Quels sont les facteurs qui entrent en jeu dans la valeur marchande d’un hôtel ? Nicolas Graf, professeur associé en management à l’ESSEC, et Inès Blal, professeur assistant à l’École Hôtelière de Lausanne, analysent les résultats de plus de 10 000 transactions pour comprendre comment la valeur est créée pour les hôtels de luxe, les hôtels moyenne gamme et les hôtels économiques.
La théorie des coûts de transaction nous apprend que plus un actif est adaptable, plus il peut atteindre un prix élevé. Si quelqu’un achète un actif qui a été développé pour un besoin particulier, il doit ensuite l’adapter pour le nouvel usage qu’il veut en faire, quel qu’il soit. Comme cela induit des coûts, la personne est moins portée à payer cher pour cet actif. Mais si l’actif est du « prêt à porter », et n’a pas besoin d’être retaillé pour les besoins de son acquéreur, celui-ci sera satisfait d’avoir payé plus cher pour l’acquérir.
Dans leur étude intitulée « The discount effect of non-normative physical characteristics on the price of lodging properties », le professeur Nicolas Graf et Inès Blal, de l’École Hôtelière de Lausanne, ont cherché à vérifier cette théorie en l’appliquant aux bâtiments hôteliers. Au cours des trente dernières années, les hôtels (ou « biens immobiliers en multipropriété ») sont devenus des biens immobiliers majeurs, avec les magasins, les bureaux et les propriétés résidentielles et industrielles. En 2007, le marché des biens immobiliers hôteliers avait déjà atteint 122 milliards de valeur de transactions, et il s’est bien relevé du crash financier mondial.
Les raisons d’une telle augmentation sont diverses : le fait que les autres investissements ont de mauvais rendements ; que les investisseurs immobiliers sont plus raffinés et plus nombreux ; posséder leurs propres bâtiments n’intéresse que peu les grands groupes hôteliers. Comme la gestion des hôtels se sépare de la possession des « briques et du mortier », les investisseurs cherchent à standardiser les caractéristiques clés des hôtels, ce qui leur permet de les évaluer et de les vendre de manière simple et transparente.
Nicolas Graf et Inès Blal ont analysé plus 10 000 transactions et ont utilisé deux types de modélisation statistiques afin de mesurer la déviance par rapport à la norme ; ils se sont concentrés sur les caractéristique physiques des hôtels et en particulier sur le nombre de chambres, le nombre de points de restauration et l’espace de réunion disponible en mètres carrés. Trois hypothèses ont été développées et vérifiées, visant à expliquer le lien entre les spécificités des actifs corporels et les valorisations de l’immobilier hôtelier.
Plus les caractéristiques physiques d’un hôtel dévient de la norme, plus le prix de vente est réduit
Graf et Blal affirment que des normes ou un standard concernant les caractéristiques sont apparues. Des propriétés ayant des spécifications proches de cette norme se vendent et s’achètent facilement, car elles peuvent plus facilement changer d’affiliation et être réutilisées par une autre chaîne d’hôtels. Dans le langage de l’économie, ce sont des actifs peu spécifiques et liquides. À l’inverse, les propriétés plus atypiques avec des caractéristiques s’éloignant de la norme sont moins demandées, ce qui rallonge le temps de la vente et baisse leur prix. Les actifs de ce genre sont dits illiquides, avec une grande spécificité.
Néanmoins, la liquidité est une notion qui n’est pas mesurable directement et il faut choisir un moyen détourné qui la reflète. Dans cette étude, les chercheurs ont choisi les rabais sur les prix et les ont reflétés dans la spécificité des actifs, lesquels peuvent avoir plusieurs dimensions comme la localisation, les caractéristiques physiques, le capital de la marque et le temps. L’étude a porté sur les caractéristiques physiques, car ce sont elles qui ont le plus d’importance lors de la vente d’un hôtel –et elles ont aussi une influence directe sur sa valeur marchande.
