Suite à un long processus, Twitter est entré en bourse le 6 Novembre 2013 et s’est exposé pour la première fois aux forces du marché. Cette introduction a battu des records : le prix de l'action, d'abord fixé à $ 26 USD, a augmenté de 73% dès la première heure de cotation. Pourquoi un tel engouement de la part des investisseurs pour les actions de Twitter ?
A la date d’introduction, la société ne créait pas encore de profits et avait déclaré ouvertement qu'elle ne serait pas rentable avant 2015. Beaucoup ont assimilé son succès sur le marché boursier à une seconde bulle Internet : prête à éclater à tout moment.
Ce gain de valeur et cette explosion du prix peut en partie s’expliquer par les anticipations d’une très forte croissance future de Twitter. Cependant, pour comprendre pourquoi l’entrée en bourse de Twitter a rencontré un tel succès, il faut comprendre les actifs incorporels sous-jacents, qui sont aujourd'hui un moteur de création de valeur de plus en plus important. Quatre forces révolutionnent en effet l’économie numérique : les réseaux sociaux, le Clouding, les Big Data, et les mobiles.
Comment mesurer l’immatériel ?
Attribuer une valeur à une organisation devient de plus en plus difficile : alors que certains actifs de l'organisation – les actifs corporels tels que les stocks, les biens immobiliers, etc. – sont simples à mesurer et qu’ils apparaissent sur le bilan, d’autres actifs – les actifs immatériels tels que les brevets, les droits d'auteur, les marques, mais également la R&D, les Big Data – sont difficiles à évaluer objectivement puisque leur valeur dépend de la capacité d'une entreprise à les utiliser.
Pourtant, les immatériels représentent d'énormes sommes d'argent et contribuent beaucoup à la réussite de la plupart des organisations. Google, par exemple, est aujourd'hui évaluée par le marché boursier à environ 355 milliards de dollars (capitalisation boursière au 31 déc. 2014). Cependant, le bilan de Google ne fait apparaitre qu’une valeur de 96 milliards de dollars. Cela laisse 259 milliards de dollars à comptabiliser - une vaste somme représentant la longue liste des actifs incorporels de Google, y compris ses brevets, ses technologies, et la valeur de sa marque.
Puisque les actifs incorporels sont à l’origine d’une partie grandissante de notre économie, les organisations sont de plus en plus susceptibles de communiquer volontairement sur ces éléments, afin de donner aux investisseurs une idée claire de la valeur globale de leur entreprise. Mais comment pouvons-nous valoriser objectivement une marque, d’autant plus si cette marque a été développée en interne plutôt qu’achetée à un prix déterminé ? Devrait-on alors inciter ou obliger les entreprises à mesurer et à communiquer de façon standardisée sur leurs actifs immatériels ?
En dépit de l’importance économique des actifs immatériels, les experts n’ont pas encore tranché sur cette question.
Certains plaident en faveur de la réforme du système actuel ...
D'une part, plusieurs chercheurs soutiennent qu'il est nécessaire de revoir la façon dont nous communiquons sur les actifs immatériels. Même si le concept et les règles de comptabilisation ont été clarifiés depuis la mise en place des IFRS (normes comptables internationales), ces chercheurs soulignent que d'autres changements sont à effectuer pour s’assurer que ces actifs soient évalués et présentés d'une manière homogène.
Nakamura (2000), par exemple, soutient que dans notre «nouvelle économie», les business models fructueux s’appuient de moins en moins sur les investissements matériels et de plus en plus sur les investissements immatériels. Lev et Zarowin (1999) vont plus loin et montrent que l'information comptable traditionnelle est moins pertinente que par le passé.
D'autres encore avancent que l'asymétrie d'information est exacerbée dans le cas des immatériels (phénomène d’insider trading dans les entreprises à forte intensité de R&D). Enfin les investisseurs n’arrivent pas à évaluer correctement les entreprises intensives en immatériel, en raison de la plus faible pertinence des états financiers (Eberhart et al. 2004 ; Lev et al. 2007).
... D'autres sont contre
En revanche, d'autres chercheurs soutiennent que trop de reporting tue le reporting. Penman (2009) rappelle que le bilan ne semble pas utile pour la valorisation financière des entreprises, les investisseurs utilisent en effet principalement le compte de résultat comme source première d’information.
Skinner (2008), quant à lui, affirme que les marchés financiers fonctionnent correctement pour financer les entreprises intensives en immatériel et qu’ils n’ont donc pas besoin d’information supplémentaire. Au contraire mesurer et activer les immatériels pourrait détériorer la fiabilité des états financiers (Skinner, 2008). L’exemple de l’activation des frais de R&D à des fins de gestion du résultat comptable en est un exemple (Cazavan-Jeny et al. 2011).
Le débat fait donc encore rage et ouvre la voie à de nouvelles pistes de recherche.
Référence :
Cazavan-Jeny, A., Jeanjean, T., Joos, P., 2011. Accounting choice and future performance: The case of R&D accounting in France. Journal of Accounting & Public Policy 30(2), 145-165.
Eberhart, A.C., Maxwell, W.F., Siddique, A.R., 2004. An Examination of Long-Term Abnormal Stock Returns and Operating Performance Following R&D Increases. Journal of Finance 59(2), 623-650.
Lev, B., Nissim, D., Thomas, J., 2007. On the Information Usefulness of R&D Capitalization and Amortization, in: Co, A.P. (Ed.), Visualizing Intangibles: Measuring and Reporting in the Knowledge Economy. S. Zamblon and G. Marzo, pp. 97-128.
Lev, B., Zarowin, P., 1999. The Boundaries of Financial Reporting and How to Extend Them. Journal of Accounting Research 37(2), 353-385.
Nakamura, L., 2000. Economics and the New Economy: The Invisible Hand Meets Creative Destruction. Federal Reserve Bank of Philadelphia Business Review(July/August).
Penman, S.H., 2009. Accounting for Intangible Assets: There is Also an Income Statement. Abacus 45(3), 358-371.
Skinner, D.J., 2008. Accounting for intangibles - a critical review of policy recommendations. Accounting & Business Research 38(3), 191-204.