Gestion des talents et migration

Gestion des talents et migration

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

En 2019, l'ONU estimai à 272 millions le nombre de travailleurs migrants (1), et celui-ci n’a cessé d'augmenter ces dernières années : cela nous indique que les employeurs doivent prendre en compte la migration dans leurs stratégies globales de gestion des talents.  Dans un récent chapitre de The Routledge Companion to Talent Management (2), Jean-Luc Cerdin (ESSEC Business School), Chris Brewster (Henley Business School), Lovanirina Ramboarison-Lalao (EM Strasbourg) ont discuté de la gestion globale des talents. 

Qui exactement est un travailleur migrant ? C'est une question compliquée. L'ONU, l'Organisation internationale du travail et l'Organisation de coopération et de développement économiques (3, 4, 5) considèrent qu'un "migrant à long terme" est une personne qui s'installe dans un autre pays pour au moins un an, et qu'un migrant à court terme est une personne qui s'installe dans un autre pays pour au moins trois mois mais moins de douze mois (sauf si sa migration est liée au tourisme, à un traitement médical, aux affaires ou à un pèlerinage religieux). Cependant, de nombreuses personnes utilisent également le terme "expat" pour désigner les mêmes populations, et il n'existe pas de consensus sur ce qui différencie un "travailleur migrant" d'un "expat". Pour compliquer encore les choses, la migration humaine est étudiée par des universitaires dans différents domaines, de l'économie à l'anthropologie. Cependant, elle n'a pas été étudiée en profondeur par les spécialistes de la gestion des ressources humaines, ce qui montre la nécessité d'étudier ce vivier de talents pour apprendre à mieux le gérer. 

L'immigration en soi reste controversée : regardez le Brexit, dans lequel l'immigration a joué un rôle clé dans la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne, ou l'élection présidentielle française de 2022, avec Éric Zemmour prônant une stratégie d'"immigration zéro". Elle donne souvent lieu à des débats politiques chargés d'émotion sur la meilleure façon de gérer un afflux de personnes. Alors que ses détracteurs affirment que les migrants exercent une pression sur les systèmes sociaux locaux et font baisser les salaires, l’immigration présente des avantages indéniables, comme la stimulation de l'économie locale par des travailleurs jeunes et énergiques et l'apport de nouvelles compétences. L'argent que les migrants envoient dans leur pays d'origine (appelé transferts de fonds) joue également un rôle énorme dans le commerce mondial, les ⅔ de cet argent allant aux pays en développement (6). 

Il existe une myriade de facteurs qui peuvent pousser une personne à quitter son pays : la guerre, le changement climatique, de meilleures opportunités, le simple désir d'une nouvelle expérience... Dans l'Union européenne, les citoyens des pays membres peuvent se déplacer librement et travailler dans n'importe quel pays membre. Le Professeur Cerdin et son équipe de recherche suggèrent qu'il est essentiel d'examiner les facteurs individuels, organisationnels et macrosociaux de la migration. Il s'agit notamment des facteurs suivants :

  • Les facteurs individuels : le niveau de compétences, le pays d'origine, le sexe ;

  • Les facteurs organisationnels : l'origine et la taille de l'entreprise et son expérience avec les travailleurs migrants ;

  • Les facteurs macrosociaux : la législation, l'histoire du pays et les tendances migratoires.

Tous ces facteurs sont intimement liés.

Comprendre la migration au niveau individuel

Les qualifications et le niveau de compétences d'un travailleur migrant constituent un facteur de distinction essentiel. La gestion des talents a tendance à se concentrer sur les migrants hautement qualifiés, ceux qui sont diplômés de l'enseignement supérieur et qui possèdent des compétences recherchées. Toutefois, les travailleurs migrants n'ayant pas fait d'études supérieures peuvent également posséder des compétences recherchées qui viennent enrichir le vivier de talents du pays. Le niveau de qualification d'un travailleur aura une incidence sur son expérience dans le pays d'accueil. Par exemple, les migrants hautement qualifiés peuvent ne pas voir leurs qualifications reconnues ou être victimes de discrimination. Les motivations de la personne, ses orientations professionnelles et son niveau d'intégration dans le pays d'accueil peuvent également avoir un impact sur son expérience. Les organisations doivent en tenir compte pour soutenir au mieux leurs salariés et mettre en œuvre des politiques d'accueil efficaces, comme l'aide à l'obtention de visas et à l’accès à des cours de langue. 

L'histoire est un peu différente pour les migrants qui ne sont pas hautement qualifiés. Les migrants "moyennement qualifiés" ont des compétences essentielles (les compétences manuelles peuvent entrer dans cette catégorie), bien qu'il n'y ait pas beaucoup de recherches sur cette catégorie. Les migrants moins instruits peuvent être confrontés à une expérience d'intégration plus difficile, car ils peuvent ne pas parler la langue locale, avoir des difficultés à obtenir des autorisations de travail et être victimes de discrimination de la part de la population locale. Pour faciliter ce processus d'intégration, les organisations doivent être conscientes des défis spécifiques auxquels ils sont confrontés afin de mettre en œuvre des politiques visant à maximiser leur potentiel. 

