Sonja Prokopec, Professeur de Marketing à l’ESSEC Business School et experte renommée à l’internationale sur le comportement des consommateurs et l’image de marque dans le secteur du luxe, nous explique ce que le soutien des célébrités apporte aux candidats à l’élection présidentielle américaine et la vision qu’en ont les électeurs.
Les célébrités : un soutien de taille
Les candidats à l’élection présidentielle américaine ont depuis longtemps utilisé le soutien des célébrités pour conquérir le cœur des américains et gagner de potentiels électeurs le jour J. La campagne pour l’élection présidentielle américaine de 2016 suit également cette tendance, bien que le soutien des célébrités est, cette fois-ci, d’une ampleur et d’une intensité inégalées : Sigourney Weaver, George Clooney, Britney Spears, Richard Gere et Amy Schumer ne sont seulement qu’une petite partie des célébrités qui ont manifesté de manière visible leur soutien à Hillary Clinton. Donald Trump a également son lot de célébrités qui le suivent, soutiens parfois surprenants, comme Ted Nugent, Azealia Banks et la star de la télévision et des réseaux sociaux Tila Tequila, pour n’en citer que quelques-uns. Mais qu’est-ce qu’une « célébrité » dans le sens marketing du terme et qu’est-ce qui les différencient ?
D'un point de vue marketing, les célébrités sont des «marques» soigneusement gérées de façon à être perçues d'une certaine manière par le public : le choix des rôles et des apparitions, le choix des vêtements et même des organismes de bienfaisance qu'elles appuient, rentrent en compte dans la construction de leur marque. Mais comment les célébrités tirent-elles parti de leur marque pour se différencier ? Kim Kardashian et Kanye West choisissent, par exemple, de gérer leurs marques pour augmenter leur richesse personnelle et leur popularité, tandis que d'autres utilisent leur marque comme une plate-forme pour faire des changements plus importants dans le monde, afin de parler pour ceux qui ne peuvent pas se faire entendre ou pour se battre pour des causes qui comptent. Cela est le cas notamment de célébrités comme Angelina Jolie et son travail humanitaire avec les réfugiés, d’Emma Watson et son engagement pour les droits des femmes, ou encore d’Amal Clooney – oui, what else, la femme de George - avocate et militante des droits de l'Homme. Cependant, il existe une certaine injustice dans le monde des célébrités, comme partout : les célébrités ne sont pas toutes égales. Notons l’exemple du pouvoir d’Oprah Winfrey, par exemple, qui est le rêve ultime de chaque célébrité en termes de sensibilisation, de visibilité, de nombre de fans, mais aussi dans sa capacité à faire changer les choses.
Le processus électoral américain : les électeurs reçoivent-ils bien le message ? Et lequel ?
Le vote pour un candidat à l’élection présidentielle est une décision importante pour la plupart des électeurs américains. Ce vote est également complexe : les électeurs doivent réfléchir à ce qui définit le candidat et à ce qu'ils représentent - cela n’est pas une tâche facile compte tenu de la surcharge d'informations, de données contradictoires, et des tactiques de persuasion agressive des candidats. Si nous examinons cela dans la perspective du comportement des consommateurs, le vote pour un candidat à l’élection présidentielle américaine est, pour la plupart des électeurs, une activité à forte implication, où l'information est traitée par la voie centrale (en référence à Elaboration Likelihood Model). Cela nécessite une étude minutieuse et réfléchie de l'information recueillie avant de se forger une opinion et, finalement, oblige à prendre une décision et à choisir sur son candidat préféré. On peut considérer regrettable que la politique et les partis aux Etats-Unis soient devenus très partagés durant la dernière décennie, si bien que de nombreux électeurs sont susceptibles de rester aux côtés d’un candidat de leur propre parti, même s’ils ne sont pas nécessairement comme eux ou d'accord avec leurs idées. Par exemple, si l’on regarde la base électorale de Donald Trump, on remarque que peu importe les nouvelles informations négatives publiées sur lui, la base de son électorat, au moins, n’est pas influencée. Il apparait que, pour beaucoup d'électeurs, le choix d'un candidat devient une activité de faible implication, où ils se livrent à ce que nous appelons la voie périphérique (en référence à Elaboration Likelihood Model)*, pour laquelle ils sont plus souvent susceptibles de faire des généralisations simples sur les mérites de la position défendue par le candidat.
