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Syrie et Irak : Massacres d'otages par Daesh
Nigeria: Destruction de villages entiers par Boko Haram
Paris: Les attentats de Daech du 13 novembre 2015
Face à une terreur aussi extrême, quelle place pour la négociation ?
Tout, en nous, répugne à la perspective de négociations avec ces organisations terroristes. Au-delà de ce refus moral, qui pourrait se suffire à lui-même, que nous apporte l’analyse ? Je dispose de trois minutes pour vous exposer :
- les trois conditions que suppose toute négociation ;
- les obstacles auxquelles ces conditions se heurtent lorsqu’il s’agit d’organisations terroristes.
Première condition de la négociation : espérer en retirer quelque chose
Toute négociation n’a de chance de s’engager que si les parties en présence font le pari suivant : elles pourront mieux satisfaire leurs motivations grâce à un accord négocié ensemble, plutôt qu’en poursuivant des actes unilatéraux.
Cette condition n’est pas réunie : ni Daech ni Boko Haram ne voient l’intérêt de négocier alors que, jusqu’à présent, leur violence sur le terrain leur a permis de conforter leurs positions et de parvenir à leur fin : générer l’effroi. En sens inverse, la coalition internationale contre Daech entend l’emporter sur le terrain. Négocier, ce serait avouer que l’on ne pense pas l’emporter, hypothèse rejetée par les deux camps. C’est un refus stratégique de négocier.
Ce refus stratégique disparaîtrait si les deux camps aboutissaient à ce que Zartman appelle une mutually hurting stalemate : un statu quo trop coûteux pour tous.
Mais encore faudrait-il, alors, identifier des interlocuteurs.
C’est la seconde condition de la négociation : réunir des interlocuteurs
Toute négociation se déroule avec des personnes mandatées pour négocier au nom de leurs camps respectifs.
Cette condition se heurte ici à au moins deux obstacles:
- D’une part, ces organisations terroristes n’ont rien à voir avec la structuration « bureaucratique » du terrorisme politique des années 1980 (comme l’ETA), où le sommet avait autorité sur la base, permettant la désignation d’un interlocuteur. Ce sont désormais des réseaux peu formalisés de multiples groupes aux allégeances changeantes ; négocier avec l’un ne garantit pas que l’ensemble suivra.
- Surtout, le simple fait qu’un Etat négocie avec une entité non-étatique accorde à celle-ci un statut, lui confère une respectabilité, change le regard porté sur elle par les opinions publiques. Dans l’histoire, la France a ainsi longtemps hésité à négocier avec le FLN. Israël a longtemps refusé de négocier avec l’OLP.
Pour que les négociations aient lieu sans générer cette reconnaissance au bénéfice d’un acteur particulier, il faut qu’elles se tiennent dans le plus grand secret. Ce fut le cas, par exemple, des accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens.
Alors, des négociations secrètes pourraient-elles s’engager ?
Reste la troisième condition : accepter le processus même de négociation
Ce processus repose sur l’invention de solutions mutuellement satisfaisantes conjuguée à l’échange de concessions réciproques. Encore faut-il qu’existe ce que nous appelons une zone d’accords possibles : un espace respectant les contraintes de chacun, dans lequel peut être trouvé un compromis.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, cette condition n’est pas non plus vérifiée. A l’échelle individuelle, les frères Kouachi étaient dans une logique suicidaire qui ne laissait aucune place à la négociation. C’est ce que l’on peut nommer un refus suicidaire de négocier. Il se retrouve au niveau des organisations : les actions terroristes de Daech ou Al Qaida n’ont pas pour finalité l’ouverture de négociations. Elles ne sont pas conçues comme des leviers pour l’obtention de concessions négociées.
En sens inverse, les puissances coalisées n’entendent pas transiger sur des valeurs fondamentales. Le respect de la personne humaine ne se négocie pas. La liberté de la presse ne se négocie pas.
Refus moral des uns, refus suicidaire des autres, refus stratégique de tous : plusieurs obstacles se conjuguent pour exclure toute logique de négociation de la lutte contre ces terrorismes extrêmes.
En savoir plus :
- A. Colson, « La négociation au risque de la transparence », Négociations, 2008
- G. O. Faure & W. Zartman (dir.), Negotiating with Terrorists (Routledge, 2011)
- P. Lempereur & A. Colson, Méthode de négociation (Dunod, 2010)
- Ch. Thuderoz, Petit traité du compromis (PUF, 2015)
- www.essec-irene.com