Comptabilité, économie numérique et reconnaissance des actifs immatériels

Comptabilité, économie numérique et reconnaissance des actifs immatériels

Nous entendons toujours les mêmes choses, nous lisons plus ou moins les mêmes articles. La révolution numérique et la dématérialisation de l'économie sont bel et bien en cours. Pour Anne Jeny, Professeur de Comptabilité et Contrôle de Gestion, il est pertinent de se demander quel en est l’impact sur la comptabilité. Dans son Policy paper, elle vise à éclaircir ces enjeux en répondant à la question « Les pratiques comptables traditionnelles devraient-elles reconnaître les actifs immatériels » ?

Vers une nouvelle industrie… L’industrie 4.0

Nos méthodes de travail et de socialisation ont évolué.  Le rôle croissant de l'économie numérique dans la vie quotidienne a accru la demande et l’offre de nouvelles données. Parallèlement, Google, Amazon, Facebook, Apple, Uber, Airbnb et bien d'autres géants du numérique sont apparus sur le marché.  Le développement d'algorithmes et de modèles mathématiques a rendu possible le traitement de ces volumes toujours plus importants de données.

Le nouveau consommateur

Il en découle que l’offre et la demande sont désormais liés. Uber et Blablacar, entre autres, ont joué un rôle important dans l'apparition de nouveaux types de transactions. Le consommateur se voit confier une position centrale dans le processus de création de valeur. Qu'on le veuille ou non, ce nouveau contexte numérique changera de toute évidence la gestion financière et ... la comptabilité.

La nouvelle valeur de l'entreprise réside dans la gestion des connaissances.
La nouvelle économie : connaissance et information.

Le lien entre ce nouveau contexte numérique et la valeur de l'entreprise réside dans la gestion des connaissances et se concrétise à travers le capital intellectuel, concept traduit par celui d’actifs immatériels en comptabilité financière.

Valeur comptable vs. valeur marchande 

Face à ce contexte en constante évolution, les biens physiques ne représentent plus la principale source de création de valeur. Examinons par exemple Google - un fleuron de la nouvelle économie. En 2016, la valeur de marché de Google - une évaluation actualisée des anticipations de la création de valeur de l’entreprise- atteignait 413,8 milliards de dollars alors que sa valeur comptable - la valeur de la société basée sur ses états financiers - ne s'élevait qu'à un peu plus de 139 milliards de dollars. Que conclure d’une telle différence ? Cette déconnexion peut témoigner d’une défaillance de l’outil de suivi (la comptabilité) à capter la valeur présente dans l’entreprise.

Pourquoi la valorisation des actifs immatériels est-elle importante?

Une telle déconnexion entre la valeur de marché et la valeur comptable a un impact direct sur les états financiers des entreprises. Skype en fournit une excellente illustration. En septembre 2005, la société a été vendue à eBay pour 2,6 milliards de dollars. Cependant, d'un point de vue comptable, sa valeur n’atteignait que 20 millions de dollars. Comment expliquer alors l'évaluation de Skype à 2,6 milliards de dollars ?

  1. Skype a été créé en 2002 mais en septembre 2005, il comptait déjà 54 millions d'utilisateurs et une couverture mondiale

  2. eBay avait prévu de facturer les communications entre les acheteurs et les vendeurs, l'acquisition avait donc du sens du point de vue de son modèle économique

  3. Tous les actifs ont été réévalués et de nouveaux actifs ont été reconnus - dont une grande partie sont immatériels - mais ils ne représentaient que 280 millions de dollars. Avec son offre de prix de 2,6 milliards de dollars, eBay a dû reconnaître un montant de goodwill de 2,3 milliards de dollars, fondé sur de fortes perspectives de croissance. (Chiffre d'affaires Skype : 2004 - 7 millions (non rentable), 2005 - 60 millions, 2006 - 200 millions)

Le goodwill est clairement intangible, et sujet à des estimations. Ainsi, en mai 2011, Microsoft a racheté Skype pour 8,5 milliards de dollars. eBay avait donc eu raison de parier sur des prévisions de croissance. Malheureusement, les montants de goodwill reconnus dans le cadre de fusions et acquisitions sont devenus très, voire trop, importants, et ce d'autant plus que très peu d'actifs immatériels identifiables peuvent être reconnus dans le processus d'allocation du prix d'achat.

Peut-on valoriser objectivement une marque ?

Si l’on estime que la valorisation par profits économiques futurs est bien trop subjective, et qu’en conséquence elle ne peut être inscrite dans le bilan des entreprises, la situation devient délicate. Cela signifierait, par exemple, que les PME ayant des modèles économiques basés sur l'innovation technologique, numérique et de services ne seraient pas en mesure de traduire leurs investissements et leur création de richesse en termes comptables. Elles n’ont alors aucun moyen d'accéder au financement bancaire puisque leurs bilans s’avèrent dépourvus de sens. 

Tous les secteurs sont impactés par les nouveaux mécanismes d’intermédiation issus de la transformation numérique. Le cloud-computing, les big-data, la blockchain, entre autres, rebattent les cartes des transactions commerciales. Bien qu’il reste discutable que ces transformations jouent un rôle dans le processus de reconnaissance des actifs incorporels, il est néanmoins essentiel qu’ils soient reportés dans les états financiers pour donner aux actionnaires et aux investisseurs une image fidèle des sociétés.

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