Pour réussir un projet entrepreneurial, il faut savoir faire et faire savoir. De nombreux entrepreneurs ont des réalisations solides mais ne savent pas partager la bonne information au bon moment avec les bons interlocuteurs. D’autres savent très bien communiquer mais négligent le travail de fond et compromettent rapidement leur crédibilité. Ce texte aide les entrepreneurs à synchroniser les réalisations et la communication vers des tiers et à bien manier l’effet de levier informationnel.
L’effet de levier est au cœur de la gestion financière d’une entreprise. Il permet à un entrepreneur d’avoir accès à un maximum de fonds, via l’endettement, en investissant le minimum de capitaux propres. L’effet de levier informationnel part d’une analogie avec l’effet de levier financier. Bien manié, il permet à l’entrepreneur de maximiser la croyance d’autres acteurs dans le potentiel de son projet lorsqu’il ne dispose encore que de peu d’informations probantes.
Pour comprendre l’intérêt de l’effet de levier informationnel, il convient de réfléchir à la relation inversement proportionnelle, résumée dans le graphique ci-dessous, entre l’information disponible sur un projet et le doute des tiers quant à ses chances de succès ou d’échec.
Aux tous débuts d’un processus entrepreneurial, les acteurs dont la contribution est nécessaire à la réussite du projet ont très peu d’informations objectives pour juger de l’existence d’une opportunité, de l’adéquation du modèle économique et du réalisme du business plan. A mesure que l’entreprise prend forme, le niveau d’information disponible augmente et diminue le doute sur le projet. Lorsque l’entrepreneur a pu faire la preuve du concept, que son chiffre d’affaires augmente régulièrement et qu’il atteint une rentabilité durable, il n’y a plus de place pour le doute. A ce stade, l’entrepreneur a établi une réalité objective qui s’impose à son environnement.
L’effet de levier informationnel est nécessaire et utile dans la phase où l’entrepreneur n’a pas encore de réalisations tangibles à montrer. Dans cette phase, il est souvent seul à y croire et doit réduire le doute d’autrui. Quand il ne dispose que de quelques minutes pour un pitch oral ou de quelques paragraphes pour un executive summary, l’entrepreneur doit savoir sélectionner et mettre en valeur, parmi toutes les informations à sa disposition, celles qui ont un effet de levier maximal sur la croyance dans ses chances de succès.
Réfléchissons sur un exemple hypothétique et néanmoins réaliste. Un chercheur en médecine a besoin de fonds pour financer une recherche innovante sur la maladie d’Alzheimer. Le fait de dire à des investisseurs ou à des partenaires stratégiques potentiels que la maladie correspond à un grand marché, malheureusement en croissance, aura un effet de levier informationnel faible. Cette information est publique et ne donne aucun avantage à celui qui la connaît. En outre, et c’est le point le plus important, l’existence d’un marché potentiel important ne dit absolument rien sur la capacité du chercheur à trouver une thérapie innovante. En revanche, si l’entrepreneur dit qu’il a travaillé, par le passé, dans une équipe qui a mis au point une thérapie innovante dans un autre domaine, l’effet de levier de cette information sera positif. L’expérience antérieure, même si elle a eu lieu dans un champ différent, accroît la crédibilité du chercheur. Supposons maintenant que notre chercheur soit en mesure de dire qu’il a publié des articles scientifiques sur l’Alzheimer et qu’il a obtenu des résultats encourageants dans des expériences sur des animaux. L’effet de levier d’une telle information sur la croyance des investisseurs sera encore plus grand.
De cet exemple il faut retenir que l’entrepreneur, surtout quand il opère dans un univers où il y a moins de certitudes que dans la recherche médicale, doit savoir identifier les informations à fort effet de levier et ne pas perdre son temps, peut-être son argent, à collecter et mettre en forme des informations à faible effet de levier.
