La notation extra-financière: Une technique financière mise au service de la transition et de la RSE

La notation extra-financière: Une technique financière mise au service de la transition et de la RSE

La notation extra-financière (ou « notation ESG » pour Environnement, Social et Gouvernance) illustre la manière dont une technique conçue initialement pour la finance traditionnelle peut être mise au service de la transition et d’une amélioration du comportement des entreprises sur des aspects qui relèvent de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

La notation, c’est-à-dire l’évaluation et l’attribution d’une indication synthétique (note, label, catégorisation, etc.) par un organisme extérieur à l’entité évaluée, est une technique qui s’est imposée en matière d’analyse du risque de défaut d’un débiteur (ou « risque crédit »). Concrètement, les entreprises, institutions financières et collectivités publiques qui désirent se financer par l’émission de titres obligataires, doivent préalablement faire évaluer les titres et l’émetteur par des agences de notation de crédit, pour que les investisseurs sachent à quel risque ils s’exposent en souscrivant ces titres. La logique de cette notation est à l’origine strictement financière.

Étant donné l’importance de l’endettement (des entreprises, mais aussi des États et des collectivités territoriales) dans l’économie contemporaine, le rôle des agences de notation de crédit est dans le débat public. Il n’est pas nécessaire d’être un expert de la finance pour savoir que la perte d’un « triple A » ou la qualification de titre « spéculatif » donnée à des obligations d’État peut avoir des conséquences majeures sur la politique économique d’un pays.

Deux conceptions de la notation extra-financière

La notation extra-financière s’est développée sous l’effet de deux préoccupations distinctes.

Certains investisseurs ont pris conscience que la rentabilité d’une entreprise (la rentabilité à long terme suppose au minimum la pérennité de l’entreprise), reposait non seulement sur des facteurs financiers (profitabilité, endettement soutenable, trésorerie suffisante, etc.), mais aussi sur des facteurs non financiers comme la capacité à attirer et à retenir des collaborateurs, la qualité du management et l’effectivité du contrôle exercé sur la gestion ou encore la politique de gestion des risques, y compris sociaux et climatiques. Aussi, ces investisseurs veulent-ils être sûrs non seulement que l’entreprise peut gagner de l’argent, mais aussi qu’elle est capable de le faire sans que ses pratiques sociales, son impact sur son environnement et sa gouvernance ne hypothèquent son développement.

Il existe par ailleurs des investisseurs (investissement socialement responsable (ISR) notamment) et des groupes d’intérêts qui se préoccupent quant à eux principalement de l’impact de l’entreprise sur son environnement naturel, humain et/ou institutionnel. Ils souhaitent des entreprises exemplaires dans lesquelles il est possible d’investir en contribuant positivement à diverses causes (promotion des femmes ou des minorités, bien-être animal, promotion des énergies renouvelables, etc.). Inversement, la stigmatisation de piètres performances en matière environnementale, sociale ou sociétale tend à obliger les entreprises ainsi montrées du doigt à changer de stratégies et de pratiques.

Ces deux justifications de la notation extra-financière coexistent aujourd’hui et peuvent se traduire par des pratiques et des méthodes différentes en matière de notation. On peut ainsi distinguer une notation extra-financière qui s’intègre dans une conception élargie de la notation financière et une notation extra-financière qui poursuit un objectif lui-même extra-financier.

La dynamique vertueuse fondée sur la notation extra-financière

Dans l’ambiance actuelle, les entreprises perçoivent bien l’intérêt de se présenter comme des acteurs vertueux, ne serait-ce que pour éviter des mises en cause dans les médias ou devant les tribunaux, qui leur sont préjudiciables en termes d’image.

En outre, les pouvoirs publics sont aussi soucieux de promouvoir de bons comportements de la part des entreprises à travers des mesures plus incitatives que coercitives. Au-delà de la réglementation traditionnelle, l’État cherche de plus en plus à influencer les comportements par l’information et la transparence. Les entreprises sont obligées de rendre publiques leurs pratiques ou leurs performances extra-financières, en publiant par exemple des données sur leur politique sociale, sur leur consommation d’énergie, sur leur production de déchets, qui complètent les données comptables et financières.