Les signaux reçus par les individus en vertu de la voie périphérique sont généralement sans rapport avec la qualité logique de l'argumentation. Ces indices impliquent des facteurs tels que la crédibilité ou l'attractivité du message (un joli sourire, une robe impressionnante ou colorée…), ou la forme du discours (les gestes, les mots employés ou même le choix de la musique pendant les meetings). Il est intéressant de noter que, par exemple, contrairement à de nombreux partisans de Donald Trump, les partisans de Bernie Sanders semblaient s'engager plus profondément sur les questions de politique quotidienne et examiner soigneusement l'information présentée à l'appui de leur plaidoyer. Cela pourrait, par ailleurs, expliquer le gain énorme en popularité de Bernie Sanders ainsi que le montant des dons recueillis pour sa campagne.
Le soutien des célébrités pendant les élections 2016 : une carte maitresse parfois "trumpeuse"
Si nous pensons aux célébrités comme sources d'information, leur soutien tend à être plus efficace pour les produits à faible participation - où le consommateur n'a pas à réfléchir sur son choix d'acheter - ou lorsque les consommateurs s’engagent dans la voie périphérique de l'information - couleur, son, attractivité. Le soutien de célébrités est donc meilleur lorsqu’il s’agit de décider quel parfum acheter plutôt que pour quel candidat voter.
Il a déjà été dit que toutes les célébrités ne sont pas égales : c’est aussi vrai pour les électeurs. Par exemple, les électeurs qui votent pour la première fois sont plus influencés par les célébrités parce qu'ils n’ont généralement pas encore développé des opinions fortes sur les questions politiques. En outre, plus les électeurs ont des difficultés à traiter certaines des questions incluses dans le débat, comme la politique étrangère ou l'immigration, plus ils seront également susceptibles d'être influencés par des enjeux superficiels comme le soutien des célébrités.
Les célébrités diffèrent par leur niveau de crédibilité et d'expertise en matière de politique. Les célébrités qui ont été concernées par les questions politiques ou de droits de l’Homme avant l'élection (et qui ont construit leur marque en étant perçue comme telle), peuvent avoir plus de pouvoir dans leur soutien à un candidat. Cela se vérifie notamment avec le soutien d'Oprah Winfrey à Barack Obama en 2008, qui n'a pas seulement permis d’augmenter la participation des électeurs et le nombre de contributions reçues par Obama, mais qui a aussi permis d’avoir environ 1 million de votes en sa faveur (Garthwaite et Moore 2008).
Le soutien de célébrités peut-il se retourner contre le candidat ? Bien sûr. Si la célébrité en question est associée ou perçue d’une certaine manière et que cela ne bénéficie pas à l'homme politique ou au produit, au lieu d'agir comme un message positif «achetez-moi», la célébrité peut se révéler à l’inverse être un frein. Par exemple, certains des partisans de Donald Trump comme Charlie Sheen – qui a fait un sacré coup de bluff en annonçant son soutien à Donald Trump pour en fait révéler la mascarade et se révéler être un vrai détracteur de Trump – ne rendraient pas heureux les autres candidats qui ne souhaiteraient pas se retrouver dans cette situation.
Autres article du Prof. Sonja Pokopec :
- "Opening a donor's wallet: The influence of appeal scales on likelihood and magnitude of donation" (A. De Bruyn, S. Prokopec), Journal of Consumer Psychology, Oct 2013.
- "Coram Populo? In the Presence of People: The Effect of Others in Virtual Worlds" (L. Goel, S. Prokopec, I. Junglas), Journal of Computer-Mediated Communication, Feb 2013.
- "Resisting that triple-chocolate cake: Mental budgets and self-control" (P. Krishnamurthy, S. Prokopec), Journal of Consumer Research.
- "IF YOU BUILD IT WILL THEY COME? - AN EMPIRICAL INVESTIGATION OF CONSUMER PERCEPTIONS AND STRATEGY IN VIRTUAL WORLDS" (S. Prokopec, L. Goel), Electronic Commerce Research Journal, Mar 2009.