Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief
Alors que le monde s’agite autour de la « grande démission » et que les organisations redoublent d’efforts pour embaucher de nouveaux talents, les demandeurs d’emploi sont avantagés — et les employeurs doivent se montrer compétitifs. Aujourd’hui, les salariés recherchent plus qu’un emploi — ils veulent une carrière qui a du sens et, de plus en plus, une carrière adaptée à leur vie. C’est là qu’intervient le concept d’entreprise à la carte (customized workplace), introduit pour la première fois par Hamid Bouchikhi (ESSEC Business School) et John R. Kimberly (Wharton School). Il s’agit de laisser les salariés prendre les rênes et personnaliser leur travail — dans la limite du raisonnable. Elle présente des avantages pour le salarié, qui profitera des avantages de cette flexibilité, et pour l’organisation, qui profitera des avantages de la satisfaction des salariés et d’une meilleure rétention.
Un changement de paradigme : mettre les salariés au volant
Les styles de gestion ont changé au fil des ans. Au XXIe siècle, les gestionnaires reconnaissent que les besoins de l’individu doivent être satisfaits et que les salariés doivent avoir leur mot à dire dans les décisions relatives au travail. Aujourd’hui, les individus ont davantage de contrôle sur leur vie professionnelle, y compris sur des aspects tels que le choix de leur employeur, le contenu, le moment et le lieu de travail, et la planification de leur carrière — des options qui n’étaient pas aussi disponibles pour les travailleurs il y a 100 ans et qui ne le sont pas encore partout. Cette tendance est au cœur de l’entreprise à la carte, un mode d’organisation qui permet d’équilibrer les désirs et les besoins de l’individu avec les contraintes et les objectifs de l’entreprise.
Dans une entreprise à la carte, le salarié est un entrepreneur de sa vie qui a un plan de vie stratégique (strategic life plan), plus ou moins explicite, et participe aux choix relatifs à son travail actuel et futur.
Ce type d’organisation s’appuie sur un certain nombre de principes, notamment :
● La reconnaissance des différences entre les personnes.
● La confiance en l’autre.
● L’écoute active.
● L’engagement et la responsabilité mutuels.
● Un management ancrée dans une relation entre adultes, plutôt qu’une relation entre supérieur hiérarchique et subalterne.
Ces éléments se prêtent à une structure hiérarchique plus horizontale, comme cela convient au XXIe siècle, car les personnes ont de plus en plus de ressentiment à l’égard des structures et des institutions verticales. Au lieu de cela, le management devient un contrat entre deux adultes avec une confiance partagée et une sécurité psychologique — un peu comme une relation inter-personnelle.
Les trois sphères du lieu de travail personnalisé
Les personnes savent qu’il existe un accord entre l’organisation et l’individu — de nos jours, c’est moins l’organisation qui dicte sa conduite à l’individu, mais cela va dans les deux sens.
Comment ? C’est là où intervient la décomposition de l’entreprise à la carte en trois sphères :
1. La sphère des non-négociables
○ Dans cette sphère, les employeurs n’ont aucune marge de manœuvre, et le comportement des employés est réglementé par la direction. Il peut s’agir du contenu d’un poste de travail, du lieu de son exécution, de règles et procédures, du salaire ou tout autre aspect du travail où l’employeur estime qu’il ne peut laisser aucune liberté de choix à l’employé.
2.Sphère du choix dans un menu
○ Dans cette sphère, les salariés peuvent choisir parmi quelques options. Aujourd’hui, de nombreuses organisations proposent aux employés des régimes de travail flexibles parmi lesquels ils peuvent choisir. D’autres vont jusqu’à permettre aux salariés de choisir leur ‘package’ de rémunération d’un menu offrant des combinaisons différentes entre fixe et variable, immédiat et différé, etc.
○ Pour de nombreuses organisations, pousser plus d’éléments de la première sphère vers la deuxième est un grand pas- les organisations les plus progressistes iront encore plus loin et pousseront plus de dimensions de l’organisation du travail vers la troisième sphère.
