Avec Philippe Lorino et Marie-Léandre Gomez
Les indicateurs de performance occupent une place de plus en plus importante dans les systèmes de santé du monde entier et permettent d’améliorer la qualité médicale et d’augmenter la sécurité. Dans notre travail de recherche, nous avons cherché à savoir comment les indicateurs de santé étaient effectivement utilisés et quel était leur impact sur le travail quotidien des professionnels de la santé.
Il existe en France plusieurs indicateurs proposés par la Haute Autorité de Santé, mais nous avons choisi de concentrer nos efforts sur l’indicateur de tenue du dossier anesthésique (DAN) et donc sur une seule spécialité médicale, l’anesthésie. Nous avons été dans quatre hôpitaux français de taille, de structure (publique ou privée) et d’implantation différentes et avons surtout interrogé les médecins responsables du service d’anesthésie, les infirmiers anesthésistes et les responsables de qualité.
Cet indicateur est important car il tient compte de la coordination entre les professionnels. Comme de nombreux anesthésistes peuvent s’occuper du même patient tout au long de son séjour, un dossier anesthésique rempli correctement et entièrement permet de mieux partager l’information entre les professionnels. En d’autres termes, l’indicateur de tenue du dossier anesthésique ne porte pas sur un résultat mais sur un processus spécifique (ainsi que sur son support d’information).
Quand nous avons commencé nos recherches, nous voulions trouver comment cet indicateur était utilisé dans les faits, mais nous avons rapidement découvert que la réalité était plus nuancée. L’indicateur, même s’il est très peu connu par les professionnels concernés, tels que les médecins et les infirmiers, a néanmoins un impact direct sur leur pratique quotidienne. Néanmoins, il se trouve que les médecins responsables du service d’anesthésie ont bien conscience des scores fournis par cet indicateur. Par conséquent, ils ont l’habitude d’analyser les résultats et de chercher comment les améliorer. Parfois, ils procèdent à des changements de pratiques et des achats de matériel informatique pour augmenter ces scores.
Nous avons également trouvé, de manière inattendue, des pratiques émergentes en réponses ces résultats. Par exemple, la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) analyse les résultats de cet indicateur et organise des campagnes de sensibilisation auprès de ses adhérents. En outre, comme cet indicateur est collecté au niveau national, il constitue une mine d’information qui commence à être utilisé à des fins de recherche scientifique.
Certaines études scientifiques, réalisée auparavant, ont pointé que l’indicateur de performance risquait de devenir une fin en soi. Par conséquent, les organisations pourraient être tentées d’enjoliver les résultats, en ne changeant que les éléments pris en compte dans l’indicateur et en laissant les autres en l’état. Mais heureusement, nous n’avons pas vu trace de cette pratique dans nos recherches.
Surtout, nous constatons qu’il n’est pas possible de revenir en arrière. Il y a un consensus pour dire que les hôpitaux ne peuvent pas fonctionner sans indicateurs. Par conséquent, les professionnels de santé ne doivent pas considérer ces indicateurs comme une menace. Au contraire, nous suggérons dans notre étude qu’il existe des opportunités pour apprendre, améliorer les processus et fournir de meilleurs services de santé. Nous sommes seulement en train de comprendre comment cet apprentissage organisationnel a lieu !
Pour appronfondir :
"L'usage des indicateurs de performance sur la qualité-sécurité des soins : le cas de l'indicateur de tenue du dossier anesthésique", paru dans le Journal de gestion et d'économie médicales