Les marques de luxe émergentes peuvent-elles concurrencer "la vieille école"

Les marques de luxe émergentes peuvent-elles concurrencer "la vieille école"

Ashok Som, co-directeur du programme ESSEC-Bocconi EMilux, Professeur titulaire du département Management à l’ESSEC Business School et expert en produits et services de luxe, partage son étude récente sur les marques de luxe émergentes et étudie les conditions et compétences nécessaires à leur succès. 

Ca trotte dans la tête et c’est au bout de la langue

Dior, Chanel, Gucci, Rolex, Dunhill, Armani, Vuitton – autant de marques prestigieuses que nous reconnaissons immédiatement. Daslu, Concern Kalina, Ganjam, Shang Xia n’invitent pas forcément à la même réaction. Connaissez-vous ces marques ? A moins que vous ne soyez un expert, un mordu de mode ou que vous ayez fait le tour des mégapoles mondiales, il est probable que vous ne connaissiez pas ces noms. Et pour les citoyens des pays développés, habitués à des décennies voire des siècles de marques haute-couture, cela va de soi. Car ces noms font partie des nouveaux-arrivants sur le marché, et sont des marques émergentes issues des BRICS qui ont décidé de se lancer dans le luxe. On compte de nombreuses autres marques de luxe nées dans les pays émergents, et qui aspirent à devenir des marques globales. Ces marques doivent désormais faire face à un double défi, défendre leurs positions sur leur marché domestique et, si possible, gagner des parts de marché à l’étranger. 

Contrairement aux marchés européens, japonais et nord-américains, où les consommateurs ont atteint un certain niveau de compréhension et sophistication, les marchés émergents débutent encore dans le développement d’image de marque. D’une part, l’information asymétrique, les régulations mal menées, les systèmes judiciaires inefficaces, le manque de règles en matière de DPI et les lois complexes relatives au marché du travail rendent l’essor, l’innovation et la création difficiles pour ces marques. D’autre part, l’état d’esprit, la complexité des structures d’entreprise, la diversité démographique et l’étendue géographique supposent une stratégie de marque particulière. Etant donné ce contexte, quelles conditions et compétences peuvent aider les marques de luxe nées dans les économies émergentes à atteindre leurs objectifs ? 

Héritage de la marque : une question immémoriale

L’héritage et l’histoire d’une marque sont souvent les points de départ pour les marques de luxe des marchés émergents. La marque brésilienne Daslu, par exemple, a le potentiel pour s’étendre sur d’autres marchés sud-américains tels que l’Argentine ou le Chili étant donné qu’elle est bien établie et connue sur son marché d’origine et peut se vanter de ses 50 années d’existence. La marque est aussi considérée comme un repère du luxe pour les consommateurs brésiliens étant donné qu’elle a été le premier point de vente de produits de luxe au Brésil. Cela dit, son développement sur d’autres marchés internationaux tels que l’Amérique du Nord, l’Europe ou l’Asie supposerait non seulement du temps mais aussi des ressources considérables pour la marque, comme ce fût le cas pour un autre créateur de luxe au Brésil, H. Stern.

Construire un héritage de marque est essentiel pour toutes les marques issues des marchés émergents, étant donné les taux de croissance attendus dans ces pays et le ralentissement économique des grandes puissances telles que les Etats-Unis. Il est important pour ces marques d’établir des bases solides dans leurs marchés domestiques pour bénéficier de leur statut de marque historique une fois que ces économies auront atteint le statut de leader.  