Dès lors que les parties prenantes des entreprises sont convenablement informées de la réalité d’une entreprise dans toutes ses dimensions, elles peuvent prendre des décisions en prenant en compte la situation de l’entreprise à l’aune de tels ou tels critères qu’elles jugent pertinents : les actionnaires investiront ou pas dans cette entreprise, les bourses décideront ou pas de faire figurer cette entreprise dans tel ou tel indice, les partenaires décideront ou pas de contracter avec elle, les clients pourront décider de consommer ou pas ses biens ou ses services, les employés ou les dirigeants décideront ou pas d’aller de travailler pour cette entreprise... Encore faut-il que tous ces acteurs susceptibles de « voter avec leurs pieds », à la lumière des notes obtenues par les entreprises, et ainsi de faire pression sur elles, aient bien le choix, ce qui est loin d’être toujours le cas.

Les conditions d’une notation extra-financière crédible et utile

Pour que cette dynamique vertueuse produise les effets attendus, il faut aussi que les informations sur la situation et les performances extra-financières des entreprises soient fiables et exploitables. Or, ce n’est pas nécessairement le cas parce que dans leur reporting extra-financier les entreprises sont naturellement tentées de communiquer sur les dimensions qui leur sont les plus favorables, voire de travestir la réalité. Le spectre du greenwashing est très présent. De plus, il n’est pas forcément aisé de comparer les informations données sur différentes entreprises, de sorte que les parties prenantes peuvent se trouver assez démunies pour faire des choix en connaissance de cause.

Concrètement, il faut que les informations extra-financières soient produites, traitées, synthétisées, et au minimum contrôlées par des tiers, disposant, d’une part, de l’indépendance suffisante vis-à-vis des entités évaluées et, d’autre part, des moyens (accès aux données, capacité de traitement et d’analyse des données, méthodologie robuste et pertinente…) leur permettant de faire un travail de qualité.

Or, la situation des agences de notation extra-financière est bien différente de celle des agences de notation financière. Le marché de la notation financière est dominé par quelques agences internationales (S&P, Moody’s et Fitch) en situation d’oligopole. Ces agences sont rémunérées par les entités notées qui, en pratique, ne peuvent guère accéder au financement obligataire sans avoir recours à leurs services. Les agences de notation de crédit sont ainsi des entreprises reconnues, puissantes et très rentables. Cette situation assoit leur indépendance vis-à-vis des émetteurs. A la suite de leur mise en cause dans la crise des subprimes, les agences de notation de crédit sont désormais régulées, ce qui ne les a pas affaiblies. Elles demeurent des actrices incontournables de la finance.

Par contraste, les agences de notation extra-financière apparaissent aujourd’hui vulnérables. Le marché est morcelé et les agences opèrent généralement dans un secteur géographique limité ou sur une thématique particulière. Leurs modèles économiques sont divers et restent fragiles. Il est rare qu’elles soient rémunérées directement par les émetteurs pour leur notation. La plupart du temps, elles doivent fournir des services accessoires (conseils aux émetteurs, animation d’un indice boursier, gestion de fonds d’investissement, diffusion d’informations économiques, suivi de controverses, analyses de portefeuilles, etc.), ce qui favorise les situations de conflits d’intérêts. Leur relative fragilité nuit à leur indépendance. La diversité des méthodes qu’elles utilisent et l’hétérogénéité des résultats qu’elles obtiennent nuisent à leur crédibilité.

Au moment où la finance durable et la transition ont plus que jamais besoin de pouvoir s’appuyer sur des notations extra-financières sûres et exploitables, il apparaît essentiel de renforcer les agences de notation extra-financière. Ce renforcement peut venir en particulier du marché ou de la régulation.

Assez logiquement, le secteur de la notation extra-financière connaît de grandes évolutions, marquées sur le plan technique par un usage croissant des nouvelles technologies (IA, Big data…), et sur le plan économique par des concentrations, notamment au profit des agences de notation financière ou des acteurs dominant le marché de l’information financière. De façon symptomatique, l’agence de notation extra-financière française Arese devenue Vigeo, s’est rapprochée de l’agence belge Ethibel, puis a fusionné avec l’agence anglaise Eiris avant que le groupe Moody’s n’en prenne le contrôle en 2019. Il existe dès lors un risque que les agences de notation extra-financière intégrées au sein de grands groupes de la finance traditionnelle ne renoncent à une partie de leur vocation. Conscientes de ces enjeux, certaines autorités européennes de régulation comme l’AMF ont engagé une réflexion pour renforcer l’industrie de la fourniture de données extra-financières à travers une régulation qui pourrait garantir la qualité et la transparence des notations et ainsi renforcer l’assise des acteurs européens indépendants.

Pour en savoir plus : 

H. Bouthinon-Dumas, « Les agences de notation extra-financière et le droit », in H. Bouthinon-Dumas et alii, Finance durable et le droit, Editions IRJS-Sorbonne, 2020, pp.147-174. 

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