Comment identifier les informations à fort effet de levier et les mettre au centre d’une présentation écrite et ou orale d’un projet? L’entrepreneur doit d’abord partir d’une bonne compréhension du niveau de croyance ou de doute, à priori, dans un projet comme le sien et sur quels points le doute est-il le plus fort? A partir de cette compréhension, l’entrepreneur peut faire le tri dans tout ce qu’il sait, ce qu’il a fait, ce qu’il croit et ce qu’il est pour composer un ‘pitch’ susceptible de maximiser la croyance de ses interlocuteurs avec un minimum d’informations signifiantes délivrées dans un minimum de temps ou de mots.
Lorsque l’entrepreneur ne dispose d’aucune information susceptible de réduire le doute d’un acteur clé pour le succès de son projet, la question sera de savoir s’il demande qu’on lui fasse confiance, avec le risque de se la voir refuser, ou bien de différer la sollicitation de cet acteur de quelques semaines ou mois, le temps de produire une information à fort effet de levier. Par exemple, si un fonds d’investissement ne pourra jamais examiner un projet où la preuve de concept, technique ou commerciale, n’a pas été faite, ce n’est pas la peine de le solliciter avant d’être en mesure de montrer une preuve de concept. L’entrepreneur doit alors déterminer quel est le minimum d’effort qu’il lui faut fournir pour présenter quelque chose qui ressemble à une preuve de concept. Si un jeune entrepreneur, sans expérience professionnelle, comprend que des investisseurs potentiels doutent de sa capacité à construire et animer une organisation, il doit produire une information rassurante sur ce point. Par ordre décroissant d’impact sur la croyance dans son projet, il peut annoncer a) s’être associé avec un dirigeant expérimenté qui jouera le rôle de directeur général (CEO), b) qu’il a intégré dans son plan d’affaires le recrutement d’un dirigeant professionnel, c) qu’il prévoit de faire recours aux services rémunérés d’un mentor ou d) qu’il compte s’entourer d’un advisory board. Comme toute information a un coût, celle qui a le maximum d’impact sur la croyance est celle qui coûte le plus à l’entrepreneur : s’associer avec une personne expérimentée et lui confier la direction de l’entreprise.
L’effet de levier est à son plus haut niveau lorsqu’une information coûte très peu à l’entrepreneur. Dans notre exemple hypothétique, il s’agit d’annoncer l’intention de constituer un advisory board. Cependant, les interlocuteurs ne sont pas dupes et savent qu’il y va de l’intérêt de l’entrepreneur de fournir l’information la moins coûteuse et la moins engageante possible. L’entrepreneur doit, par conséquent, chercher un juste compromis et se demander quel est le minimum d’information engageante qu’il doit fournir sur le marché, la technologie, le modèle économique ou l’équipe pour lever des objections et maximiser l’adhésion à son projet.
La détermination du minimum d’information engageante à partager avec les parties prenantes d’un projet a des conséquences pratiques non triviales. En ne livrant que le minimum d’information, l’entrepreneur se ménage des degrés de liberté vis-à-vis de ses partenaires. L’entrepreneur peut, par exemple, savoir qu’un client important est sur le point d’émettre une commande. Si le fond d’amorçage avec qui il est en discussion est prêt à l’accompagner, dans des conditions de valorisation correctes, sans exiger de quasi-preuves d’acquisition de clients, l’entrepreneur aurait tort de partager l’information tout de suite. En gardant l’information pour lui, il préserve la qualité de sa parole dans le cas où la commande n’est pas signée. Si la commande est signée, cette information va constituer une surprise positive pour les investisseurs et leur donnera raison, à posteriori, d’avoir fait le pari sur l’entrepreneur.
Pour identifier les points de doute et créer l’information minimale susceptible de les lever, il est conseillé aux entrepreneurs de tester leur projet auprès de quelques acteurs avant de s’exposer, par exemple, aux fonds dont ils souhaitent vraiment l’investissement ou aux clients qu’ils veulent vraiment acquérir. Au bout de quelques pitch d’entraînement, l’entrepreneur acquiert une bonne idée des ‘gaps’ informationnels à combler et peut décider du moment et de la manière d’aborder les vraies cibles.