3. La sphère du libre choix
○ Ici, le salarié est libre d’agir comme il veut. Par exemple, si une organisation n’a pas de politique officielle en matière de vacances, les salariés peuvent prendre une pause quand ils en ont besoin. Un autre exemple est de laisser les salariés décider s’ils veulent travailler à domicile ou au bureau tous les jours, plutôt que d’avoir une politique fixe.
Les organisations déplaceront de plus en plus d’éléments de la relation de travail vers la sphère discrétionnaire, même s’il est plus facile pour les managers de tout avoir dans la première sphère. Le développement de cette sphère est inévitable dans une société où les individus agissent en entrepreneurs de leur vie et disposent de plus de choix dans de très nombreux domaines de leur vie.
Quels sont les avantages pour les salariés ? Pour les organisations ?
Un changement de mentalité s’est opéré au cours des dernières années, la pandémie ayant servi de catalyseur. Plus que jamais, les personnes recherchent un travail signifiant, utile et flexible. Ils souhaitent choisir le lieu, la quantité et le moment du travail. Le changement de mentalité nécessaire pour favoriser un lieu de travail personnalisable exige également de reconnaître qu’ils apportent tout leur être au travail.
Des employés épanouis, des employeurs heureux : l’organisation peut aussi en bénéficier, car elle pourra attirer et retenir les talents en offrant des conditions de travail uniques et alléchantes. Cela aidera particulièrement à recruter et à retenir les jeunes talents, car ceux-ci recherchent de plus en plus un travail utile et flexible, et sont parfois prêts à sacrifier leur salaire ou leurs avantages pour y parvenir.
Quels sont les obstacles ?
Jusqu’ici tout va bien, non ? Si l’entreprise à la carte présente incontestablement des avantages pour toutes les parties concernées, de nouveau modèle peut être difficile à promouvoir. Un élément clé est la culture managériale, qui doit être réceptive et favorable à l’idée, et donner le bon exemple. De même, les normes du lieu de travail et les relations sociales jouent un rôle important : si cette façon d’agir n’est pas largement pratiquée et si les collègues n’y adhèrent pas, il peut être plus difficile d’obtenir l’adhésion des gens. Les gens ont tendance à avoir leurs habitudes, à la maison comme au travail, et l’adaptation des habitudes de travail peut constituer un obstacle.
Enfin, la réglementation du travail est profondément ancrée dans le modèle traditionnel, où le travail est effectué sur un site physique déterminé et selon des horaires fixes. Le nouveau modèle de travail, individualisé, nécessitera des modifications importantes du droit du travail.
En quoi cela est-il utile dans un monde post-pandémique ?
COVID-19 a accéléré des tendances qui existaient depuis un certain temps, comme le travail à distance et les horaires flexibles. En effet, elle a transformé ces pratiques de tendances en pratiques courantes — et maintenant que les employés et les demandeurs d’emploi voient qu’il est possible de travailler à domicile et d’adapter ses horaires à son style de vie, ils rechercheront ces caractéristiques dans leurs postes actuels et futurs, même si nous sortons doucement de la pandémie. Cela signifie que la direction doit réfléchir à des moyens de retenir et de recruter les bons éléments — et l’un d’entre eux consiste à leur donner un mot à dire sur leur carrière et à leur offrir un lieu de travail personnalisable.
Les managers doivent comprendre que l’entreprise à la carte met l’accent sur l’être, et pas seulement sur les initiatives de bien-être — bien que les deux soient importants. « Être » fait référence au fait de donner aux gens leur mot à dire sur ce qui se passe, et d’accepter les gens tels qu’ils sont. Cela implique de partager avec eux la charge de l’organisation et de la gestion. Bien qu’il soit également utile d’investir dans le bien-être matériel des employés, la direction ne doit pas oublier l’importance de l’être. Un programme de bien-être qui ignore, ou même cherche à détourner l’attention de l’être, est voué à l’échec.
L’entreprise à la carte reconnaît les désirs, les besoins et les préférences des employés et cherche à en faire un levier de performance dans la poursuite des objectifs et l’observation des contraintes de l’organisation. Serait-ce la voie à suivre pour le management du 21e siècle ?