L’autre facette de la conversation mondiale sur le développement durable

L’autre facette de la conversation mondiale sur le développement durable

Le Professeur Hamid Bouchikhi s’est entretenu avec ESSEC Knowledge pour évoquer la COP23 réunie à Bonn, et a insisté sur le rôle majeur que peuvent jouer les entrepreneurs dans la construction d’un avenir plus durable.

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Selon Hamid Bouchikhi, de nombreuses grandes entreprises font des efforts conséquents pour réduire leurs émissions de CO2 et leur empreinte écologique. Elles ont, cependant, beaucoup de mal à se défaire complètement de modèles économiques défavorables à l’environnement. C’est le cas, notamment, des producteurs d’énergie et des constructeurs automobiles.

En même temps, Hamid Bouchikhi observe que “les négociations internationales sur le climat et le développement durable sont marquées par une forte présence des grandes entreprises qui ont les moyens de participer activement aux forums internationaux, comme le Pacte Mondial des Nations Unies. Sans diminuer les efforts consentis par ces grandes entreprises pour réduire les externalités négatives de leurs activités, il faut attirer l’attention sur les entrepreneurs responsables qui conçoivent des modèles économiques intrinsèquement durables.”

 

ESSEC Knowledge : Qu’est-ce que l'entreprenariat durable? Pouvez-vous nous donner des exemples?

Hamid Bouchikhi : L’entreprenariat durable fait référence à des modèles économiques conçus pour réduire l’empreinte écologique et améliorer la vie des gens. La rentabilité de ces modèles économiques est positivement corrélée avec leurs impacts sur les 3Ps: générer des profits, améliorer le bien-être des populations et préserver la planète.

ESSEC Knowledge : Quels sont les principaux défis pour l’entrepreneuriat dans le développement durable?

Hamid Bouchikhi : Le principal défi pour les entrepreneurs responsables est de pouvoir maintenir un équilibre entre les logiques de rentabilité et de durabilité, à mesure que leur entreprise croit.

Aligner les intérêts des différentes parties prenantes (actionnaires, employés, clients, fournisseurs, ONG, …) est un enjeu permanent pour les entrepreneurs responsables.

EK: Pouvez-vous citer quelques exemples d'entrepreneuriat durable? 

Comme il est très difficile de transformer une entreprise établie, je souhaite d’abord souligner le travail exemplaire des dirigeants de Desso, fabricant de moquettes, qui ont réinventé le modèle économique de l’entreprise autour du concept de base de l’économie circulaire ‘cradle-to-cradle’.

Waste Concern, entreprise lancée par deux jeunes ingénieurs au Bangladesh en 1995, est une très bonne illustration de la manière dont l’entreprenariat durable peut transformer un problème (la mauvaise collecte et gestion des déchets ménagers) en une opportunité de création d’emplois et une source de profits, grâce à la production et à la commercialisation du compost. Depuis, l’entreprise a étendu ses activités à d’autres métiers du développement durable, notamment la production d’énergie à partir de la biomasse.

ESSEC Knowledge : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ce qui a été fait pour lutter contre le réchauffement climatique depuis la COP21 et l’accord de Paris?

Hamid Bouchikhi : Les initiatives les plus notables sont dans le secteur automobile qui est engagé dans un mouvement irréversible de réduction de la consommation de pétrole. Plusieurs pays ont déjà annoncé la fin des voitures à énergie fossile : la Norvège dès 2025, le Royaume-Uni en 2040, la France avant 2030 et la Chine qui élabore son plan de sortie. Les grandes villes à travers le monde préparent par ailleurs des politiques audacieuses similaires.

Volvo, propriété du chinois Geely, a annoncé qu'à partir de 2019, chaque voiture fabriquée par la société fonctionnera au moins en partie sur l'énergie électrique. Les experts doutent que ces objectifs politiques ambitieux soient réalistes. Certains s'inquiètent de la disponibilité des matériaux nécessaires à la fabrication en série des batteries tandis que d'autres sont sceptiques quant à l'empreinte écologique nette des voitures électriques. Cependant, les politiques publiques, partout dans le monde, alimentent un mouvement irréversible de transition de l'énergie fossile vers des alternatives propres et sont en train de changer le rapport à la propriété de la voiture.

ESSEC Knowledge : Quel sera l’impact de la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris ?

Hamid Bouchikhi : Techniquement, les États-Unis sont toujours partie à l'Accord de Paris et ne peuvent pas se retirer avant le 4 novembre 2020. Beaucoup de choses peuvent se produire entre-temps.

Les Etats-Unis sont responsables de 18% des émissions de CO2 dans le monde. Un retrait de l’Accord de Paris enverrait un mauvais signal à l’intérieur des USA et dans le reste du monde. Toutefois, le niveau de sensibilisation de la société américaine reste assez élevé et pourrait même être considéré comme irréversible. Les Etats fédéraux ont leur mot à dire sur les politiques environnementales et peuvent se démarquer du gouvernement fédéral (la Californie par exemple). En outre, les dynamiques de marché ne sont pas forcément favorables à l’utilisation du charbon dans la production d’électricité.

Au niveau international, les Etats-Unis procureront moins de financements pour les projets de lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Le retrait des USA pourrait aussi réduire les incitations à la Chine qui a accepté un compromis historique avec les USA pour permettre l’avancée de l’Accord de Paris. Toutefois, le gouvernement chinois est contraint d’agir par le très haut niveau de pollution dans ses grandes villes.

Au total, la question du retrait des USA de l’Accor de Paris pourrait être une question de court terme et n’inversera pas le mouvement vers un développement plus durable.

EK: Les gouvernements font-ils assez pour promouvoir l'entrepreneuriat durable?

Hamid Bouchikhi : Les politiques publiques dans les domaines de l'énergie, de l'eau, de la gestion des déchets, de l'agriculture ou de l'alimentation créent un environnement favorable pour les entrepreneurs responsables qui veulent faire du bien en se faisant du bien. Cependant, les modèles économiques mis en œuvre par ces entrepreneurs sont souvent handicapés par des structures de coûts plus élevées, par la rareté des matériaux ou par un accès difficile au financement.

Pour réduire ces obstacles et promouvoir l'entrepreneuriat durable, les gouvernements devraient créer des politiques et des incitations spécifiques, tout comme ils soutiennent les entreprises qui créent des emplois pour les personnes défavorisées ou dans des régions en déclin économique.

Les gouvernements doivent également faire preuve de cohérence dans leurs politiques. La décision brutale du gouvernement français, en 2010, de mettre fin au mécanisme de soutien à l'énergie solaire a mis de nombreux entrepreneurs dans une situation très difficile. Beaucoup y réfléchiront à deux fois avant de lancer une start-up respectueuse de l'environnement dont le succès repose sur une politique publique.

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