La littérature académique et les médias nous ont convaincus que le bon leader est charismatique, est animé d’une grande vision, rayonne sur son milieu, provoque des émotions fortes et, surtout, a le verbe très haut.
Ce type de leader est très prisé dans nos écoles de management. Ceux qui y professent depuis un moment ont invité leurs étudiants à s’inspirer de Lee Iaccoca, Jack Welch, Akio Morita, Antoine Riboud, Richard Branson et Steve Jobs.
Sur les qualités habituellement attribuées aux bons leaders, Angela Merkel obtient un très maigre score. Pourtant, le magazine Time l’a désignée personnalité de l’année en 2015 et la presse la qualifie régulièrement de la femme la plus puissante du monde. Le journaliste qui a dressé son portrait dans le Time a écrit: « son style politique est de ne pas en avoir un, pas de flair, pas de fanfare, pas de charisme, juste une conscience aigüe du pouvoir chez une survivante et une dévotion aux faits chez une scientifique ».
A la tête de l’Allemagne depuis 2005, Mme Merkel est le leader qui a le plus duré à la tête d’un pays démocratique. Sa personnalité et sa conduite atypiques ont intrigué nombre de biographes et inspiré des dizaines de livres. Les professeurs et étudiants en sciences politiques disserteront longtemps sur le cas Merkel. Leurs homologues dans les écoles de management devraient faire de même.
Avant d’examiner de plus près le ‘style’ de Mme Merkel, il convient d’avertir contre l’excès, habituel, de fascination. Sans diminuer les qualités de la personne, une grande partie de la ‘puissance’ de Mme Merkel découle de sa position de chancelière d’une grande puissance économique. Le jour où elle ne sera plus aux affaires, nous aurons une autre perception de sa ‘puissance’.
Cette précaution prise, intéressons-nous au parcours qui a permis à Angela Merkel d’acquérir une stature historique malgré son faible score sur les qualités habituellement associées au leadership.
Les observateurs évoquent systématiquement la marque imprimée par sa formation scientifique sur sa conduite des affaires publiques. On prête à la Chancelière un goût pour l’analyse froide des données et des faits et une méfiance vis-à-vis des grandes théories. Sur ce plan, Mme Merkel ressemble beaucoup à Vladimir Putin et à Barack Obama qui sont, eux-aussi, décrits comme des calculateurs froids.
L’apprentissage patient de la politique et de ses règles a joué un rôle important dans la préparation de Mme Merkel à l’exercice du pouvoir. On oublie souvent que quinze bonnes années ont séparé ses débuts en politique, en 1990, et son accès au poste de Chancelière en 2005.
Ceux qui soulignent la douceur de Mme Merkel oublient ou ne savent pas qu’elle a construit son ascension sur un véritable meurtre du père. C’est grâce à Helmut Kohl qui l’a prise sous son aile qu’elle a été élue au Bundestag, en 1990, et qu’elle a obtenu, peu après, un premier strapontin dans le gouvernement fédéral en tant que ministre des femmes et de la jeunesse. Huit ans plus tard, la CDU perd les élections et se retrouve dans l’opposition. Angela Merkel obtient le secrétariat général du parti dont la présidence revient à Wolfgang Shaüble. Deux années plus tard, en 1990, Kohl et Shaüble sont mis en cause dans un scandale de financement illicite de la CDU. Angela Merkel n’hésite pas alors à exéctuer son mentor dans un article sévère, ce qui lui vaudra d’être élue présidente de la CDU après la démission forcée de Shaüble.
En se montrant intransigeante sur les principes, Angela Merkel a acquis le respect de ses concitoyens. Au terme de cinq ans de cheffe de l’opposition, Mme Merkel remporte les élections de 2005 et devient Chancelière, un poste qu’elle occupera, très probablement, jusqu’en 2021.
Le style distinctif d’Angela Merkel a pris forme au fil de sa vie et de son engagement politique. On peut le résumer en cinq mots : courage, rationalité, authenticité, humilité et devoir.
Angela Merkel a fait preuve de courage à plusieurs reprises. Jeune titulaire d’un doctorat en physique, elle est candidate à un poste de professeur assistant dans une université de l’ex-RDA. On lui signifie qu’elle peut obtenir le poste, très convoité, si elle s’engage à dénoncer d’éventuels ‘déviants’ à la police politique (la Stasi). La candidate décline et se contente d’un poste moins prestigieux de chercheure dans un institut. Nous ne reviendrons pas sur sa dénonciation courageuse des pratiques de financement de son propre parti. Mme Merkel a encore fait preuve de courage en assumant l’accueil d’un million de réfugiés contre une bonne partie du peuple Allemand et de ses homologues européens.
La rationalité de Mme Merkel, héritage de sa formation scientifique, a été discutée plus haut et n’appelle pas d’autres commentaires.
Mme Merkel est reconnue comme une personne authentique guidée par des principes, qui fait et assume ce qu’elle dit. Ce trait de personnalité la rend prévisible et inspire confiance dans un pays et une culture qui ont un très haut niveau d’exigence dans ce domaine.
L’humilité de Mme Merkel est manifeste sur deux plans. Elle occupe des bureaux neutres, comme n’importe quel cadre supérieur. Les ministres, les députés et ses collaborateurs disent qu’elle est accessible et conviviale. Contrairement à d’autres ‘leaders’, elle ne brille pas au détriment de son entourage. En dehors du travail, Angela Merkel mène une vie presque normale. On la voit souvent faire ses courses dans le supermarché, flanquée toutefois de ses gardes du corps.
Enfin, Angela Merkel semble imprégnée d’un sentiment du devoir vis-à-vis de son pays. Ayant grandi dans une Allemagne déchirée et dans la partie qui a le plus souffert des circonstances de la deuxième guerre mondiale, Mme Merkel ne donne pas l’impression d’être obsédée par sa propre carrière ou par l’entrée dans l’Histoire. Elle est là d’abord pour servir et non pas pour se servir. Cela fait une grande différence.