Dans ce podcast, le professeur de comptabilité Adrián Zicari soutient que l’évaluation de la valeur ajoutée est un outil de communication important qui pourrait être utile pour les actionnaires et les aider à parvenir à un accord plus satisfaisant, tout en favorisant le dialogue entre les managers de l’entreprise dans leurs différents postes.
EK : Sans plus tarder, pourriez-vous me dire ce qu’est une évaluation de la valeur ajoutée ?
Adrián Zicari : C’est une évaluation comptable qui explique comment une entreprise crée et partage de la valeur parmi de nombreux actionnaires.
EK : Quelle est la différence entre une évaluation de la valeur ajoutée et une évaluation comptable standard, s’il y en a une bien sûr ?
Adrián Zicari : Avec les évaluations de la valeur ajoutée, on va plus loin et on essaie d’expliquer comment cette valeur a été créée. Concrètement, on retire tout ce qui a été acheté en-dehors de l’entreprise, et on explique comment cela a été partagé entre les employés. Par conséquent, avec les évaluations de la valeur ajoutée, on a une image de la valeur que crée l’entreprise et de la valeur qu’elle partage.
EK : Corrigez-moi si j’ai tort, mais j’ai l’impression que l’évaluation de la valeur ajoutée offre une vision plus globale des résultats de l’entreprise.
Adrián Zicari : C’est le cas, en effet, parce qu’on remarque quelques questions qui sont difficiles à appréhender dans un compte de résultat classique. Par exemple, on voit clairement combien est donné aux employés, combien est maintenu ou conservé dans l’entreprise dans son intérêt etc. Ainsi, en termes de clarté, ce document explique mieux les choses.
EK : En revanche, parce que la complexité des relations des actionnaires ne peut pas être appréhendée par un indicateur financier seulement, pourrait-on alors considérer que l’attention de tous les modèles d’évaluation de la valeur ajoutée sur la distribution de la valeur économique semble réductrice ?
Adrián Zicari : Oui et non. C’est une réponse que ferait n’importe quel comptable. Donc oui, dans la mesure où de nombreuses questions qui correspondent aux résultats, aux résultats de l’entreprise, ne peuvent pas être perçues dans n’importe quel rapport financier ou économique. En revanche, de nombreuses questions liées à l’impact environnemental, à l’impact social, les questions non-monétaires etc. doivent être appréhendées par d’autres types de rapports, qui sont complémentaires. D’un autre côté, sur le côté droit pourrait-on dire, une évaluation de la valeur ajoutée est un outil qui peut vous aider ; il contribue à clarifier des choses qui sont parfois difficiles à voir dans un compte de résultat. Je dirais que les deux, le compte de résultat et l’évaluation de la valeur ajoutée sont complémentaires.
EK : Pour vos études de cas, vous avez choisi des entreprises situées au Mexique et en Uruguay. Qu’est-ce qui a motivé votre choix, pourquoi avez-vous choisi le Mexique ?
Adrián Zicari : Pour deux raisons, la disponibilité des données, d’un côté, ces deux entreprises utilisent les évaluations de la valeur ajoutée depuis plus d’une décennie, et leur taille, d’un autre côté, elles sont grandes et par conséquent ce sont des entreprises qui ont un impact.
EK : Dans vos deux études de cas, vous parlez du quatrième état financier. Pourriez-vous me dire en quelques mots ce qu’est le quatrième état financier ?
Adrián Zicari : L’évaluation de la valeur ajoutée est un terme générique. Par conséquent, le quatrième état financier est une des « espèces », je dirais, un des standards qui existe -il y a plusieurs standards. Et c’est un problème. Pour le moment, nous ne partageons pas de standard commun pour les évaluations de la valeur ajoutée.
EK : Les managers que vous avez rencontrés ont-ils compris l’importance de l’outil de reporting que vous avez introduit, ont-ils compris que cela renforcerait la réputation de l’entreprise ? Quelle était leur réaction généralement ?
