La logique du luxe dans les économies émergentes

La logique du luxe dans les économies émergentes

La logique du luxe dans les pays émergents nécessite qu’on lui porte une attention soutenue. Ce qui m’intrigue, c’est pourquoi les consommateurs du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine (les BRIC) représentent-ils actuellement entre 18 et 22 % du marché mondial du luxe ? Ce marché connaît dans ces pays une croissance de 20 à 30 % et on estime que les BRIC représenteront environ 36 % du marché mondial du luxe en 2015 et comporteront le plus grand nombre de consommateurs de luxe.

Les crises financières de 2008 ont révélé que le secteur du luxe n’échappait pas aux crises. Celles-ci trouvent leur origine dans le secteur bancaire aux États-Unis, en Europe occidentale et au Japon, pays qui ont été très affectés par ces mêmes crises. Nous le savons tous, la France est le berceau de la plupart des marques de luxe, suivie par l’Italie. Or le marché le plus important après l’Europe se trouvait au Japon, qui a été durement touché par la crise. C’est la Chine qui porte actuellement le poids de la crise ou qui louvoie autour. La Russie a de l’argent, des connaissances et de l’expérience en matière de luxe ; deux villes russes, Moscou et Saint-Pétersbourg ont un bon potentiel pour la consommation de produits de luxe. La situation est tout autre en Chine ; c’est dans ce pays que se trouve la plus forte croissance du secteur du luxe et la croissance a été exponentielle dans les 6 ou 7 dernières années. Bien que nous ayons toujours vu la Chine et l’Inde comme le dragon et l’éléphant, les consommateurs chinois de luxe veulent des produits indiquant ostensiblement leur statut social. Ces consommateurs manifestent le « symptôme de la libération », quand une limite ou une restriction en vigueur pendant longtemps tombe et que par conséquent les sujets deviennent exubérants et ressentent un besoin urgent d’expérimenter et de posséder toutes les bonnes choses de la vie. Dans ce cas, le marché est largement conduit par la stratégie du logo.

Les consommateurs indiens, à l’inverse, ont conscience de la valeur du luxe et sont sans cesse à la recherche de produits et de services de mode et de beauté, qui sont intrinsèquement complémentaires. Ces consommateurs accordent une grande importance à la connaissance du métier et aux valeurs, ce qui crée un attachement sur le long terme avec la marque. Par conséquent, l’implantation et la diffusion des produits en Inde est un défi pour la plupart des marques de luxe. Seul Louis Vuitton peut se targuer de faire des bénéfices dans le monde du luxe en Inde. Les attentes des consommateurs sont très différentes dans les BRIC. Les consommateurs chinois veulent surtout des produits indiquant ostensiblement leur statut social, suivant la « stratégie du logo ». Plus le logo est grand, plus grande est la tendance à en faire étalage. Les consommateurs indiens sont différents ; ils ont plus conscience de la marque et cherchent probablement à personnaliser leurs besoins. Par conséquent, un consommateur chinois et un consommateur indien ne cherchent pas la même chose dans le luxe. En Russie, les consommateurs s’attendent à ce que les produits de luxe soient un mélange de tradition, de modestie et de richesse. Il est intéressant de constater que les consommateurs russes achètent souvent des produits vendus plus chers que leur prix usuel car ils aiment montrer qu’ils peuvent dépenser telle ou telle somme pour un produit qui en vaut la peine. Pour conclure, les consommateurs de ces pays ont de plus en plus conscience que le statut compte, en plus de la qualité.

Il en va différemment du Brésil, un pays riche en vastes ressources naturelles dont des pierres précieuses. Ce pays compte plus de 180 millions de consommateurs  et a une gestion financière assurée, qui a joué un grand rôle en empêchant les investissements étrangers de quitter le pays. Le secteur du luxe au Brésil est favorisé par la présence de vastes gisements de ressources naturelles, dont des pierres précieuses comme l’émeraude et la tourmaline, ce qui permet à des entreprises comme H. Stern d’être complètement intégrées, depuis les mines jusqu’à la vente au détail. Le secteur brésilien de la mode est particulièrement dynamique et peut tout produire en interne, mais jusqu’à présent il s’est concentré sur le marché domestique. Néanmoins, au vu du savoir-faire local pour lancer des marques, il se peut que les marques brésiliennes émergent davantage en se lançant à l’international. Il y a un milliard de consommateurs et le leur potentiel de consommation pour les articles de luxe est vaste –il comporte des défis, des avantages et des défauts.

