Comme de nombreux secteurs, la formation au management vit la désintégration de sa chaîne de valeur. Cela crée des opportunités pour une nouvelle génération d’acteurs et confronte les business schools établies à des défis sans précédents.
L’archétype de la business school du XXème siècle est un modèle d’intégration verticale consistant à produire des connaissances, recruter des étudiants, élaborer des cours, enseigner, attester les connaissances des étudiants et les aider à trouver un emploi. Les effets combinés des nouvelles technologies, de la concurrence des autres producteurs et distributeurs de connaissances et la recherche d’une plus grande efficacité économique remettent ce modèle en question.
Quelles sont les conséquences sur le secteur ? Cela crée des opportunités pour de nouveaux acteurs de se positionner sur un ou quelques maillons de la chaîne de valeur. Par exemple, on peut affirmer que rien n’est plus important pour un établissement d’enseignement que d’évaluer la performance des étudiants, mais EduMetry s’est spécialisée dans l’évaluation des connaissances des étudiants par des experts basés en Asie qui reçoivent et notent des copies d’examens.
Person Education, qui fait partie du même groupe que le Financial Times, a développé un entrepôt numérique, Equella, qui, avec Moodle, peut servir de base à la conception d’une myriade d’options de cours. Des entreprises à but lucratif gérant des plateformes de cours en ligne (les fameux Moocs), comme Coursera, n’investissent ni dans la recherche ni dans la conception ou la production de cours. Elles se concentrent sur la distribution de masse et, espèrent-elles la rentabilisation, de cours mis gratuitement à leur disposition par les universités du monde entier. Les universités d’entreprise se concentrent sur l’élaboration et la production des programmes et utilisent les connaissances en libre accès. Les grands cabinets de conseil et des auteurs indépendants produisent des travaux de recherche influents largement repris dans les enseignements des business schools. Tous ces acteurs sont en concurrence avec les business schools sur un maillon ou un autre de la chaîne de valeur.
Quelles sont donc les conséquences de la désintégration de la chaîne de valeur sur les business schools établies? Elles doivent réexaminer radicalement la viabilité de leur modèle traditionnel. Seule une poignée d’école d’élite avec des marques mondiales fortes seront capables de résister aux nouvelles formes de concurrence ; les autres ne le pourront pas. La plupart devront choisir un cœur de métier, un noyau d’expertise, et se désengager des activités qui n’en font pas partie. Par exemple, certaines écoles pourraient décider que la recherche n’est plus un choix viable et se concentrer sur l’ingéniérie pédagogique et l’enseignement. D’autres pourraient cesser de concevoir des cours et se concentrer sur les Moocs à valeur ajoutée grâce à un tutorat assuré par des enseignants plus malléables et moins coûteux. D’autres pourraient externaliser la sélection des étudiants, l’évaluation des travaux des étudiants ou le service carrière auprès de spécialistes qui pourraient effecteur ces tâches à moindre coût.
La désintégration de la chaîne de valeur va forcer à faire des choix déchirants pour les acteurs actuels. La « planification stratégique » dans le milieu des business schools était principalement un exercice d’imitation –rajouter plus d’enseignants, de programmes, de partenariats, de bâtiments, d’infrastructures technologiques, etc. Les doyens étaient des collecteurs de fonds dont la mission n’était pas tellement de faire des choix stratégiques solides mais de « nourrir la bête ».
La bonne nouvelle pour les doyens, aujourd’hui, est qu’ils devraient se servir de la désintégration de la chaîne de valeur pour poser un regard, réaliste et factuel, sur la position de leur école dans la chaîne de valeur et inventer des alternatives stratégiques. Cela peut conduire à abandonner certaines activités, dont la sacro-sainte recherche, ou s’engager dans d’autres, comme l’offre de services de conseil produits par les étudiants sous la supervision de praticiens, ou accélérer l’usage des technologies d’enseignement virtuel. Ces solutions se heurteront à la force des vieilles habitudes, des classements et autres accréditations. Mais le torchon brûle et la grande majorité des business schools ne pourra pas maintenir l’ancien modèle.
De nombreux collègues perçoivent la nouvelle ère comme menaçante pour les business schools (et pour eux-mêmes), mais nous croyons qu’elle ouvre des opportunités à qui voudra les saisir et agir en pionnier. Pour prospérer dans une chaîne de valeur désintégrée, les écoles ont besoin de doyens courageux qui osent la confrontation avec les nombreuses vaches sacrées de la profession, sans perdre leur tête en cours de route.
Paru dans le Financial Times. Co-écrit avec John R. Kimberley, Professor of Entrepreneurial Management, University of Pennsylvania, The Wharton School.