Association historique

Les marques de luxe issues des pays émergents peuvent aussi connaître du succès hors de leurs marchés domestiques sous réserve qu’elles soient associées à une période perçue comme « glamour ». Prenons l’exemple de Shanghai Tang : cette marque était perçue par les consommateurs occidentaux comme une « marque kitch pour touristes », le contraire du luxe. Les occidentaux pouvaient acheter des souvenirs, mais ces produits n’étaient majoritairement pas associés à l’authenticité ou le luxe. Ceci s’explique par le fait que le design de la marque était associé avec le Shanghai des années 1920-1930, qui n’est pas considéré comme l’héritage chinois « glamour ». En revanche, NE-Tiger a pu profiter de son inspiration et association à la dynastie Tang, une dynastie considérée comme « branchée », à une époque où la Chine était une puissance mondiale florissante. Il en est de même pour la marque de bijoux indienne Ganjam. La marque est associée à une belle période de l’histoire indienne, durant laquelle les Maharajas vivaient dans l’opulence et portaient des bijoux faisant l’objet de commandes spéciales auprès d’artisans locaux mais aussi auprès de marques comme Cartier ou Chaumet. 

Utilisez les emblèmes de votre pays 

La réussite à l’international suppose quasi-systématiquement le succès domestique préalable des marques issues des pays émergents. Pour ce faire, il est essentiel d’associer ses produits aux techniques et artisanat traditionnels propres aux pays d’origine. On peut notamment citer les conceptions indiennes de Manish Arora, la soie utilisée par Kimaya ou le cuir de Hidesign. Un autre exemple est les techniques utilisées par Shang Xia, qui s’associent elles aussi à l’héritage chinois et à une période où la Chine était reconnue mondialement pour la délicatesse de son artisanat. 

L’association… ou pas 

L'association d’une marque à l’image positive d’un pays peut, de manière générale, être utilisée pour construire la réputation de marque. Un excellent exemple est celui de Carlos Miele ou Lenny, au Brésil. Ces marques sont associées à un style de vie brésilien perçu comme très glamour par les occidentaux : leurs publicités se déroulent sur la plage d’Ipanema évoquant un Brésil coloré, avec de ravissantes femmes qui aiment s’amuser et danser – scènes qui inspirent leurs collections très colorées. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les Havaianas brésiliennes ont eu un tel succès, devenant leader sur le marché de chaussures de plage. 

Enfin, les marques issues des pays émergents peuvent choisir de ne pas ou peu s’associer avec son pays d’origine, comme c’est le cas pour H. Stern. La majorité des consommateurs n’ont pas conscience des origines brésiliennes de la marque, dont les bijoux sont comparables à d’autres marques dans le monde. En effet, bien que certaines pièces de la collection gardent une influence brésilienne, l’entreprise ne s’associe pas à la culture du pays, tout comme son concurrent américain, David Yurman.

Développement international, croissance et en avant !

La majorité des marques issues des pays émergents appartiennent à des sociétés familiales ou privées, à l’exception de quelques acteurs tels que Shanghai Tang (détenue par Richemont). Il est par conséquent difficile de mesurer le succès réel de ces marques, étant donné que peu d’informations sur leurs chiffres d’affaires et gestions financières sont publiées. 

Cependant, les marques émergentes peuvent espérer – si elles s’y prennent correctement – devenir des cibles potentielles pour les conglomérats. Le scénario habituel est que les conglomérats attendent que les marques prouvent leur profitabilité avant de les acquérir. En effet, pour les conglomérats, les marques de luxe issues des marchés émergents constituent une opportunité considérable, leur permettant d’augmenter la compétitivité de la marque et sa présence sur son marché domestique émergent, tout en soutenant leur développement sur les marchés occidentaux, où ils ont peut-être déjà des réseaux de distribution et une influence sur le processus de commercialisation. Par ailleurs, le conglomérat permet d’augmenter les capacités en termes de distribution et de production dans ces marchés émergents, et de créer des synergies entre différentes entreprises. Des géants du luxe tels que Richemont, ou des investisseurs privés tels que L Capital (la société de capital d’investissement du Groupe Arnault), ont déjà investi, acheté et même quitté de nombreuses marques de luxe issues des pays émergents et sont en première ligne de cette tendance. 

 

Liens utiles : 

ESSEC Knowledge: Cutting-edge research – made practical    

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