Le 24 août 2012, une légende du monde sportif, le cycliste Lance Armstrong, a été déchue suite à la publication par l'agence nationale anti-dopage des États-Unis (USADA) d'un rapport qui le radiait à vie du cyclisme professionnel et lui retirait également son palmarès acquis entre le 1er Août 1998 et aujourd'hui. Alors que cette nouvelle en a étonné quelques-uns, elle n'était en rien surprenante pour d'autres.
En effet, au fil des années, Lance Armstrong s'est construit une image publique forte, basée non seulement sur ses capacités physiques, mais aussi sur son travail pour la fondation LiveStrong, fondation qu'il a lui-même crée, et sur sa bataille contre le cancer. Depuis les années 1990 il a cependant dû faire face à de nombreuses accusations de dopage, le "cancer du cyclisme" pour Paul Kimmage, ancien cycliste professionnel et journaliste sportif, et a même été testé positif pour l'usage de stéroïdes au moins une fois au cours de sa carrière professionnelle.
En dépit de ces accusations passées, les multiples sponsors d'Armstrong ont exprimé leur surprise face aux évènements récents. Nike, qui était resté à ses côtés quand le rapport de USASA avait été annoncé, lui a retiré son soutien et a coupé tous les liens avec le sportif quand des témoignages accablants sont devenues publiques, en déclarant avoir été "trompés pendant plus d'une décennie". Les sponsors d'Armstrong n'avaient-ils donc aucun doute ? Ont-ils une part de responsabilité sur le devenir du sport dans cet événement ?
Les sponsors ont sans aucun doute intérêt à capitaliser sur la crédibilité d'un sportif, mais ils ont également un intérêt vital à préserver la crédibilité du sport.
Cette logique s'applique à tous les sports, et n'est évidemment en rien limitée à Lance Armstrong ni au cyclisme. Quand une des plus grandes stars du sport professionnel est appelée un tricheur invétéré durant une grande partie de sa carrière, tout type de doutes sur la partialité et l'équité du sport professionnel est permis. Et si le spectacle sportif est "truqué", alors quel en est l'attrait ? Si les performances sportives ne sont qu'une pièce de théâtre feignant la réalité, alors quel est l'intérêt d'un sponsor ?
En sponsorisant un athlète les marques n'ont pas de contrôle sur leurs performances, et de ce fait, quand ils signent un accord avec un athlète ils rentrent dans le jeu de choisir une "valeur sûre et inspirante". Ils ont tout intérêt à connaitre en détails leurs athlètes.
Les sponsors entretiennent des liens très proches avec les athlètes qu'ils soutiennent. Il est très peu probable qu'Oakley, Radio Shack, Nike et bien d'autres marques n'aient eu aucun soupçon alors que les allégations de dopage revenaient régulièrement. Je pense qu'en agissant de la sorte, en choisissant de re-signer des contrats avec un athlète dont l'éthique est sans cesse questionnée, sur le long terme les sponsors se nuisent à eux-mêmes et au sport en général.
Les associations émotionnelles à la marque, la notoriété, la qualité perçue des produits et la fidélité des consommateurs, sont quelques-uns des facteurs clés qui contribuent au capital de marque. La première dimension est de la plus haute importance car elle constitue les liens émotionnels entre la marque, tout ce qui compose son univers et ses cibles. Et comme Armstrong était une partie importante de l'univers de ses sponsors, ces marques se verront peut-être affectées par les conséquences de ce scandale, tout particulièrement pour les contrats de longue date, quelquefois supérieur à 16 ans.
Il est indéniable qu'Armstrong était une vache à lait pour ces marques, mais seulement à court terme. A long terme, il représente sûrement un "patrimoine intangible négatif". Aujourd'hui les résultats du cyclisme entraînent des doutes chez le public, qui ne croient plus que les gagnants n'ont pas trichés. Si le sport perd sa crédibilité, alors le sponsoring perd sa raison d'être. Je pense que les entreprises en lien direct avec le sport ont l'énorme responsabilité de protéger l'esprit sportif, ne serait-ce que pour la pérennité de la santé économique de leurs marchés. Il faut être crédible pour inspirer.
