Repenser le leadership : êtes-vous prêt à être un leader serviteur ?

Repenser le leadership : êtes-vous prêt à être un leader serviteur ?

Une version antérieure de l'article a été publiée dans ladn.eu.

Les postes de management ne font plus rêver : est-ce parce que nous avons été trompés sur ce qu'ils impliquent réellement ? Fabrice Cavarretta, expert en leadership, s'est penché sur cette question dans un article récent de la revue Organizational Dynamics, suggérant que nous devrions peut-être revoir notre façon de concevoir la gestion des ressources humaines.

Notre époque a un rapport ambivalent aux leaders. Non seulement les rôles d’encadrement classiques ne font plus rêver, mais l’idée même de leadership est devenue suspecte, car associée à de multiples hypocrisies. Dans le monde du travail, le mot renvoie à des marionnettes politiques au service de l’actionnaire ou à une grandiloquence liée à nos folies modernes, telles la Silicon Valley, ses visions, ses levées de fonds gargantuesques et ses utopies techno-industrielles. 

Pourtant, dans toutes les sphères de notre société, nous avons un besoin patent d’acteurs qui prennent à bras-le-corps les problèmes de l’écosystème qui les entoure : parents (écosystème familial), manageurs (écosystème d’équipe, de l’entreprise), éducateurs (écosystème de l’école), gestionnaires, usagers ou exploitants de terres (écosystèmes des jardins, cultures, forêts, marais et plantations), urbanistes et élus (écosystèmes de la ville, des territoires ou de larges communautés humaines), activistes (écosystème des actions collectives), leader (écosystème organisationnel), etc.  

Nos cultures occidentales ont idéalisé le leadership sous la modèle naïf et dépassé du taylorisme (chef = vision + planification). En chemin, on en a oublié de développer le goût pour sa réalité profonde : faire que le leader s’accomplisse à travers la réussite des autres.

Le leadership ne doit pas se mentir sur la réalité de sa tâche, à savoir principalement s’occuper des humains afin de réussir à accomplir une mission. Cela compris, la vraie difficulté est d’en développer une motivation, un goût, en arriver à développer une esthétique valorisante. 

Que de malentendus et de douleurs  

Beaucoup acceptent ou même recherchent cette responsabilité. Mais ils peuvent le faire pour des raisons erronées - pour la promotion, ou pour se gonfler du rôle de manageur taylorien, plein d’une vision à imposer au monde. Ils peuvent aussi l'accepter par naïveté - espérant continuer à se focaliser sur leur technicité antérieure, par exemple que la cheffe ingénieure reste juste la meilleure des ingénieurs, et que le chef des ventes, juste le meilleur vendeur. Ou ils peuvent l'accepter en espérant se débarrasser rapidement des problèmes humains, et enfin se consacrer à ce qu’ils perçoivent à tort comme le vrai travail - typiquement, la vision et la stratégie. 

Ces malentendus font que peu d’élus apprécient vraiment d’avoir la responsabilité d’humains, posant de nombreux problèmes et faisant du leadership un parcours d’ambitieux ou de déçus. Ils en arrivent à percevoir la tâche comme ingrate, envahis par un sentiment de fatigue et de découragement à devoir inlassablement traiter de problèmes en apparence peu valorisants. Cela limite non seulement leur plaisir, mais aussi leur efficacité. 

Ils ont raison, l’humain est une matière complexe et fuyante, tout du moins beaucoup plus complexe que n’importe lequel des matériaux d’activités alternatives. L’humain ment, n’est pas motivé, quitte ou ne prend même pas son poste, se plaint, etc. Certes, l’humain a aussi des qualités, et s’en occuper devrait amener des satisfactions. Étonnamment, il s’avère moins facile au leader qu’au boulanger, à l’ingénieur ou au médecin de développer et maintenir un vrai amour pour sa tâche réelle. 

Mettre les mains à la pâte 

Le leadership est un processus qui implique de mettre les mains à la pâte d’une manière que peu perçoivent correctement.. Pour la plupart des emplois, le parcours professionnel requiert des formations lourdes, initialement puis en continu, impliquant couramment des années d’apprentissage. En revanche, lorsqu'on occupe un poste de direction, il s'agit souvent d'un changement qui s'opère souvent sans formation spécialisée, et accompagné communément de juste quelques jours de formation et coaching de temps en temps. L’ampleur de la courbe d’apprentissage requise pour du leadership est par là très sous-estimée. 

Un changement de mentalité s'impose : le professeur Cavarretta insiste à ce que les aspirants dirigeants "abordent le leadership comme un sujet d'apprentissage, comme quelque chose pour lequel on continue à apprendre de manière significative au fil du temps". Quelque soit le moyen–programmes de type MBA ou coaching, ou lecture d’ouvrages dans des domaines tels que la psychologie, la sociologie et l'anthropologie–cela devrait impliquer des mois d’apprentissage focalisé sur l’humain.  Accepter d’apprendre va mécaniquement adresser le manque de motivation et corriger les hypothèses erronées sur le leadership.

Un autre changement de mentalité concerne le système de croyances et les valeurs associées au leadership. Le professeur Cavarretta a précédemment développé l'idée que soutenir des efforts sur le long terme revient à planifier un long voyage, et que nous pouvons considérer ce processus comme une boucle de performance : effort - performance - plaisir - motivation - effort. En d'autres termes, les dirigeants doivent apprécier de se jeter dans la boue avec leur équipe et faire le dur travail de gestion des personnes … avant de pouvoir tirer des bénéfices de leurs performances. Il est donc utile de prendre plaisir à faire ces efforts. 

Il suggère d'encourager les dirigeants à se voir "les ingénieurs de leur système social", un concept qui évoque la longue courbe d'apprentissage et le fait de déployer une quantité significative d'efforts avant de voir son travail porter ses fruits.

Il s'agit également d'embrasser la véritable nature de serviteur dans le travail de leader, et donc de développer un goût émotionnel et esthétique pour les relations avec les humains, pour des activités qui pourraient autrement être perçues comme douloureuses et sales... Cela aide les dirigeants à éviter d'être frustrés ou d'abandonner leurs responsabilités, et à ne pas perdre de vue l'essentiel : la fierté de prendre en charge les relations avec les personnes qu'ils dirigent. 

En revisitant la manière dont nous parlons du leadership, nous pouvons aider les futurs dirigeants à être mieux préparés à la réalité de leur travail et à rester motivés sur le long terme, un objectif important en ces temps difficiles.

Pour en savoir plus

Cavarretta, F. (2024). Weary of the harsh realities of people management? Leadership development as cultivating a taste for muddy situations. Organizational Dynamics, 101028.

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