Femmes et pouvoir : le grand tabou

Femmes et pouvoir : le grand tabou

La progression de la mixité au sein de la direction des entreprises soulève aujourd'hui une question importante: les femmes ont-elles une approche, un ressenti du pouvoir qui se distingue de leurs homologues masculins? Pour répondre à cette question, nous avons mené une étude qui va directement à la source en s'adressant à des femmes en position de pouvoir: dirigeantes, administratrices mais aussi quelques femmes politiques et des experts; ce, en France et à l'étranger. "Que pensez-vous de votre rôle, de vos responsabilités, et d'éventuelles qualités spécifiques que vous pouvez apporter dans votre mission?"

Le pouvoir au féminin interpelle encore aujourd'hui, alors que de plus en plus de femmes accèdent à des positions de pouvoir au sein des organisations. Les femmes au sein des conseils de direction et/ ou d'administration affrontent encore de nombreux défis. Bien comprendre ce que peut représenter l'exercice du pouvoir "au féminin" constitue un premier moyen d'y faire face.

Femmes et pouvoir: une relation ambigüe

En tant que professeure de droit européen, je mène de longue date des travaux comparatifs sur les questions de gouvernance d'entreprise à échelle européenne. La question spécifique de la diversité de genre a été soulevée ces derniers temps, notamment par Viviane Redding et, en France par la loi de féminisation des conseils. Décidée à lancer une filière spécifique pour aider des femmes confirmées à atteindre ces postes: le programme "Women be European board ready", je me suis rendu compte que peu de participantes évoquaient la question du pouvoir. Or, les Conseils de direction et d'administration sont indéniablement des lieux de pouvoir; les femmes qui participent à ce programme veulent clairement assumer des rôles d'autorité au sein des entreprises.

Pourquoi, dés lors, cette omission du mot "pouvoir"? Est-il toujours un tabou pour les femmes? Les résultats de l'étude identifient que l'ambition porte toujours des connotations différentes pour les femmes et les hommes: la lutte pour le pouvoir est encore perçue comme quelque chose de masculin, et les femmes abordent cette conquête avec une certaine difficulté.

Une grande majorité des femmes interrogées ont déclaré, en effet, qu'elles n'avaient pas construit leur carrière afin d'accéder au pouvoir, mais plutôt faire quelque chose d'intéressant. L'une d'entre estime ainsi: "nous vivons dans un monde qui valorise le pouvoir masculin... Les femmes ne sont pas naturellement considérées comme des futurs leaders par leurs chefs masculins puisque ces derniers valorisent la 'virilité' et d'autres aspects typiquement masculins, et ont tendance à promouvoir ce qui leur ressemble".

Ce modèle de leadership au masculin demeure un obstacle majeur pour les femmes puisqu'elles en ignorent les codes. Par ailleurs, des qualités ou comportements spécifiques sont associés aux femmes (stéréotypes) et le sont, par défaut, en ce qui concerne le pouvoir. Une sur-adaptation au modèle masculin peut alors intervenir chez les femmes souhaitant accéder à ces espaces de direction avec des conséquences psychiques négatives sur l'individu(e) et une perte de la valeur ajoutée qu'apporte leurs diversités.

J'ai travaillé en collaboration avec une psychologue afin de mieux comprendre la relation au pouvoir que nous pouvons avoir, en tant que femmes, et identifier si elle diffère du modèle masculin. Les résultats montrent bien qu'il y a une connotation négative attachée à l'idée de pouvoir: nombreuses sont les interviewées qui associent pouvoir et intrigue -jeux de pouvoir- autoritarisme. Par ailleurs elles estiment généralement que le pouvoir isole, spécialement de la manière dont il est exercé dans le modèle masculin imposé.

Il est intéressant de noter que les femmes interviewées attribuent en grande majorité des qualités spécifiques, donc genrées aux femmes: la capacité d'écoute, l'empathie, le jeu collectif, un ego moindre, un sens aigu de l'éthique. Sans caricaturer, l'étude tend à démontrer que les femmes ont en effet une approche différente: plus franches, avec un réel désir de faire avancer les choses, elles accordent une grande importance à la légitimité par l'exemple.

Bien entendu, j'ai pu relever des différences liées au contexte socioculturel. Trois pôles se distinguent dans l'étude, moins liés à des zones géographiques qu'à des traditions de gouvernance différentes : le monde anglo-saxon, le monde socialiste et les pays émergents où l'égalité hommes / femmes est toujours une lutte.

Une question de quotas

J'aborde la question des quotas avec prudence. Mes derniers travaux postérieurs à cette étude Femmes et Pouvoirs étudient d'ailleurs plus en profondeur cette question. Une telle norme obligatoire a l'avantage d'avoir un effet d'entraînement et d'obliger les acteurs à encourager les femmes à assumer des rôles d'autorité, parce que le chemin a été rendu possible. Mais, elles peuvent parfois aussi être source de ressentiment de la part des hommes ou d'un sentiment d'illégitimité chez les femmes nommées. D'ailleurs il est à remarquer qu'elles se rassurent beaucoup par leurs compétences (complexe de l'imposteur). Finalement, les quotas obligent à modifier leurs critères de leadership, ce qui peut aussi être fait volontairement.

L'évolution du paradigme dans lequel les femmes exercent le pouvoir est essentielle. Nous avons besoin de construire un mode de leadership intégrant des qualités mixtes: "masculines" -charisme, impartialité, capacité de décision, prise de risque- ainsi que des qualités "féminines" -sens du concret, qualité d'empathie et écoute, jeu collectif... Les moteurs des femmes semblent être bien adaptés à ce modèle d'entreprise plus flexible qui est en train d'émerger: des stéréotypes par défaut ou des faiblesses présupposées pourraient bien se révéler être des forces dans le modèle d'entreprise plus agile que requiert la globalisation.

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