Pour toute marque liée au sport, comme les fournisseurs de matériel, la protection de l'esprit sportif et de l'intégrité n'en est que plus importante. Un de leurs objectifs est d'encourager le public à faire du sport, à bouger ou à minima, à s'identifier aux rôles modèles qu'offre le sport... et ainsi avoir une base de consommateurs conséquente prête à payer des produits plus chers afin de s'approprier le caractère inspirant des marques.
Une étude menée par L'ESSEC et Toluna International (panels en ligne et technologie de sondage) pendant les Jeux Olympiques de Londres a révélé que, si ces individus regardaient les Jeux pendant plus d'une heure par jour, 50% des téléspectateurs espagnols, 40% des téléspectateurs britanniques, 33% des téléspectateurs allemands et 41% des français se sont sentis inspirés pour se lancer dans plus d'un sport, et plus de la moitié souhaitait encourager leurs enfants à être plus actifs.
Les Jeux Olympiques sont une source d'inspiration très forte. Néanmoins, s'il existe des doutes sur le fait que certains athlètes trichent, ce même pouvoir qui inspire le public à entreprendre un sport et à être plus actifs serait amoindri. Cela aurait sans doute aussi un impact conséquent sur les résultats des entreprises sponsor. Si le sport perd en crédibilité, les sponsors risquent de perdre à termes leurs clientèles.
Bien sûr, Lance Armstrong n'est pas le premier athlète à tomber en disgrâce et ne sera pas le dernier. Quelques commentateurs, y compris William C. Rhoden du New York Times, ont souligné l'existence d'un système injuste, puisque d'autres athlètes éclaboussés par des scandales ont réussi à maintenir leurs contrats lucratifs.
Chaque situation est différente. Tiger Woods a en quelques sortes dû faire face au déshonneur mais a pu maintenir son contrat. Mais si nous voulons rester lucides, il faut noter que sa "tricherie" était non sportive, alors que Lance Armstrong a trompé ses fans, et trahi son sport. Ces deux cas sont radicalement différents, tout particulièrement pour une marque, dont l'activité est le sport pur et dur. Le scandale autour de Lance Armstrong a eu un impact direct sur sa crédibilité en tant qu'athlète et sur sa capacité à inspirer ses fans.
Comment les sponsors peuvent-ils éviter ce type de scandale ? Les contrats devraient être plus explicites et stipuler que toute action entachant la crédibilité de la performance entraînerait une rupture du contrat. Les marques devraient également exploiter leurs relations personnelles avec les athlètes pour se laisser l'opportunité d'être proactifs en cas de doute. Malheureusement, il semble que ce type de clauses ne prennent effet que lorsqu'il est trop tard et que le mal a déjà été fait.
Bien d'autres facteurs que le dopage peuvent entacher la crédibilité d'un sport aujourd'hui. Les matchs truqués et la fraude sont des problèmes sérieux à l'heure actuelle, et auront peut-être un impact croissant sur le sport professionnel. En Roumanie et en Azerbaïdjan par exemple on assiste déjà à une baisse du nombre de spectateurs de foot parce que, de manière générale, le public est conscient que les jeux sont très certainement truqués.
De manière générale, il est important de se souvenir que les tricheurs ne représentent qu'une minorité. La très grande majorité des athlètes se dépassent au quotidien pour battre leurs records personnels et savent que la pire des choses est de se tromper soit même. Bien que le cyclisme soit au centre du débat à l'heure actuelle, il n'est pas le seul sport où le dopage et les tricheries existent. C'est un problème dont le monde du sport doit avoir conscience, pour faire front de manière collective. Le fait de tricher va à l'encontre même de l'essence du sport.