Cette première hypothèse a été totalement étayée par les résultats : plus un hôtel s’éloignait de la norme (que ce soit pour le nombre de chambres, de points de restauration ou la surface des espaces de réunion), plus leur prix est baissé sur le marché.
Il est intéressant que cette règle s’applique dans les deux sens. Le prix sera baissé si l’hôtel comporte trop de chambres, ou au contraire trop peu, par rapport à la norme. Cela vaut aussi pour les espaces de restauration et de réunion. En d’autres termes, il est possible qu’un hôtel soit « trop bien » ou « trop différent » par rapport à sa norme.
Les caractéristiques physiques qui font la spécificité d’un hôtel varient selon son segment d’activité
Comme les hôtels sont très différents en termes de niveau de service (de base ou luxueux) et de profil des clients (vacanciers ou hommes d’affaires) et que les liquidités ne peuvent servir à mesurer que quand il s’agit d’un seul type d’actif, Graf et Blal ont émis l’hypothèse que les spécificités de actifs d’un hôtel varient selon le segment d’activité. En d’autres termes, selon le type d’hôtels, les caractéristiques physiques seront plus ou moins importantes pour un acheteur.
En revanche, les résultats n’ont qu’étayé partiellement cette hypothèse : la plupart des variables ne sont pas toutes significatives de la même manière selon le segment de l’activité hôtelière. Néanmoins, le nombre de chambres est un facteur constant : il est toujours significatif, quelque soit le type d’hôtel.
Il y a plus de facteurs qui influent sur la norme dans le haut de gamme que dans le bas de gamme
Afin de refléter les segments de l’hôtellerie, Graf et Blal ont développé quatre catégories basées sur les standards américains : luxueux, haut de gamme, moyenne gamme et économique. Ces catégories reflétaient le niveau d’investissement dans les caractéristiques physiques de l’hôtel, de la plus élevée à la plus basse. Cette analyse permet de dire aux chercheurs que plus il y a eu d’investissements pour développer les propriétés d’un segment, plus les caractéristiques physiques sont importantes pour déterminer la norme de ce segment.
Si les résultats de l’étude n’ont pas confirmé cette hypothèse, ceux-ci sont néanmoins intéressants. En effet, les données ont montré que le segment du haut de gamme (le deuxième plus haut) utilisait une norme basée sur les trois caractéristiques physiques de choix. La norme du segment de moyenne gamme, au contraire, ne porte que sur les espaces de réunion –et comme la norme est de ne pas avoir d’espace de réunion du tout, les hôtels qui en comportent voient leur prix baisser.
À la fois dans le segment du luxe et dans le segment économique, le nombre de chambres est une mesure significative, mais pour des raisons différentes. Dans le segment du luxe, cela est dû au fait que les caractéristiques sont plutôt celles d’hôtels « exceptionnels » avec des traits uniques, ce qui minimise l’importance de la conformité à la norme. Dans le segment économique, cela est simplement dû au fait que les hôtels doivent se conformer à des normes minimales plutôt qu’à un type idéal.
Cette étude permet de confirmer le lien entre la spécificité des actifs et le prix comme reflet de la liquidité ; les études précédentes avaient déjà émis cette hypothèse, sans la tester par contre. Surtout, elle incite les chercheurs à se demander pourquoi les normes sont moins importantes dans l’évaluation pécuniaire des hôtels luxueux et des hôtels économiques, à l’inverse de ceux qui sont « coincés au milieu ». Au point de vue pratique, cette étude peut également aider les investisseurs à évaluer si cela vaut la peine de payer un extra pour un hôtel ; elle peut aussi aider les opérateurs à savoir si investir dans les caractéristiques physiques d’un hôtel fera monter ou baisser sa valeur marchande.
“The discount effect of non-normative physical characteristics on the price of lodging properties”, paru dans The International Journal of Hospitality Management.