« Si en France vous arrêtez une personne dans la rue, il y a des chances pour qu’elle soit capable de donner un moins un chef étoilé, déclare le professeur Marie-Léandre Gomez. C’est la preuve que la définition de la « grande cuisine » par Michelin est devenue partie intégrante de l’identité culturelle. Elle est également devenue l’une des premières exportations culturelles françaises. »
En effet, le professeur Gomez, en tant qu’experte de l’apprentissage organisationnel dans les petites et grandes entreprises, a concentré une grande partie de ses recherches sur l’impact des classements et des critères sur les grands cuisiniers. Ses travaux les plus récents portent plus spécifiquement sur le Tokyo Michelin Guide et la montée en puissance de Tokyo comme pôle culinaire majeur.
Cuisine internationale, à la française
Lancé en 1900, le Guide Michelin a rapidement acquis une dimension internationale, conquérant la Belgique, l’Angleterre et l’Italie dans la première moitié du XXème siècle, et s’étendant à l’Amérique et à l’Asie au XXIème siècle. La stratégie n’a pas consisté à vendre un guide français à un public international, mais à l’introduire et le lancer soigneusement pour qu’il s’adapte au public et à la cuisine locale.
« À cet égard, les guides de Tokyo et de Kyoto ont été un succès remarquable. Il n’existait pas auparavant de guide de ce genre dans la région. Or les critères d’excellence de la grande cuisine française semblaient correspondre aux critères japonais, déjà existants mais implicites, de propreté, qualité, créativité et savoir-faire. Les reprises japonaises du Guide Michelin ont exploité le filon, explique-t-elle. »
Bien sûr, la forte reconnaissance interne des étoiles Michelin a aussi joué un rôle, déclare Gwendal Poullennec, ancien élève de l’ESSEC et Directeur du développement international chez Michelin. Son influence sur les professionnels est considérable. Dans de nombreux pays, il est la première marque à laquelle pensent les gens quand ils cherchent un hôtel ou un restaurant de qualité. »
Selon le professeur Gomez, l’expérience de Michelin au Japon résume la force du Guide en tant que vecteur culturel français : les chefs locaux préparent des recettes en utilisant des ingrédients japonais, donc le guide s’est adapté pour garder le même niveau d’expertise, par exemple en recrutant des inspecteurs experts en cuisine et culture japonaises.
Est-ce que cela signifie que Tokyo a remplacé Paris comme la « capitale mondiale de la gastronomie » ? « Pas tout à fait. Les chefs français ont toujours été attirés par l’Asie, et le Guide Michelin en est le reflet, affirme le professeur Gomez. Un restaurant parisien de trois étoiles fait des bénéfices. Les modèles économiques changent et les restaurants en Asie permettent d’engranger plus de bénéfices.
Mais, surtout, les étoiles Michelin sont toujours la plus haute récompense pour les chefs, qui s’appuient dessus pour asseoir leur légitimité et réaliser leurs expériences culinaires.
Pour approfondir :
"Creativity in Haute Cuisine: Strategic Knowledge and Practice in Gourmet Kitchens", publié dans Journal of Culinary Science & Technology
"De la France au monde. Le Guide Michelin, vecteur du rayonnement de la marque France ?", publié dans Revue Française de Gestion