Les technologies telles que la messagerie instantanée, la visio-conférence et l’accès à distance contribuent à modifier notre manière de travailler. Non seulement nous sommes de plus en plus susceptibles de travailler depuis chez nous ou de lieux autres que le bureau, mais nous sommes surtout susceptibles de travailler avec des collègues éloignés géographiquement ou au sein d’équipes virtuelles. Nos relations de travail éloignées géographiquement sont-elles aussi fortes ou productives que les relations que nous cultivons avec nos collègues de bureau autour de la machine à café ?
D’un côté, la sagesse immémoriale est un courant de recherches bien établi qui nous dit que la proximité physique est un ingrédient essentiel pour forger des liens interpersonnels tant dans un contexte social que professionnel. Mais d’un autre côté, certains chercheurs avancent que les nouvelles technologies peuvent contribuer à modifier le sens même de la distance et de la collaboration.
Notre étude, menée en collaboration avec Michael Boyer, de Georgetown University, et Jeanne M. Wilson, de Mason School of Business, soutient un courant minoritaire de la recherche qui a montré la manière dont les gens peuvent nouer des liens forts même s’ils sont séparés par de grandes distances. Nous observons la manière dont les sentiments de proximité et d’identité partagée se créer tant au sein des équipes proches qu’éloignées géographiquement, non seulement grâce à une analyse quantitative de la fréquence de la communication, du moyen utilisé et de la ressemblance, mais aussi grâce à une analyse qualitative de la manière dont ces moyens véhiculent (ou non) un sentiment de proximité entre collègues.
La qualité des relations de travail dépend du niveau de proximité symbolique
Le fait de communiquer avec une personne, que ce soit par mail, téléphone ou en face-à-face, est chargé d’une signification symbolique souvent riche et dense. Au vu de ce symbolisme, les recherches ont montré que nous pouvons développer un sentiment de « proximité symbolique » même quand nous sommes objectivement éloignés.
Le proximité symbolique se retrouve souvent entre des collègues distants qui partagent des informations personnelles. Par exemple, un employé situé à Paris peut découvrir des intérêts communs ou l’appartenance à une catégorie sociale similaire avec son collègue du Texas. En travaillant ensemble, ces collègues peuvent développer un espace commun d’expériences et d’actions partagées, tandis que les échanges par mails ou autre créent une implication envers des objectifs professionnels communs et montrent l’interdépendance. Une fois que les individus perçoivent leurs collègues éloignés comme appartenant à des catégories similaires et qu’ils ont vécu des expériences communes, des sentiments de proximité symbolique peuvent se développer, sans tenir compte de l’éloignement géographique.
Un des résultats, peut-être surprenant, de notre enquête est que la communication régulière entraînant le développement profond d’intérêts communs et permettant de prédire si les individus étaient satisfaits de ces relations, s’ils avaient appris grâce à elles et s’ils souhaitaient que ces relations continuent, et ce même pour des collègues éloignés d’environ 1 300 kilomètres. De manière encore plus surprenante, nous avons découvert que la distance réelle qui séparait des collègues (proximité objective) n’avait que peu ou pas à voir avec le sentiment de proximité (proximité perçue) -et qu’elle n’avait pas d’effet sur la qualité de la relation.
L’explication de ces découvertes tient aux aspects hautement symboliques de la communication et de l’identification. En fait, les systèmes symboliques ont évolué au point où la communication et l’identité partagée peuvent créer une proximité perçue aussi forte pour les collègues éloignés géographiquement que pour ceux qui sont au même endroit. En effet, les collaborateurs travaillant par-delà des distances objectivement importantes peuvent tout à fait chercher fortement à communiquer et à développer des liens de travail forts avec leurs collègues.
Les systèmes d’information jouent un rôle clé dans la transmission de la valeur symbolique
De nombreux collègues éloignés n’ont que peu d’emprise ou de contrôle sur les distances qui les séparent, ils ont en revanche une emprise sur la fréquence de la communication, ou les systèmes d’information actuels ont plus que jamais facilité la communication. En fait, contrairement aux études précédentes, nous avons découvert que non seulement les collaborateurs éloignés communiquaient tout autant que ceux qui étaient situés au même endroit, mais que leurs niveaux d’identité partagée de proximité perçue étaient en général identiques à ceux de collègues travaillant au même endroit.
Dans certains cas, les relations virtuelles étaient préférées. Selon une personne interrogée, « La technologie est la clé de la relation entre (nom d’un collègue éloigné géographiquement) et moi. Comme nous ne travaillons pas dans le même bureau, la seule forme de communication régulière passe forcément par les courriels et les appels téléphoniques. Cela nous permet de préparer ce qui doit être dit, tandis qu’avec (nom d’un collègue proche géographiquement) nous disons parfois les choses précipitamment, dès qu’elles apparaissent dans notre esprit, sans prendre en compte toutes les implications de nos paroles. »
Aujourd’hui, l’accent est de moins en moins mis sur les systèmes d’information vus comme des « tuyaux » ou des réseaux mais porte plutôt sur leur perception comme des moyens de véhiculer un sens partagé et une valeur symbolique. En effet, les caractéristiques de la communication moderne affectent notre perception de la proximité via trois mécanismes : l’augmentation de la prépondérance cognitive, la réduction de l’incertitude, et la vision du contexte dans lequel l’autre évolue. En fait, la part symbolique des nouvelles technologies commence à rendre immédiat notre sentiment de proximité perçue.
Par exemple, Google+ permet à ses utilisateurs d’organiser leurs contacts en des cercles qui représentent différents degrés de proximité perçue ; ils peuvent partager des informations avec seulement certains cercles de personnes. Par conséquent, Google+ file les métaphores comme le « cercle rapproché », qui désigne les personnes que nous percevons comme les plus proches de nous. Si vous rajoutez une personne dans votre cercle rapproché, cela renforce vos attentes sur votre manière de vous identifier à cette personne et de communiquer avec elle.
Ce dont les managers peuvent tirer parti
Si la plupart des chercheurs ont déclaré que la distance géographique objective avait un impact négatif sur la collaboration, notre étude révèle que les managers peuvent profiter des nombreux avantages de la distance géographique sans que les employés ne travaillent forcément au même endroit. En d’autres termes, s’ils utilisent la bonne approche, les managers peuvent créer de forts liens de travail et donner lieu à une collaboration efficace entre les membres d’une équipe, même s’ils ne se sont jamais rencontrés de visu.
Pour résumer, les managers d’équipes virtuelles ne devraient pas tant porter leur attention sur la distance objective que sur le développement de la proximité perçue, ce facteur étant en définitive celui qui influera le plus sur la cohésion de l’équipe et ses performances. Surtout, il faudrait veiller à encourager les membres à communiquer fréquemment, ce qui permettra de véhiculer un sens symbolique et de renforcer le sentiment d’identité partagée.
Notre étude montre donc que la proximité perçue est un élément puissant dans la problématique actuelle du lieu de travail. En même temps, en tant que construction symbolique, la proximité perçue est liée à deux autres processus symboliques : la communication et l’instauration d’une identité partagée.
La notion de proximité perçue dans les études sur les organisations ainsi que les résultats de notre étude contribuent à mieux comprendre comment l’action des individus est dirigée par le sens qu’ils donnent à leur environnement. En effet, la mondialisation du travail et le travail à distance ont sans doute atteint le point où le regroupement des travailleurs n’est plus l’aune pour mesurer la dispersion des collaborateurs.