Adrián Zicari : Nous avons vu que les managers aiment le rapport, parce qu’il les aide à mieux comprendre ce que fait l’entreprise ; ils comptent sur ce rapport. En termes de fiabilité, de confiance, ils sont parfaitement à l’aise. Et ils comprennent mieux ce que fait l’entreprise parce que le rapport va au-delà de l’idée classique des « actionnaires seulement ».
EK : Y a-t-il eu des découvertes communes, je veux dire, communes aux deux études de cas ?
Adrián Zicari : Ces deux études nous ont aidé à percevoir comment les entreprises réagissaient ou changeaient à cause de la situation économique. Dans un des cas, l’entreprise a essayé de sauver ses employés, malgré les gros changements d’activité. D’accord, l’entreprise ne faisait plus autant d’argent qu’avant, mais ils ont essayé de garder leurs employés en sécurité. Ainsi ce genre d’étude vous aide à observer la politique d’une entreprise.
EK : Qu’avez-vous observé ?
Adrián Zicari : On peut voir plusieurs choses, par exemple, on peut observer comment les entreprises choisissent certains actionnaires en relation avec la mission de l’entreprise. Prenons l’exemple d’une entreprise qui doit réinvestir dans l’infrastructure d’un pays. Cela veut dire que vous pouvez voir comment ils vont augmenter leurs investissements dans un secteur. C’est intéressant de suivre les choix que fait une entreprise sur le long-terme. Et comment les choses peuvent changer au fil des années.
EK : Quelles sont les conséquences managériales et de politique publique ?
Adrián Zicari : Elles sont nombreuses. Les managers atteignent une meilleure compréhension de l’entreprise qu’ils dirigent. En termes de politique publique, je dirais que c’est un outil extrêmement utile pour les responsables publics du gouvernement qui aimeraient garder une trace de la valeur créée et de la valeur distribuée.
EK : La question de la distribution du revenu a-t-elle joué un rôle dans votre choix de mener vos études de cas au Mexique et en Uruguay ?
Adrián Zicari : C’est une bonne remarque. L’Amérique latine, selon l’indicateur Gini est l’une des régions les plus inégalitaires du monde. Et cela pourrait expliquer pourquoi ce type de rapport comptable est si important. Cela permet aux entreprises de rendre compte de la distribution de la valeur, cela pourrait être un défi en Amérique latine.
EK : Et apparemment, c’est le cas, ce qui est la surprise dans vos études de cas. J’ai trouvé cela surprenant car ce n’est pas quelque chose qu’on attend normalement en Amérique latine.
Adrián Zicari : C’est important de mentionner que le Brésil a instauré des modèles similaires obligatoires pour toutes les entreprises cotées en bourse. Il existe aussi des modèles similaires en Afrique du Sud. On peut voir que les pays qui ont des défis en termes d’inégalité des revenus sont intéressées par ce genre de rapports.
EK : Est-ce que les évaluations de la valeur ajoutée sont quelque chose qu’on peut trouver en Europe ?
Adrián Zicari : Oui, quelques tentatives ont été faites, en Italie et en Allemagne. Et dans les deux pays, ils ont utilisé les mêmes modèles pendant un certain moment. Mais il est important de souligner le fait que ces modèles ne sont pas obligatoires, donc l’entreprise peut les utiliser ou non. Mais je pense que c’est une bonne initiative. L’idée, en termes de politiques publiques, serait de parvenir à un accord et d’utiliser un unique modèle standardisé.
EK : Et à votre avis, pourquoi était-ce important pour les pays émergents et en voie de développement de développer ce type de modèle comptable ?
Adrián Zicari : Ce qui est important avec ce modèle c’est que vous ne faites pas du simple reporting aux investisseurs, mais à un « public » plus large. Et dans certains pays où l’inégalité existe, peut-être que l’un des rôles de l’entreprise est de contribuer à modérer cette situation d’inégalité des revenus.
EK : Merci Adrián, c’était très intéressant. Grâce à vous, nous savons maintenant ce que sont les évaluations de la valeur ajoutée. Merci de vous être joint à moi.
Adrián Zicari : Merci !