Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief
Comment mesure-t-on la valeur créée et distribuée par les entreprises ?
Le Value Footprint (empreinte de valeur) est un modèle de reporting social basé sur la notion de la valeur ajoutée. C’est un modèle assez utilisé en Amérique latine. Adrian Zicari, professeur à l’ESSEC, et Luis Perera Aldama expliquent l’origine du Value Footprint dans leur récent article, en utilisant un compte rendu auto-ethnographique de son développement.
Qu’est-ce que l’auto-ethnographie ?
Il s’agit d’une nouvelle approche de recherche qualitative dans laquelle une personne utilise son expérience personnelle et son autoréflexion. Cette approche offre une vision plus riche que ne le ferait une approche purement quantitative. Il s’agit d’une méthodologie encore naissante dans les sciences sociales, et elle a à peine été utilisée en comptabilité, les auteurs ne mentionnent qu’un seul autre article (Malsch et Tessier, 2015). Le professeur Zicari y voit une opportunité pour un type de recherche différent, qui pourrait répondre à « l’appel à la passion » de la comptabilité sociale (Correa et Laine, 2013). L’utilisation d’une perspective à la première personne insuffle de l’émotion à la recherche et rend la lecture plus intéressante. Alors que certains affirment que cela peut donner lieu à une recherche subjective, le professeur Zicari soutient que cela peut donner lieu à des conversations plus profondes.
Dans ce cas, le professeur Zicari a utilisé cette approche pour interviewer Perera Aldama afin de comprendre comment ses expériences lui ont amené à développer le modèle Value Footprint. Il a combiné l’échange avec les interviews avec les autres acteurs et d'autres documents pertinents. Un avantage de l’approche est qu’elle offre des informations uniques sur un phénomène, ici l’histoire de comment le modèle Value Footprint a vu le jour.
Qu’est-ce que c’est le modèle Value Footprint ?
Perera Aldama s’est intéressé aux questions sociales et environnementales au cours de sa carrière d’auditeur dans différents pays d’Amérique du Sud. Il a fini par faire le lien avec la pratique professionnelle et a impliqué son entreprise, BigOne (un grand cabinet d’audit), dans une initiative de RSE. Il est ensuite devenu responsable des services de conseil en matière de durabilité chez BigOne Chili et a développé le modèle Value Footprint : un moyen de mesurer la valeur qu’une entreprise crée et partage. Un état de la valeur ajoutée va au-delà d’un état financier standard sur ce dernier point : il offre une explication sur la manière dont la valeur est créée et distribuée parmi des parties prenantes. Son objectif est d’expliquer les chiffres financiers d’une entreprise et de montrer les résultats d’une stratégie de durabilité. En plus, le document comprend également des informations non financières, ce qui permet de dresser un portrait plus clair de l’entreprise, avec un format “user friendly” pour ses lecteurs.
Au cours du processus, Perera Aldama a travaillé avec des partenaires pluridisciplinaires, ce qui lui a aidé à élaborer le conseil en matière de durabilité et à développer le modèle Value Footprint. Ce modèle est plus ciblé que d’autres outils de reporting social tels que le Global Reporting Initiative, car il se concentre sur la valeur créée par l’entreprise et la valeur distribuée par l’entreprise (employés, gouvernement, actionnaires, communauté, réinvestissement dans l’entreprise). Par exemple, en ce qui concerne les indicateurs relatifs aux employés, l’approche Value Footprint tient compte de leurs caractéristiques démographiques et de leur revenu annuel moyen ; en ce qui concerne le gouvernement, des impôts payés ; pour la communauté, de l’investissement dans des projets d’intérêt social et environnemental et des heures consacrées au bénévolat ; et pour le financement, du coût moyen du financement externe, de la rentabilité moyenne des liquidités et des délais de recouvrement et de paiement.
Dans ce modèle, les entreprises doivent également divulguer leurs politiques sur les sujets suivants :
– la gouvernance d’entreprise
– le code d’éthique
– la sécurité, la santé et le travail
– l’environnement
– le développement communautaire
– le marketing responsable et protection des consommateurs
– le dialogue social
– l’investissement social
– les dons, le bénévolat et la philanthropie
– l’éducation
Perera Aldama note également les avantages et les inconvénients de développer une initiative de RSE à partir d’une organisation à but lucratif (BigOne Chile). Les objectifs de rentabilité sont une contrainte, car le conseil en durabilité n’est pas nécessairement une priorité. D’un autre côté, le réseau mondial et les connexions de l’entreprise ont permis d’accéder à une large base de clients internationaux. Cela a permis de créer un modèle de rapport social ancré dans la comptabilité conventionnelle, mais construit avec l’aide de professionnels multidisciplinaires.
Leçons apprises et orientations futures
Que pouvons-nous apprendre du modèle Value Footprint et de l’utilisation d’une approche auto-ethnographique ?
– Cette histoire peut inspirer ceux qui cherchent à développer des modèles de rapports sociaux en Amérique latine, et peut-être dans d’autres régions du monde.
– La profession comptable est encore en train de trouver ses marques dans le domaine de la RSE, mais elle a beaucoup à offrir. La généralisation des rapports de valeur ajoutée, comme dans l’approche Value Footprint, contribuerait à consolider le rôle de la profession comptable dans la RSE.
– L’ouverture aux nouvelles méthodes de recherche peut offrir un aperçu et des perspectives uniques, en particulier lorsqu’on utilise une approche qualitative dans un domaine dominé par les méthodes quantitatives.
– Les professionnels de la comptabilité, et en fait les chercheurs en général, peuvent se tourner vers l’auto-ethnographie comme moyen d’insuffler de la passion à leur recherche, présentant ainsi « l’histoire », qui n’est généralement pas racontée.
Pour en lire plus :
Zicari, A., & Perera-Aldama, L. (2020). Building from Scratch: An Auto-ethnographic Approach for the Development of a Social Reporting Model. Social and Environmental Accountability Journal, 40(2), 101-115.