Le professeur de marketing, Emmanuelle Le Nagard, explique comment « l'obsolescence perçue » peut être une arme à double tranchant pour des entreprises comme Apple.
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Lorsque l'iPhone 7 a été mis en vente en Septembre, 2016, les plus grands fans des produits Apple se sont bousculés aux portes des magasins. Beaucoup d'autres, cependant, ont étaient déçus. L'iPhone 7 était-il vraiment une innovation? Ou était-il en quelque sorte une stratégie en vu de donner envie aux consommateurs d'acheter la nouvelle version de l’iPhone ?
En effet, Apple n'est qu'une entreprise parmi tant d'autres qui ont su tirer profit de ce que nous appelons « l'obsolescence perçue »: en introduisant de nouvelles versions de leurs produits sur le marché, Apple a réussi à stimuler chez de nombreux consommateurs un désir d'échanger et de remplacer leurs anciens produits qui restent par ailleurs fonctionnels.
De nombreuses entreprises technologiques ont été en mesure d’encourager des décisions de renouvellement d'une manière similaire, favorisant les sentiments d’obsolescence perçue, en introduisant périodiquement d’autres innovations. Ces nouveaux produits ont tendance à avoir une plus grande valeur sociale, ce qui est particulièrement important pour les produits visibles comme les smartphones et les tablettes.
L'exemple d'Apple, cependant, souligne également les risques associés à l'optimisation de «l'obsolescence perçue»:
- Vos consommateurs pourraient se sentir manipulés: lorsque les innovations sont trop progressives et que les lancements de produits sont trop rapprochés, les fabricants peuvent sembler exercer des pressions injustifiées sur les consommateurs pour les mettre à niveau.
- Votre public cible pourrait ne pas être à l'écoute: tous les consommateurs ne sont pas réceptifs aux sentiments de l'obsolescence perçue de manière équivalente et beaucoup ne se soucient pas si leurs produits n'est pas à la pointe de la technologie.
- Votre marque pourrait souffrir: Sans parler de sentiments de manipulation, trop d'innovations progressives mèneront au gaspillage et à la dégradation de l’environnement.
Emmanuelle vous explique l’obsolescence perçue, en 3 minutes:
Chaque année, notamment en période de Noël, certains d’entre nous ressentent l’envie d’avoir un nouveau téléphone portable qui serait le dernier cri de la technologie. Et pourtant leur ancien smartphone fonctionne encore très bien. Cette envie peut notamment être du à ce que l’on appelle l’obsolescence perçue. C’est le sentiment que, pour un objet donné, il existe mieux sur le marché. Évidemment cette impression survient d’autant plus vite que le rythme d’innovation dans la catégorie de produits en question est rapide, et qu’il est perçu. Pour les smartphones, les constructeurs lancent de nouveaux modèles à un rythme très rapide, et proposent sans cesse de nouvelles fonctionnalités, de nouveaux designs, de nouvelles caractéristiques. Ceci donne alors le sentiment que le modèle que l’on possède est déjà esthétiquement ringard, dépassé technologiquement, et n’est plus aussi valorisant socialement, puisque d’autres possèdent « mieux ». En outre, un smartphone est un produit visible, on peut observer celui des autres, et découvrir ainsi les nouveautés. On peut même ressentir une certaine honte à posséder un téléphone trop vieillot, qui renvoie une image de quelqu’un de peu moderne ou de trop modeste. L’obsolescence perçue dans cette catégorie de produits, celle des smartphones, est donc rapide.
Les conséquences de cette obsolescence perçue est que l’on peut ressentir le besoin de renouveler son téléphone portable très vite, même s’il fonctionne encore parfaitement et comprend toutes les fonctionnalités dont on pense avoir besoin. Les fabricants ont donc intérêt à court terme à favoriser ce sentiment, afin de déclencher des décisions de renouvellement.
Cependant, à plus long terme, les clients que nous sommes tous peuvent également avoir le sentiment que l’on exerce une pression sur eux, et que la sortie d’un nouveau modèle n’est pas totalement justifiée par une réelle amélioration, mais qu’il s’agit d’un « gadget ». Cela peut donc être à double tranchant !
Tout le monde n’est pas aussi fortement sujet à cette obsolescence perçue. Certains, moins au courant des nouveautés, ou s’intéressant moins à la catégorie de produits, vont se contenter d’un produit même s’il n’est pas « dernier cri ». D’autres, même s’ils perçoivent leur téléphone comme obsolète, ne vont pas en acheter un nouveau, notamment parce qu’ils estimeraient qu’il s’agit d’un « gâchis » d’argent, non justifié. Certains peuvent même ressentir une vraie culpabilité, ou une réticence idéologique à céder à la société de consommation.
Un autre frein est la question de savoir ce que l’on fait de l’ancien téléphone. Si on sait à qui le donner, ou si on peut le revendre ou le recycler facilement, on aura plus tendance à remplacer que si l’on sait qu’il va rester encombrer nos tiroirs. Une façon intéressante de concilier image responsable, développement durable et intérêt économique est donc pour les fabricants de démontrer leur participation à l’effort sur le recyclage, et plus globalement sur la seconde vie des objets.
En résumé, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles vous pouvez avoir envie d’acheter un nouveau smartphone, même si celles que vous invoquez –le progrès –le progrès technologique réalisé par rapport à la version que vous possédez ne sont pas forcément les véritables ou les seuls motifs…, et même si vous ne passez pas forcément à l’action !