Le premier défi majeur dans ces marchés est l’éducation et la connaissance du secteur du luxe. L’expérience nous a appris que l’éducation faisait la différence dans le secteur du luxe et que ceux qui connaissaient le produit aimaient comparer, confronter, observer et expérimenter ce qui leur plaisait avant d’acheter. Il est en effet important pour le secteur du luxe de comprendre la demande et les marchés car le secteur n’a pas de stratégie globale. Le second défi concerne la taille et la population de ces pays. Les BRIC sont les pays les plus peuplés au monde. Pris ensemble, ils comportent un peu plus de 3 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale. Ces pays ont des marques qui ont connu leur heure de gloire dans le passé, même si elles n’ont pas eu de notoriété mondiale comme les marques françaises ou italiennes. Il est en revanche faux de dire que les consommateurs de ces pays ne veulent que des marques venant du monde développé, c’est-à-dire des marques françaises et italiennes. Le troisième défi concerne la distribution. En France et en Italie, la plupart des boutiques de luxe sont regroupées dans trois ou quatre rues. Par exemple, la place Vendôme, l’avenue Montaigne et la rue Cambronne à Paris sont connus comme emplacement de boutiques de luxe, mais en Chine, en Inde, au Brésil et en Russie il n’y a toujours pas beaucoup d’endroits entièrement dédiés au luxe.

Pour revenir à la question clé de la logique du luxe dans les marchés émergents, il faut dire qu’il n’y a pas de réponse aisée. Hermès a lancé en Chine Shang Xia, une marque de luxe locale, faite en Chine, pour la Chine et vendue en Chine. En lançant sa première boutique à Shanghai, Hermès a créé pour la première fois de son histoire une marque séparée et qui génère des revenus à partir de produits fabriqués en Chine. L’exclusivité, la production en séries limitées et la grande qualité des produits fabriqués en France font partie de l’identité de la marque dès ses débuts. Contrairement à Louis Vuitton et à Gucci, Hermès a connu un rythme d’expansion plus lent afin de préserver son exclusivité et garder son image de véritable marque de luxe. À l’inverse, Chanel a lancé des collections spécifiques pour les consommateurs chinois. La dernière mode est une longue robe fuselée, dans un tissu précieux et raffiné, fendue au niveau des cuisses pour souligner le contraste. Ce style s’inspire sûrement des cheongsam traditionnels chinois. En un sens, les marques adoptent des stratégies totalement différentes pour le même marché émergent. Une marque crée un produit pour un marché en particulier, ce qui distingue le produit original de celui vendu sur le marché local, tandis qu’une autre marque adapte ses produits au marché local sans pour autant transformer son style. Enfin, l’Inde est un futur marché ; par conséquent, quelque soit leur stratégie, les marques doivent s’imprégner de la culture locale et s’en inspirer, afin de réussir à s’implanter sur ce marché. Ce ne sera pas facile à faire pour les marques de luxe.

Voici quelques idées clés à méditer :

  • La simple taille des marchés émergents nécessite d’y réfléchir à deux fois, non seulement à cause de l’étendue géographique mais surtout à cause de la taille de la population. Cela signifie, dans une perspective de marketing et de vente, qu’il y a « beaucoup d’aiguilles (les millionnaires) et beaucoup de bottes de foin (l’étendue géographique). » Pour réussir dans ces marchés, il faut avoir appris à « chercher une aiguille dans une botte de foin ». La plupart des consommateurs des marchés émergents croient plus en les investissements qu’en la consommation, ce qui conduit à des stratégies de marketing complètement différentes que celles utilisées pour les pays développés comme la France ou l’Italie. Préparez-vous une bonne réserve d’argent et attendez-vous à investir sur un cycle de trois à sept ans. Et préparez-vous aussi à affronter la bureaucratie et à devoir vous adapter aux coutumes locales.
  • La logique du luxe dans les marchés émergents est spécifique à chacun et ne peut être généralisée. Chaque marché émergent requiert une approche qui lui soit propre. Préparez-vous à passer du temps à éduquer vos consommateurs.
  • Le principe de base du luxe consiste à raconter des histoires. Le conte peut se révéler la meilleure manière de populariser une marque de niche. Le consommateur final en saisit quelques éléments et en parle évidemment à ses amis.
  • Les consommateurs chinois accordent une grande importance à la marque tandis que les consommateurs indiens se focalisent sur la valeur, mais pas forcément sur le prix. Après les consommateurs japonais, les consommateurs chinois, russes et indiens seront probablement les moteurs du secteur du luxe. C’est pourquoi le luxe a besoin d’être repensé dans le cadre des marchés émergents.

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