Le réseautage au féminin : parité et modèles professionnels

Le réseautage au féminin : parité et modèles professionnels

Par le passé, plusieurs approches ont été tentées pour encourager les femmes à accéder à des postes à fortes responsabilités dans les entreprises[i] ; certaines de ces initiatives ont cherché à « préparer » les femmes par la formation, le coaching et les réseaux de femmes ; d’autres ont essayé de renverser les perspectives et de promouvoir des styles de management et direction plus « féminins », en les présentant comme complémentaires et essentiels pour les résultats de l’entreprise[ii]. Pendant ce temps, les cadres juridiques ont de plus en plus promu l’égalité des chances aux différents niveaux de l’entreprise.

Malgré tout, il y n’a que peu de femmes aux échelons les plus élevés des entreprises ; elles représentent en moyenne seulement 10 à 15% des membres des conseils d’entreprise en Europe.

Plusieurs pays européens ont introduit la parité dans les conseils des entreprises publiques afin de faire avancer la cause des femmes : la Norvège, pionnière de la parité en Europe, a fait passer en 2002 une loi ambitieuse, imposant 40 % de femmes dans les conseils d’entreprise d’ici 2008. D’autres pays européens ont voté des lois semblables au cours des années 2000, dont les Pays-Bas, l’Espagne et la France.

Au premier abord, ces lois sont plus ou moins appliquées : en Norvège, par exemple, au cours des dix ans précédant le vote de la loi sur la parité, le pourcentage de femmes dans les conseils d’entreprise était resté à 5 %. Après le vote de la loi, ce pourcentage a fortement augmenté pour atteindre l’objectif de 40 % en 2010. Néanmoins, même si les lois imposant la parité peuvent se révéler efficaces, il est nécessaire de procéder à une analyse critique.

Tout d’abord, la manière dont la loi est appliquée compte pour beaucoup. Dans des pays comme les Pays-Bas et l’Espagne, où la parité dans les conseils d’entreprise a été introduite respectivement en 2009 et 2007, les lois ne prévoient pas de sanctions pour les entreprises ne respectant pas la parité, mais leur demande seulement de se justifier. Par conséquent, le taux d’application n’est pas celui de la Norvège : les chiffres montrent que le nombre de femmes dans les conseils espagnols n’a augmenté que de 2 % depuis le vote de la loi[iii]. Des chiffres semblables sont prévus pour les Pays-Bas[iv].

En outre, une analyse approfondie du cas norvégien[v] indique que les femmes membres de conseils d’entreprise sont plus susceptibles que les hommes d’avoir plusieurs fonctions dans ces conseils. Cette tendance est récente et remonte à l’application de la loi sur la parité, et signifie qu’une manière d’augmenter la participation des femmes dans les conseils consiste à nommer les mêmes femmes dans plusieurs entreprises. Par conséquent, l’impact général de la loi sur la parité en Norvège visant à faire entrer plus de femmes dans les conseils est en réalité moindre par rapport à ce que les chiffres laissent penser.

Plus important, l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils est trop souvent due à l’arrivée de cadres indépendants, qui n’ont pas de fonctions exécutives. Ce sont le plus souvent des experts en droit et en politique extérieurs à l’entreprise, et comme ces femmes n’ont pas d’expérience dans l’entreprise, leurs collègues femmes ont du mal à les percevoir comme des modèles de rôle[vi].

Si l’on considère qu’il est important d’augmenter la participation des femmes dans les instances de direction, non seulement pour améliorer la gouvernance et les résultats de l’entreprise, mais aussi pour encourager les femmes à s’impliquer dans leur lieu de travail et leur carrière, nous devons prendre en compte le rôle de modèle qu’ont les femmes siégeant dans les conseils d’entreprise.

Pour prévoir le déroulement de leur carrière, les hommes ont à leur disposition de nombreux modèles de rôle dans les postes d’encadrement supérieur. Les femmes, au contraire, ont beaucoup plus de mal à identifier des modèles de rôle qui leur servent. Il leur est difficile de trouver des modèles de rôle accessibles et auxquels peuvent s’identifier les femmes occupant des postes d’encadrement intermédiaire ou de premier échelon. Dans la mesure où les femmes présentes dans les conseils d’entreprise ont mené une carrière similaire, partagent des valeurs comme l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et sont accessibles si bien que l’on peut les contacter directement ou indirectement, elles sont plus aptes à être des modèles de rôle. Au contraire, la forte tendance à nommer des femmes cadres indépendantes, qui n’ont pas de fonctions exécutives, n’encourage ni l’accessibilité ni l’identification et réduit la capacité des autres femmes de les voir comme des modèles de rôles potentiels. Nous en concluons que l’impact à long terme de l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils du fait des lois sur la parité est généralement faible.

Nous pouvons tirer quelques conclusions de cette analyse : tout d’abord, nous percevons l’importance des sanctions en tant qu’éléments clés de l’application de la loi sur la parité. Au-delà, il convient de faire particulièrement attention au type de femmes qui est recruté dans les conseils d’entreprise, afin de mesurer les conséquences à long terme pour les femmes dans leur lieu de travail. Les femmes des générations futures ont besoin de modèles à suivre.

Dans leur ouvrage, édité par la Chaire de l’ESSEC Leadership et Diversité et intitulé Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender[vii], Junko Takagi et Stefan Gröschl, professeurs à l’ESSEC, invitent les professeurs et chercheurs travaillant sur les questions de genre dans le monde professionnel à débattre des principes de la parité et sa mise en pratique dans le monde entier. Ils se concentrent notamment sur l’application de la parité -et ses implications- dans les conseils d’entreprise de plusieurs pays européens, dont la Norvège et la France.


[i] Ely, R.J., Foldy, E.G. and Scully, M.A. (2003) Reader in Gender, Work and Organization. Malden, MA: Blackwell Publishing.

[ii] McKinsey Report (2007, 2008). Women Matter 1 and 2.

[iii] Galbadon, P. (2012) “Spain: The drive for gender equality”, in Groshl, S. and Takagi, J (eds) (2012) Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender. Surrey, UK: Gower Publishing Ltd.

[iv] Luckerath-Rovers, M (2012) “The feasibility of the Dutch quota bill.” in Groshl, S. and Takagi, J (eds) (2012) Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender. Surrey, UK: Gower Publishing Ltd.

[v] Huse, M (2012) “The ‘Golden  Skirts’: Lessons from Norway about women on corporate boards of directors”, in Groshl, S. and Takagi, J (eds) (2012) Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender. Surrey, UK: Gower Publishing Ltd.

[vi] Takagi, J. and Moteabbed, S (2012). “The construction of wokrplace identities for women: Some reflections on the impact of female quotas and role models”, in Groshl, S. and Takagi, J (eds) (2012) Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender. Surrey, UK: Gower Publishing Ltd.

[vii] Groshl, S. and Takagi, J (eds) (2012) Diversity Quotas, Diverse Perspectives: The case of gender. Surrey, UK: Gower Publishing Ltd.

Suivez nous sur les réseaux