Pendant des décennies, les chercheurs ont tenté de trouver la formule magique qui permettrait de prédire le succès ou l'échec d'une nouvelle entreprise. Dans cette quête, l'un des principaux points d'analyse se focalisait sur l'accès de l'entreprise aux ressources. En effet, comme on pouvait s'y attendre, il était trop souvent supposé que plus de ressources -à la fois en termes d'argent et de personnel- auraient nécessairement un effet positif sur les résultats d'une société. Mais si la question a été parfois posée de savoir si une abondance de ressources peut aussi avoir des effets négatifs sur une entreprise, la recherche était ambivalente sur la manière dont ceci pourrait se produire, et souvent très contingente à de multiples facteurs difficiles à appréhender sur le terrain.
Avec mon co-auteur Nathan R. Furr de la Brigham Young University, nous avons adopté une approche différente pour comprendre comment ces multiples facteurs peuvent impacter la performance de l'entreprise. Nous avons commencé par le constat que, avec tant de variables affectant la performance d'une entreprise, il est presque impossible de la prédire avec précision. Mais alors, si autant de variables sont inconnues ou incontrôlables, cela veut-il dire que nous ne pourrions rien prédire?
Les ressources organisationnelles: l'abus d'une bonne chose
Les ressources -qu'elles soient tangibles tels que l'actif et le matériel, ou intangibles telles que le capital social ou la reconnaissance de la marque, ou encore les processus organisationnels tels que le développement de nouveaux produits ou la capacité d'acquisition- sont essentielles aux organisations. Et étant donné le rôle primordial des ressources dans le fonctionnement de l'entreprise, dans un monde économique défini par l'allocation des ressources rares, elles sont généralement perçues comme ayant un effet positif sur l'entreprise.
Etant donnés les nombreux bénéfices que les ressources peuvent apporter et la lutte que doivent mener les nouvelles entreprises pour les obtenir, il pourrait sembler contre-intuitif que ces ressources puissent entraver les performances de l'entreprise. Cependant, c'est ce que démontre notre étude.
Dans cette étude, nous nous sommes appuyé sur un panel de 4928 nouvelles entreprises, suivies pendant leurs quatre premières années, afin d'étudier les effets potentiellement contradictoires de deux ressources canoniques, le capital financier et le capital humain. Notre approche consiste à remarquer que ces ressources n'ont peut-être que peu d'effet sur la performance moyenne, mais pourraient avoir pour effet d'augmenter la variabilité de la performance. Cette variabilité augmente à son tour l'occurrence de performances de natures extrêmes telles que, en négatif, la faillite, et en positif, la collecte de fonds auprès de professionnels. Cette nuance suggère que l'abondance de ressources peut en fait être une bénédiction mitigée, potentiellement à la fois positive et négative.
Les effets négatifs sont susceptibles de s'expliquer en partie par le fait que les ressources peuvent amoindrir l'impact des réalités environnantes. Cela peut expliquer la faillite de nombre nouvelles entreprises/projets lors du "boom" Internet, caractérisé par la vente de produits à des prix inférieurs au coût et le gaspillage de grandes quantités de capitaux sur des activités improductives telles que l'acquisition de clients pour une valeur supérieure aux bénéfices qui pourraient en être tirés à l'échelle d'une vie.
Mais ce qui est vraiment intéressant ici, c'est que ces deux événements augmentent simultanément: plus des ressources sont ajoutées, plus les résultats sont extrêmes -on voit plus de succès, mais également plus d'échecs. Cela va à l'encontre de la théorie habituelle considérant que l'effet d'un facteur est bon ou mauvais.
Une question reste: pourquoi serait-il intéressant de prédire cet écart grandissant, cette dispersion, dans un monde où nous sommes habitués à raisonner en moyenne?
Les préférences de risques: ce que les investisseurs veulent vraiment savoir
Les chercheurs ont tendance à considérer que ce que les investisseurs veulent faire faire, c'est prédire l'avenir et pouvoir regarder dans une boule de cristal. Mais plutôt que de se focaliser sur ce futur "en moyenne", nous considérons ici que prévoir la variance est également important.
En effet, cette étude intègre le fait que les investisseurs sont plus ou moins sensibles au risque. Certains sont à la recherche d'un résultat exceptionnel à tout prix. Ces investisseurs qui ont une "préférence au risque positive" attachent de l'importance avant tout à la possibilité d'investir dans un futur Google ou un Facebook, même si cela augmente aussi le risque d'investir dans une entreprise qui va faire faillite.
D'autre part, il existe des décideurs, comme les régulateurs de marché (l'AMF en France, la SEC aux USA) qui ont une "préférence pour le risque négative", qui accordent plus d'importance au fait d'éviter les catastrophes. Ces décideurs sont plus sensibles au risque et sont intéressés par toute stratégie qui permet d'éviter des crashs, indépendamment de l'effet que cela peut avoir en moyenne. En effet, un facteur pourrait augmenter la performance en moyenne (théorie habituelle), mais comme cela a lieu en dispersant les résultats, cela augmente paradoxalement l'ampleur et le nombre des crashs. Ce type de paradoxe est l'une des principales motivations de notre approche.
Donc, ce concept d'écart et le fait de pouvoir prédire des résultats extrêmes peut influencer considérablement les choix et les activités de nombreux acteurs. D'où notre recherche consistant à montrer que l'abondance des ressources a en fait tendance à disperser la performance, et donc, à augmenter les résultats extrêmes. Ces deux questions sont étroitement liées.
Au-delà de la question des ressources, cette étude suggère également que nous devrions revoir notre approche quant à la construction des théories organisationnelles, afin de mieux prendre en compte la variabilité, pour mieux prédire les résultats extrêmes. Nos résultats fournissent une illustration de la façon dont la théorie sur les effets extrêmes peut différer de théorie sur les effets moyens, et propose une voie claire pour revisiter la manière dont nous développons les théories en management.
Pour approfondir :
"Too much of a good thing? Resources effects in new ventures", paru dans Frontiers of Entrepreneurship Research