plus pointues ou d’acheter de nouvelles œuvres.
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