Les facteurs organisationnels

La gestion des talents doit également tenir compte des facteurs organisationnels. Les migrants peuvent souvent être bénéfiques à l'entreprise : non seulement ils contribuent au vivier de talents, mais la recherche établit un lien entre diversité et innovation. Toutefois, l'inverse n'est pas toujours vrai : l'organisation peut en fait avoir un impact négatif sur les migrants. Une étude a révélé que les migrants sont confrontés à des problèmes tels que la mobilité physique restreinte, les mauvaises conditions de travail et la discrimination sur le lieu de travail (7). De nombreux migrants partent à la recherche d'une vie meilleure, mais tous n'y parviennent pas : une étude a révélé que les infirmières immigrées sont confrontées à des défis professionnels et personnels et à des difficultés pour faire reconnaître leurs titres (8). Les organisations doivent donc mettre en œuvre des politiques pour faire tomber ces barrières. 

L’ensemble du tableau: l’environnement macro

Bien sûr, rien de tout cela ne se passe par hasard : les frontières et les politiques d'immigration jouent un rôle énorme sur les personnes qui peuvent entrer et accéder à certains emplois. L'Union européenne fournit un exemple intéressant, puisque ses ressortissants peuvent travailler librement dans le pays de l'UE de leur choix. En ce qui concerne l'immigration extracommunautaire, les nations membres peuvent contrôler les flux en fonction de leurs propres lois. Cela signifie que les résidents légaux des pays non membres de l'UE ont généralement des droits différents de ceux des ressortissants de l'UE, comme l'accès au vote. 

Applications pour la gestion des talents

Dans l'ensemble, cela signifie que les organisations doivent tenir compte de la situation de leurs salariés migrants : quelle est leur situation, quelle est leur motivation pour déménager, depuis combien de temps sont-ils dans le pays, de quel type de soutien ont-ils besoin. Il existe quelques tactiques pour aborder ces questions :

  • Tenir un registre des expériences des salariés internationaux à l'étranger, de leurs compétences linguistiques et de leur connaissance de la culture locale ;

  • Identifier les obstacles spécifiques auxquels sont confrontés les salariés afin d'identifier le soutien dont ils ont besoin : par exemple, un mentorat professionnel pour ceux qui ont migré par désir de vivre dans ce pays, et des cours de langue pour ceux qui sont partis pour échapper à une mauvaise situation ;

  • Favoriser un environnement qui encourage la diversité ;

  • Établir des programmes de mentorat professionnel pour les salariés migrants ;

  • Encourager les managers et les collègues à accueillir et à intégrer ces salariés, et proposer des ateliers d'intelligence culturelle et de management en cas de besoin (par exemple, soutenir un nouvel salarié qui a fui un pays en guerre) ;

  • Veiller à ce que les travailleurs migrants soient correctement reconnus et rémunérés pour leur travail et qu'ils bénéficient d'une promotion en temps voulu. 

Rapprocher la gestion des talents et la recherche sur les migrations n'est pas chose aisée : il s’agit d’identifier qui est le travailleur migrant, un défi en soi, et mettre en œuvre des politiques de gestion des talents spécifiques en fonction du type de travailleur salarié. Les travailleurs migrants représentent une part importante de la réserve mondiale de talents et l'optimisation de leur intégration peut s'avérer très payante pour les entreprises

Références 

  1. United Nations. 2019. International migration report 2019. New York: United Nations. 

  2. Cerdin, J. L., Brewster, C., & Ramboarison-Lalao, L. (2021). Talent Management and Migration. In The Routledge Companion to Talent Management (pp. 187-200). Routledge.

  3. United Nations. 1998. Recommendations on statistics of international migration. Revision 1. Statistical Papers. Series M, No. 58, Glossary. New York: United Nations. 

  4. International Labour Organization (ILO). 2014. Fair migration: Setting an ILO agenda. Report of the ILO Director General to the International Labour Conference. Geneva, International Labour Office. 

  5. Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD). 2003. Glossary of statistical terms. http://stats.oecd.org/glossary/detail.asp?ID=1284. 

  6. World Bank Group. 2019. Migration and remittances: Recent developments and outlook. International Bank for Reconstruction and Development, The World Bank, https://www.knomad.org/sites/default/files/2019- 04/Migrationanddevelopmentbrief31.pdf, first accessed on June 17, 2019. 

  7. Rodriguez, J. K., & Mearns, L. 2012. Problematising the interplay between employment relations, migration and mobility. Employee Relations, 34(6): 580-593. 

  8. Newton, S., Pillay, J., & Higginbottom, G. 2012. The migration and transitioning experiences of internationally educated nurses: A global perspective. Journal of Nursing Management, 20, 534–550.

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