Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief
Les philosophes de l’Antiquité et les sportifs professionnels ont-ils plus en commun qu’on ne le pense ?
Dans son livre Exercices spirituels, leçons de la philosophie antique (Les Belles Lettres), Xavier Pavie, professeur de philosophie à l ’ESSEC, explique que oui, tout comme la philosophie antique peut être considérée comme un exercice spirituel, le sport peut l’être aussi.
La philosophie antique comme exercice spirituel
Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Le professeur Xavier Pavie explique que la philosophie antique est une discipline qui modifie la façon de vivre et de voir le monde, en changeant la façon de parler et d’agir. Cela nous permet de comprendre le rôle de l’esprit dans la philosophie, mais qu’en est-il du corps ? Les philosophes de l’Antiquité avaient une position ambiguë sur le corps. Par exemple, Platon dit dans Phédon que le corps peut nous distraire de la réalité et de notre recherche de la vérité, parce que nous pouvons nous laisser emporter par la passion. Cependant, dans les Lois, il parle de l’entraînement physique — bien qu’il s’agisse principalement de préparer un soldat à la guerre, il énumère les priorités suivantes : 1) les dieux 2) l’âme et 3) le corps. Notre corps peut être fort, beau et nous aider à atteindre l’équilibre et la sécurité. Il met l’accent sur un programme de gymnastique strict, à suivre parallèlement à l’étude de la musique et de la philosophie. Il insiste sur cet équilibre entre le corps et l’âme dans le Timée. Dans l’ensemble, la pensée de Platon est que la gymnastique permet de construire un corps fort, qui contribue à son tour à construire une âme forte.
Platon, qui était lutteur, n’était pas le seul philosophe de l’Antiquité à souligner le rôle du corps : on note également Chrysippe et Sénèque, tous deux coureurs de fond. Socrate lui-même a déclaré : “Aucun homme n’a le droit d’être un amateur en matière d’entraînement physique. C’est une honte pour un homme de vieillir sans voir la beauté et la force dont son corps est capable”.
Il existe un lien naturel entre l’exercice physique et le désir de s’améliorer, y compris sur le plan spirituel. La littérature abonde en métaphores comparant les exercices spirituels au sport, comme Marc Aurèle qui écrivait : “L’art de vivre ressemble plus à la lutte qu’à la danse, dans la mesure où il se tient prêt à affronter l’accidentel et l’imprévu, et n’est pas susceptible de tomber”.
Cela suggère que l’amélioration de soi nécessite un entraînement, comme un sport. C’était la perspective des philosophes de l’Antiquité - comment cette école de pensée a-t-elle évolué au fil du temps ?
Aussi simple que de faire ses premiers pas
Dans la philosophie moderne, les références au sport sont moins nombreuses, mais elles existent tout de même. Nietzsche, par exemple, utilisait de longues promenades pour réfléchir et méditer. D’autres philosophes, comme Zarathoustra, considéraient également la marche comme un moyen idéal pour favoriser la réflexion et le dépaysement. Le sport est aussi un moyen de développer la maîtrise de soi. C’est un moyen de favoriser l’introspection et de revenir à l’essentiel, puisque la marche ne sollicite que les jambes. La marche peut aussi être un moyen de se reconnecter et de communier avec la nature, un autre mécanisme de transformation de soi. C’est surtout un moyen de se connecter à soi-même - corps et esprit - qui peut être pratiqué par beaucoup, car il s’agit d’un entraînement plus doux.
Des exercices intenses pour le corps et l’esprit
Pour d’autres philosophes, les exercices physiques et spirituels doivent être intenses. La marche est un pas dans la bonne direction, mais les sports intenses sont le moyen de se sentir épanoui. Comme ils ne sont pas non plus possibles pour tout le monde, compte tenu de nos limites physiques et de notre mode de vie, ce n’est pas un moyen de rendre l’épanouissement accessible au plus grand nombre. En effet, ce type de dévouement à un sport n’est souvent accessible qu’à une élite.
Transformez votre esprit pour transformer votre corps
Qu’il s’agisse d’une marche rapide ou de musculation, l’exercice physique peut aussi être un moyen de faire des exercices spirituels. Les philosophes de l’Antiquité l’avaient déjà souligné et cela reste vrai dans la philosophie contemporaine. Certains philosophes pensent même qu’il est essentiel d’exercer son corps pour bien exercer son esprit. L’intégration des exercices physiques et spirituels nous permet de mieux nous connaître et donc de nous améliorer. Cela permet une transformation plus “holistique”, intégrant l’amélioration physique, esthétique et spirituelle. Comme le résume le professeur Xavier Pavie dans son analyse du sport et de la philosophie, il est important de ne pas considérer le corps et l’esprit uniquement comme une dichotomie, mais de penser à notre “corps spirituel” et au fait que la transformation de notre corps peut être un moyen de nous transformer nous-mêmes.
Pour en lire plus
Pavie, X. (2022). Exercices spirituels philosophiques — Une anthologie de l’Antiquité à nos jours. Presses universitaires de France.
Pavie, X. (2013). Exercices spirituels, leçons de la philosophie contemporaine. Les Belles Lettres.