Pourquoi certains pays sont-ils riches alors que d’autres restent relativement pauvres ? Quand nous parlons de la mondialisation, le plus souvent dans notre analyse nous n’observons pas attentivement l’activité économique à l’intérieur de chaque pays. Regardons donc dans cet article ce qui se passe à l’intérieur de l’Inde.
Pourquoi certains pays sont-elles riches alors que d’autres restent relativement pauvres ? De nos jours, la mondialisation économique accélérée donne une importance nouvelle à cette question. Mais, comme l’explique Arijit Chatterjee, les débats ont été dominés jusqu’à présent par une vision caricaturale.
« En tant qu’êtres humains, nous avons tendance à simplifier les choses complexes en instaurant des supra-catégories. Cela conduit à mettre en relief les différences entre le « nord » et el « sud », à regrouper les pays dans des entités plus larges telles que l’Europe ou l’Asie, et à les cataloguer comme des pays « développés » ou « en développement ». Cette vision a des avantages mais peut conduire à des conclusions erronées. Quand nous parlons de la mondialisation, le plus souvent dans notre analyse nous n’observons pas attentivement l’activité économique à l’intérieur de chaque pays. Regardons donc dans cet article ce qui se passe à l’intérieur de l’Inde.
Or il existe vraiment des disparités importantes entre les régions d’un même pays. Par exemple, les inégalités entre les provinces ont augmenté en Chine, où la croissance économique s’est concentrée sur les régions côtières, tandis que le sud du Brésil représente à lui seul 75 % du PIB. De nombreuses raisons font que la croissance économique en Inde a également eu lieu de manière inégale selon les régions, les régions de l’est étant restées globalement plus pauvres que les régions de l’ouest et du sud. Il y a quinze ans, Jairam Ramesh, actuellement ministre du développement rural, avait fait remarquer que si l’on traçait une ligne longitudinale sur Kampur, ville de l’Inde du nord, on observerait que la région située à l’ouest de cette ligne ne cesse de prospérer encore plus chaque année, tandis que la région se trouvant à l’est de cette ligne reste pauvre de manière significative.
Pourquoi cet écart entre l’est et le reste du pays ? Il faut prendre en compte de nombreux facteurs pour expliquer ce phénomène. En premier lieu, la réponse à cette question peut se trouver dans l’histoire coloniale complexe de l’Inde. « L’est de l’Inde a été la première région être colonisée par les Britanniques, vers 1757, et les systèmes de revenus fonciers de la région étaient différents de ceux instaurés à l’ouest et au sud, explique le professeur Chatterjee. Le facteur majeur qui explique la pauvreté continue était une absence dès le départ de droits sur la propriété privée. Les propriétaires terriens absentéistes ne faisaient rien pour améliorer les infrastructures et le développement de l’est a toujours été retardé depuis cette époque. » Outre l’histoire, d’autres causes sont à rechercher dans les décisions politiques, la présence (ou l’absence) de milieux d’affaires, d’infrastructures et d’accès aux ressources.
La remarque de Ramesh sur ces inégalités économiques a des implications importantes aujourd’hui. La position de l’Inde en tant qu’économie émergente et son taux de croissance impressionnant a renforcé les inégalités dans le pays, au moins jusqu’à présent. Et des différences culturelles accompagnent les écarts économiques. « L’Inde est un pays remarquablement divers. Il n’y a pas moins de 22 langues officielles reconnues par la Constitution, sans parler des différentes cultures, manières de cuisiner, religions et traditions du pays. La structure politique est fédérale et la diversité interne est telle que les migrations entre États, à la recherche d’opportunités économiques, ont souvent entraîné des problèmes en termes de langues utilisées, de célébrations de festivals, et d’assimilation avec les traditions locales. »
Si les écarts de prospérité –la fracture de plus en plus grande entre les régions riches et les régions pauvres, a été dans un passé récent une réalité économique, le professeur Chatterjee affirme que cela ne peut plus continuer. Le risque d’instabilité politique est trop élevé dans un pays jeune, où plus de la moitié de la population -600 millions de personnes- a moins de 25 ans. Il pense que cette phase de divergence a atteint son maximum, les discours politiques régionaux sont passés de la déploration à l’espoir et la convergence se forme peu à peu.
« Quelque soit la méthode pour estimer la pauvreté –en se basant sur le revenu courant ou l’apport calorique-, les résultats chiffrés sont stupéfiants. Un rapport de l’Université d’Oxford paru en 2011, qui mesurait la pauvreté selon les trois critères de l’éducation, de la santé et du niveau de vie, est parvenu à la conclusion que 650 millions de personnes en Inde vivent dans la pauvreté et qu’une grande majorité d’entre eux habitent « à l’est de Kampur ». Une commission d’aménagement avait établi un point de référence de 32 roupies (60 centimes d’euro) de revenus journaliers pour pouvoir accéder aux nombreuses initiatives gouvernementales de lutte contre la pauvreté, mais le projet avait été abandonné après avoir été férocement critiqué par différents acteurs. « À quel niveau de pauvreté pouvez-vous rester ? » La seule chose à faire, c’est d’aller de l’avant. Nous sommes dans une période où nous comblons notre retard ; les différences de productivité ne sont pas définitives, les gens peuvent être formés et employés, ou ils peuvent devenir entrepreneurs ; les services de santé peuvent être améliorés, et les infrastructures de base telles que le réseau routier et électrique peuvent augmenter la mobilité et la connectivité qui améliore l’accès aux marchés.
La divergence et la convergence sont des phénomènes qui s’observent tout au long de l’histoire. De vastes entités, telles que l’empire des Habsbourg, les États-Unis ou le Royaume-Uni ont connu en période de croissance économique un schéma similaire : des divergences apparaissent au début, s’exacerbent du fait de la croissance rapide, puis peu à peu la convergence apparaît quand les régions les plus pauvres réalisent au fur et à mesure leurs aspirations à une égalité relative. »
Des signes de convergence commencent à apparaître dans les États indiens traditionnellement pauvres, tels que le Bihar, qui connaît à présent une croissance impressionnante de 13 % alors que les médias propagent sans cesse une vision sinistre de l’économie mondiale. Cette situation crée de formidables opportunités pour les dirigeants tant de petites que de grosses entreprises dans des régions qui auparavant connaissaient des taux de croissance économique faibles.
« C’est dans les périodes de convergence que les opportunités sont les plus grandes dans ces régions en retard. Il y a des grandes opportunités pour remplir les vides institutionnels, développer les infrastructures et lancer l’urbanisation. Les entreprises développent déjà le réseau ferré, les routes de campagne et de nouveaux moyens de transports en commun, construisent des tours d’habitation et de nouveaux aéroports, et développent des centres de recherche de niveau mondial. Du point de vue d’une entreprise, la diversification des lieux d’implantation peut préparer la voie à de nouveaux produits adaptés aux nouveaux marchés. Si bien que quand les entreprises s’interrogent sur les nouveaux marchés à prospecter, elles sont de plus en plus attirées par l'est de l’Inde. »
Ces régions pauvres comprennent des millions d’habitants et figurent pour la plupart parmi les régions les plus densément peuplées au monde. Cela se traduit par des millions de rêves et d’aspirations qui ne peuvent se réaliser que grâce à la croissance économique, au développement des infrastructures et aux investissements. Et même si cela signifie une exploitation colossale des ressources et l’accroissement des problèmes environnementaux pour la planète, cela encourage aussi les idées innovantes à répondre à cette demande en tout ayant un impact moindre sur les ressources mondiales.