Mobiliser l’intelligence artificielle pour innover en entreprise

Mobiliser l’intelligence artificielle pour innover en entreprise

A cette époque de bouleversements numériques majeurs, il n’a jamais été aussi vital pour les entreprises de savoir innover. L’intelligence artificielle (IA) est l’une des nouvelles technologies les plus utiles pouvant les aider à générer et mettre en oeuvre des idées innovantes et disruptives  en rendant plus accessibles des produits et des services à très haute valeur ajoutée. En ce qui nous concerne, de nouvelles applications liées à l’IA pourraient être conçues afin d’aider les innovateurs dans les entreprises à identifier les problèmes auxquels il faudrait s’attaquer en priorité. Ce faisant, ces applications pourraient créer de la valeur pour chaque individu au sein de l’organisation, et même de la société toute entière. Ainsi, je me base sur des recherches portant sur la distorsion de données, sur les schémas mentaux et sur les dynamiques de collaboration afin  d’avancer trois propositions sur la manière dont l’IA pourrait atténuer les biais inhérents à la cognition humaine dans l’objectif d’aider les innovateurs et les entreprises à identifier avec justesse les problèmes à résoudre liés aux tentatives d’innover.

S’attaquer aux bons problèmes et innover

Dans leurs travaux reconnus sur la recherche des problèmes, Jacob Getzels et Mhilay Csikszentmihalyi[1] postulent que les solutions les plus créatives proviennent des personnes qui s’engagent dans une démarche continue de reformulation du problème auquel ils font face. Autrement dit, nous sommes plus créatifs lorsqu’on s’attache à identifier et à redéfinir continuellement le problème à résoudre. Il s’avère que trouver ce bon noeud est en fait assez complexe et en premier lieu car cette démarche n’est pas du tout naturelle. D’une part, le comportement normal qu’on adopte face à un problème rencontré est d’initier un brainstorming. Cette tendance à réfléchir immédiatement aux solutions plutôt qu’au problème témoigne d’une compréhension subjective de ce dernier, biaisée par les limites du regard individuel, ce qui inhibe l’innovation. Pour atténuer cet effet-là, les entreprises envisagent l’innovation au travers de données, d’expertise et de collaboration.

Distorsion de données

Premièrement, les entreprises collectent et utilisent des données pour atténuer le biais inhérent à la recherche de problèmes. La collecte de données se fonde sur l’adage selon lequel plus on détient de données sur le marché ou le consommateur cible, plus on est à même de connaître ses clients et donc les problèmes auxquels ils sont confrontés. Cependant, des travaux de recherche ont montré que nous avions tendance à collecter des informations qui sont déjà en cohérence avec nos attentes ou préférences initiales[2]. C’est-à-dire que notre tendance naturelle est de mettre en évidence des données qui renforcent ou confirment notre compréhension initiale du problème, plutôt que des données fournissant une compréhension différente de notre perception initiale.

En l'occurrence, l’IA peut permettre des avancées importantes : une application peut être développée pour permettre la collecte de données non biaisée, afin de mettre en place une recherche des problèmes justes plus efficace. Elle pourrait être conçue avec un algorithme fondé sur le modèle de mélange gaussien typique de l’apprentissage non supervisé, afin d’augmenter la collecte de données sous-jacentes à l’innovation, en aidant l’innovateur à développer des connaissances plus approfondies de ce que souhaite le client. Ce faisant, l’innovateur est alors plus à même de pouvoir identifier les opportunités pouvant mener à une innovation.

Les schémas mentaux

Deuxièmement, les entreprises recrutent en général des innovateurs dotés des compétences adéquates. Les travaux portant sur les schémas cognitifs sous-jacents à la définition de stratégie chez l’individu se sont intéressés au rôle de la représentation mentale que se fait l’innovateur de la position concurrentielle de son entreprise[3]. La représentation mentale, ou schéma mental, de l’innovateur s’effectue en faisant en permanence un lien entre ses expériences passées et la situation actuelle, afin d’identifier quels sont les avantages concurrentiels de son entreprise. C’est d’autant plus vrai  s’il doit trouver des réponses stratégiques à des problèmes nouveaux.

En ce sens, l’IA peut apporter une autre contribution significative : une application peut être développée afin de tenir compte des schémas mentaux déséquilibrés et favoriser la juste détermination de la problématique.

Troisièmement, les entreprises constituent les équipes d’innovateurs. Les équipes en charge de l’innovation sont généralement mises en place pour maximiser la multitude d’expertises et de connaissances. Toutefois, des sources d’informations, des structures cognitives et des objectifs hétérogènes au sein des équipes créent des écarts de représentation qui empêchent parfois la bonne détermination stratégiques des problèmes. Le succès de cette formulation stratégique est mesuré à la fois par l’exhaustivité et par la pertinence. En tant que tels, les travaux de recherche suggèrent que les équipes en charge de l’innovation peuvent atteindre cette même exhaustivité et cette pertinence lorsque les membres des équipes sont en mesure de contester librement et de manière constructive les opinions et les idées des autres de façon à ce que le biais d’information soit atténué pour parvenir à une compréhension multiforme du problème[4].

A cette fin, l’IA peut apporter une troisième contribution significative : une application peut être déployée afin de soutenir la dynamique de collaboration et ainsi encourager la formulation efficace des problèmes auxquels sont confrontées les équipes en charge de l’innovation. Par exemple, dans une étude portant sur les processus organisationnels dans une entreprise de commerce de détail en forte croissance exploitant environ 400 magasins, Scott Sonenshein[5] a découvert comment cette entreprise utilisait ces processus routiniers pour établir une identité organisationnelle claire et stimuler la créativité. Plus précisément, les clients peuvent entrer dans n’importe quel magasin, à n’importe quel endroit, et reconnaître instantanément la marque. Pourtant, le client bénéficie toujours d’une expérience unique, propre à chaque magasin. L’entreprise y parvient en définissant un ensemble de processus qui doivent être standardisés (par exemple, le présentoir à bijoux doit être placé à l’avant du magasin), et en définissant par ailleurs des zones de liberté pour donner libre cours à la créativité (par exemple, il n’y a pas de règle quant aux bijoux à disposer dans le présentoir).

Finalement, je pense que l’IA est une des innovations les plus importantes de ces dernières années, qui permet de créer de la valeur non seulement pour les entreprises mais surtout pour la société en général. Je crois que les nouvelles technologies d’IA devraient être conçues dans l’objectif d’aider les innovateurs à mieux comprendre les problèmes auxquels ils font face, et dans l’objectif de créer de la valeur pour chaque individu d’une organisation, d’une communauté et de l’ensemble de la société.

[1] Getzels, J. W., & Csikszentmihalyi, M. (1976). The Creative Vision: A Longitudinal Study of Problem Finding in Art (New York, NY: Wiley)
[2] Russo, J. E. Carlson, K. A., Meloy, M. G., & Yong, K. (2008). The goal of consistency as a cause of information distortion. Journal of Experimental Psychology: General, 137(3): 456-470.
[3]Baer, M., Dirks, K. T., & Nickerson, J. A. 2013. Microfoundations of strategic problem formulation. Strategic Management Journal, 26: 691-712.
[4]Yong, K., Sauer, S. J., & Mannix, E. A. (2014).  Conflict and creativity in interdisciplinary teams. Small Group Research, 45(3): 266-289.
[5]Sonenshein, S. (2016). Routines and creativity: From dualism to duality. Organization Science, 27(3): 739-758.

ESSEC Knowledge sur X

Suivez nous sur les réseaux