Quand une entreprise multinationale et une banque de développement communautaire se rencontrent par hasard, une success story sociale commence, faisant passer le social avant le financier. L’objectif ? Créer des emplois et améliorer la nutrition au Bangladesh, un des pays les plus pauvres au monde.
Quand Franck Riboud, PDG du groupe Danone, et Muhammad Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix et du prix Nobel d’économie et fondateur de la Grameen Bank, se sont rencontrés par hasard en 2005, un modèle d’entreprise sociale était né. À l’intérieur, deux organisations phares allieraient leurs forces pour combattre la malnutrition et offrir des possibilités d’emploi au Bangladesh, un des pays les plus pauvres au monde. Le produit se nomme Shokti Doi et consiste en un yaourt riche en oligo-éléments essentiels mais absents de l’alimentation des Bangladais.
L’objectif consiste à investir le moins de capitaux tout en payant au prix fort la main-d’œuvre et les matières premières –et sans recourir aux subventions. Même si Danone et Grameen Bank se mis sont d’accord pour faire passer en premier les objectifs sociaux de leur entreprise, le défi a consisté à assurer la pérennité financière. Pour ce faire, les deux partenaires ont dû remettre en questions les modèles traditionnels d’entreprenariat.
Les choses sont restées simples. L’usine pilote, située à Bogra au Bangladesh, a été réalisée en fonction des besoins spécifiques du projet. Le nombre de machines automatiques et complexes a été réduit au minimum, afin d’augmenter les besoins en main-d’œuvre et ainsi de créer plus d’emplois pour les locaux, tout en réduisant les coûts d’investissement initiaux et en limitant les coûts de maintenance future. Cela a permis également de maintenir au plus bas l’empreinte carbone ainsi que l’impact environnemental de l’usine.
Grameen Danone Foods SaRL (GDFL), joint-venture en partenariat 50/50, s’est parfaitement prêté aux ambitions du projet. Pour ce qui est des actifs incorporels, Danone a apporté ses compétences en design, production, qualité et nutrition. Grameen a apporté de son côté son réseau aux nombreuses ramifications dans le pays, ce qui en a fait un expert pour la distribution dans la distribution des produits et services dans les communautés rurales bangladaises.
Un facteur-clé pour la réussite de ce projet a en effet été l’expérience de terrain de Grameen Bank, en particulier en ce qui concerne la vente et la distribution du produit. Le marketing du produit dépend largement du bouche-à-oreille. « Les clients potentiels ne sont pas toujours alphabétisés, préoccupés par la nutrition ou en mesure de voyager au loin, explique Wahidun Nabi, chef de projet pour GDFL. C’est pourquoi la vente en porte-à-porte est importante, pour présenter le produit aux gens et leur expliquer qu’il peut combler leurs carences nutritionnelles.
Le prix du yaourt a été fixé sur celui du lait, produit par des micro-fermes locales. Toutes les vendeuses, ou shokti-ladies, ont été recrutées par Grameen, qui a à la fois créé des emplois locaux et contribué à faire parler des bienfaits du produit au niveau local. Tandis que les salaires des employés de GDFL sont comparables à ceux d’autres entreprises dans le pays, les shokti-ladies de Grameen travaillent à leur compte, prenant une commission de 1 taka pour chaque shokti doi vendu. Tous les bénéfices éventuels sont exclusivement destinés à financer de nouveaux investissements, sans qu’il y ait de dividendes pour les entreprises partenaires.
La véritable priorité de ce projet réside dans son impact social. Le produit répond d’abord et avant tout aux besoins nutritionnels des populations locales : les équipes de recherche de Danone ont en effet développé une formule de yaourt enrichi avec 30% des oligo-éléments (vitamines et sels minéraux) dont un enfant a besoin, le tout à un prix abordable pour les familles bangladaises les plus pauvres. La première des priorités est de vendre le yaourt dans les villages, afin d’atteindre les familles les plus pauvres.
En revanche, pour des raisons de rentabilité, le produit est également vendu en ville. Les réseaux de distribution ne sont par conséquent pas les mêmes, ni les techniques de vente. Il existe une distinction entre la vente en porte-à-porte faite par des « shokti-ladies » et la vente en ville dans des magasins et sur les étals par des « assistants de vente ».
En outre, les usines Grameen Danone au Bangladesh aident à combattre l’exode rural et à favoriser le développement. Danone est allée plus loin en 2007 en lançant un fonds commun nommé Danone Communities. Il s’agit d’un instrument financier pour GDFL, mais aussi pour d’autres initiatives d’entreprenariat social. À présent, Danone Communities est en train de devenir un réseau d’entreprises sociales centrées autour de la réduction de la pauvreté et de l’enraiement de la malnutrition.
En général, la réflexion sur le rôle que les entreprises peuvent avoir dans la lutte contre la pauvreté évolue lentement. Le discours altermondialiste a tendance à diaboliser les multinationales, tandis que le discours libertaire a tendance à exempter les entreprises de leurs responsabilités sociétales. Entre les deux, la plupart des grandes entreprises occidentales admettent qu’elles doivent accepter une certaine responsabilité sociétale et s’engager pour assurer de bonnes conditions de travail, le respect des droits de l’homme, la protection de l’environnent et le soutien à l’entreprenariat social.
Comment peut-on créer de nouveaux modèles d’entreprise cohérents avec les objectifs du développement durable ? Comment peut-on modifier le modèle de création de valeur des entreprises pour assurer leur existence dans un monde où les inégalités ne cessent d’augmenter et où de nombreux besoins humains doivent être satisfaits ? Le modèle de Grameen Danone offre de nouvelles possibilités intéressantes pour les pays émergents.
Lisez l’étude de cas originale de Cécile Renouard sur CCMP.