Dans les situations où les modèles mentaux utilisés par les preneurs de décision humains sont inadéquats pour refléter une réalité complexe, comment pouvons-nous augmenter la valeur de l’utilisation d’un système informatique d’aide à la décision ?
Les systèmes informatiques d’aide à la décision (SIAD) aident les managers à prendre des décisions avec de grandes quantités de données, des résultats incertains ou des décisions répétitives –par exemple, quand le médecin choisit de prescrire tel ou tel médicament parmi un vaste choix. Dans ces situations, le modèle mental utilisé par les preneurs de décision humains est inadapté pour refléter la complexité de la réalité.
Néanmoins, les gens ont tendance à se méfier des SIAD ou à ne pas les utiliser car ils ne savent pas comment on les leur a recommandés. Par exemple, les SIAD pour optimiser les prix de vente au détail peuvent largement surpasser les managers humains, mais seulement 5 à 6 % des managers les utilisent. La situation est la même dans les autres secteurs. Comme les managers perçoivent un écart entre leurs propres modèles mentaux et le modèle de décision du SIAD, ils n’acceptent pas ce dernier. Et si leurs décisions sont en conflit avec celles du SIAD, ils ont tendance à mettre en pratique leur propre décision –et ce même s’il est connu que le SIAD donne de meilleurs résultats.
Dans leur étude, le professeur Arnaud De Bruyn et ses collègues ont cherché à savoir si le SIAD serait plus considéré si les décideurs comprenaient l’aspect rationnel à l’œuvre dans les décisions du SIAD –c’est-à-dire si leurs modèles mentaux étaient mieux alignés avec le modèle de décision du SIAD.
Dans l’idéal, le décideur passerait par l’apprentissage profond, à savoir un changement durable du son modèle mental, grâce à l’acquisition de nouvelles connaissances. L’apprentissage profond est indiqué quand les individus doivent faire l’effort de changer leurs modèles mentaux, et constitue un guide pour ce faire.
Une approche à double tranchant
Leur présupposé de départ est que les utilisateurs du SIAD feraient un apprentissage profond si le SIAD renvoyait deux types de retours : un retour sur le potentiel de croissance (c’est-à-dire les avantages à adopter le modèle du SIAD) et un retour correctif sur la manière dont le modèle mental du décideur devrait être corrigé.
Le retour sur le potentiel de croissance incite le décideur à faire des efforts pour s’améliorer mais sans forcément lui dire comment faire. Le retour correctif lui montre ce qu’il doit changer, mais ne permet pas vraiment au décideur de comprendre les suggestions. Par conséquent, les deux types de retours, pris séparément, conduisent à une connaissance vide. En revanche, la combinaison des deux types de retours génère de la motivation envers le changement et lui donne une orientation, ce qui conduit à l’apprentissage profond.
Les hypothèses à vérifier étaient les suivantes :
- L’apprentissage profond conduit à mieux considérer le SIAD
- Les efforts et les conseils favorisent l’apprentissage profond
- Un effort accru sans conseils ne conduit pas à l’apprentissage profond
- Des conseils accrus sans efforts de faits ne conduit pas à l’apprentissage profond
L’apprentissage profond :
Les chercheurs ont modélisé l’interaction entre l’effort, les conseils, l’apprentissage profond et le SIAD dans un modèle statistique, ce qui permet de faire des tests empiriques. Ils ont choisi comme terrain d’essai les associations caritatives qui cherchent des donateurs par marketing direct. Ces organisations correspondent aux trois critères qui impliqueraient d’utiliser un SIAD : elles ont de très vastes bases de données d’anciens donateurs, l’issue d’une demande de don individuelle est incertaine, et elles conduisent des campagnes fréquentes qui impliquent des décisions similaires et répétées.
Les participants à l’étude jouaient le rôle de directeurs de marketing direct dans une grande association caritative qui aide les populations touchées par les catastrophes naturelles. Certains participants étaient des étudiants de MBA avec une expérience en marketing direct, tandis que d’autres étaient de véritables directeurs de marketing d’associations caritatives.
Afin de s’assurer que les participants pouvaient donner un retour immédiat et fiable (ce qui est difficile à faire dans le monde réel), les chercheurs ont effectué les tests dans des conditions expérimentales contrôlées, en utilisant un problème décisionnel réaliste et fréquent. Les décideurs devaient utiliser un SIAD pour sélectionner les donateurs potentiellement généreux à partir d’une base de données contenant 200 000 individus fictifs, classés selon quatre critères : date du dernier don, fréquence des dons, montant des dons précédents et âge du donateur.
La probabilité qu’a chaque donateur de faire un don (autrement dit, l’ « attractivité ») était calculée à partir d’une formule basée sur ces trois facteurs. Les participants ne connaissaient pas la formule, mais savaient que les donateurs étaient plus susceptibles de faire des dons 1) s’ils avaient donné récemment 2) s’ils avaient fait des dons fréquents aux cours des 5 dernières années 3) s’ils avaient donné de fortes sommes et 4) s’ils étaient âgés.
Motivés par une rémunération en fonction de leurs résultats, les participants devaient évaluer l’attractivité de vingt donateurs sur une échelle allant de 0 à 100. En se basant sur les taux qu’ils avaient établis, le SIAD fournissait ensuite aux participants une prédiction sur les résultats de la campagne en termes de revenus obtenus. Dans certains cas, le SIAD donnait aussi un retour sur le potentiel de croissance, en donnant le revenu maximal qui aurait pu être atteint si le participant avait évalué les donateurs avec une précision exacte. Dans d’autres cas, le SIAD fournissait un retour correctif, en indiquant aux participants s’ils avaient surestimé ou sous-estimé certains facteurs. Et dans certains cas, le SIAD donnait les deux retours à la fois. Par la suite, les participants recommençaient dix fois l’exercice d’évaluation sur les vingt mêmes donateurs, afin d’améliorer leurs résultats.
Les chercheurs ont aussi utilisé discrètement les réponses des participants pour calculer le poids qu’ils assignaient à chacun des quatre facteurs. Cela a permis aux chercheurs de voir quel était le modèle mental que les participants utilisaient pour leurs décisions et si ce modèle se rapprochait au fil du temps de celui du SIAD. Ensuite, afin de dire si l’apprentissage profond avait eu lieu, les chercheurs ont demandé aux participants d’évaluer vingt autres donateurs de la même base de données. Si le résultat n’était pas meilleur qu’au début de l’expérience, cela aurait indiqué que l’apprentissage avait été superficiel et temporaire.
Les chercheurs ont aussi enquêté auprès des participants pour connaître quel avait été leur investissement subjectif, l’utilité des conseils donnés par le SIAD et la confiance dans leurs propres décisions.
Les résultats ont largement confirmé toutes les hypothèses, notamment l’idée de départ selon laquelle les individus refusent d’utiliser un SIAD sauf s’ils arrivent à comprendre la base des recommandations du SIAD ; l’idée a également été confirmée selon laquelle le suivi de ces recommandations conduit à des meilleurs performances. Les résultats ont également confirmé que l’apprentissage profond est essentiel pour que les gestionnaires aient une bonne opinion d’un SIAD de pointe. Cette étude devrait inciter les développeurs de SIAD à augmenter la ressemblance de leurs systèmes avec un être humain, et aussi aider les entreprises à obtenir plus de valeur de leur investissement dans un SIAD, ainsi qu’à le rendre plus performant.
« How Incorporating Feedback Mechanisms in a DSS Affects DSS Evalutions », paru dans Information Systems Research.