Mixité au sein des conseils d’administration, un premier bilan

Mixité au sein des conseils d’administration, un premier bilan

Qu’est-ce que la mixité change ou pourrait changer au sein des conseils d’administration et de surveillance ou des comités exécutifs ? Y a-t-il un effet d’entraînement sur la politique d’égalité au sein des entreprises ? Viviane de Beaufort dresse un premier bilan en lien avec une montée relative de l’activisme actionnarial sur la politique RH en matière de mixité.

De plus en plus d’États ont adopté ou prévoient d’adopter prochainement des lois dites «quotas» dont la loi Coppé-Zimmermman de 2011 est emblématique. Ainsi, en Allemagne, ou en Californie, qui a entamé cet été une action de nature législative qui devrait être adoptée sous peu, un mouvement se déploie, de nature législative mais aussi sous forme d’engagements de place comme au Royaume-Uni. La dynamique est évidente

L’effet de la loi est indéniable : à l’issue des AG de 2018, on compte 43,3% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés du SBF120. La mixité des CA des grands groupes est donc réalisée. En revanche, dans les sociétés non soumises à la loi, le pourcentage a peu bougé avec un taux de 17%.

Les incomplétudes ou limites

Ainsi, un 1er bémol est à émettre, car ces évolutions notables se révèlent insuffisantes pour atteindre le quota sur le périmètre d’après. Hors cote, les données approximatives laissent à penser que le quota n’est pas atteint, et la perspective de l’extension du périmètre aux entreprises de 250 salariés pour 2020 (Loi Vallaud-Belkacem) ne semble pas encore préparée.

Le second bémol concerne l’influence relative des administratrices nommées. Elle est à mesurer objectivement en fonction du nombre de présidences dans les comités, etc. ; le reste demeurant affaire de personnalité et de réseau mais difficilement mesurable, même si certains tentent d’approcher la notion de réseau d’influence[1]. On lit souvent à ce sujet que les femmes étaient discriminées. J’ai un avis différent, il semble logique qu’une nouvelle nommée au même titre qu’un nouveau nommé, excepté s’il est (elle est) DG ou très expérimenté/e fasse ses classes au sein du conseil avant de prendre des responsabilités supplémentaires au sein d’un comité. Les dernières évolutions mesurées notamment par Ethics and Boards ou Gouvernance & Structures et tout spécialement Deloitte[2] semblent rassurantes : « Pour les sociétés du SBF 120, le taux médian de participation des femmes aux comités spécialisés du conseil est de 39%, identique à leur représentation au sein du conseil (39%). En revanche, le taux de présidence féminine d’un comité spécialisé est de 33%, inférieur à leur taux de participation au conseil, mais en hausse significative… et plus importante pour les comités d’audit (44%), RSE (61%), éthique (75%) et risques (50%) ».

C’est finalement l’effet d'entraînement espéré de «la loi quota» sur l’amélioration de la mixité des instances dirigeantes (comex/codir), et plus largement sur l’égalité hommes/femmes au sein de l’entreprise qui interpelle. La proportion moyenne de femmes au Comex des sociétés du SBF 120 est passée de 12 à 15 % entre 2013 et 2017 ; en post AG 2018 la non corrélation entre mixité du CA et mixité du comex est parfois troublante : AccorHotel à 40 % pour le CA est à 8,3 % de femmes au comex et Air Liquide ou Axa carrément à 0.

La mobilisation des actionnaires activistes

En 2015, l’EWSDGE (European Women Shareholders Demand Gender Equality), a réuni une centaine d’actionnaires femmes juristes dans onze pays de l’Union européenne et dans cent vingt-cinq AG de sociétés cotées pour poser des questions sur la politique de mixité. En France, l’Association française des femmes juristes et AAA+ ont ainsi pu poser des questions sur la place des femmes dans les instances dirigeantes dans une vingtaine de sociétés du CAC40.

L’égalité hommes/femmes monte en puissance auprès des investisseurs : Morgan Stanley a lancé en 2013 son Parity Portfolio qui investit dans des entreprises dont le conseil d’administration ou de surveillance compte au moins trois femmes. Barclays a son nouvel indice composé d’entreprises américaines «Women in Leadership Index».

Et l’activisme sociétal se développe, on citera entre autres le rapport critique de Proxinvest ; le livre blanc de la Fédération des femmes administrateurs sur le conseil 4D qui entre autres plaide pour plus de diversité (10 juillet 2018), l’indice Zimmermann 2018 (12 juillet 2018) qui intègre des critères de féminisation dépassant les conseils afin que la mixité des CA ne touche pas que le haut de la pièce montée !

Le gouvernement avec le projet Pacte souhaite imposer un reporting systématique sur la mixité des COMEX sur le périmètre des grands groupes cotés.

L’effet nouvel entrant

Comme tout nouvel entrant, les femmes ont des attentes importantes. Écartées de ces espaces de pouvoir, elles ont développé une version idéalisée du fonctionnement des Conseils et de la mission des administrateur/es[3]. En tant que minoritaires, le complexe de l’Imposteur fait son œuvre et elles recourent aux compétences pour se rassurer sur leur légitimité de «femme quota», préparant donc bien leurs dossiers. Il a été vérifié que les administratrices sont plus assidues, préparent les réunions, posent des questions. Des «patrons» le disent, leur CA est « plus professionnel, plus efficient »[4].

Des attentes liées à la posture de minoritaire

Toutefois, d’autres facteurs interfèrent. Souvent atteintes dans leur parcours par l’exercice autoritaire du pouvoir, elles sont désireuses d’exercer celui-ci de manière plus collective. Relativement libérées de la quête des attributs du pouvoir, elles préfèrent œuvrer pour entreprendre des actions concrètes au nom de l’intérêt social de l’entreprise. Redoutant les conflits directs, elles ont en général développé une capacité de médiation et d’influence. Elles cultivent également un sens aigu du respect de la règle car une majorité d’entre elles a subi des situations de discrimination et intégré que la norme protège.

Enfin, le désir de changer de modèle est une constante : «faire évoluer la gouvernance, trop financière, pas assez opérationnelle» ; assurer une diversité des profils ; faire de l’évaluation des conseils un exercice systématique et ayant des conséquences pour que le CA joue «son rôle de pilote dans l’avion»[5].

Les travaux Gender and Governance menés depuis 2011[6] et vérifiés maintes fois au sein du programme Women Be Board Ready à l’ESSEC, puisent leur source dans la littérature académique concernant les rapports minoritaire/majoritaire ethniques aux USA[7], et permettent de distancier de la problématique Femme/Homme[8]. Le minoritaire apprend l’écoute, développe une capacité de coopération, de médiation et a une capacité d’anticipation parce qu’il a appris à «écouter» (…le majoritaire). Le complexe de l’Imposteur le conduit à être assidu et à s’emparer des sujets. Son potentiel passé de discriminé/e le conduit à s’opposer à ce qui est non conforme à ses convictions, et à être attaché/e aux règles.

Cependant, ces considérations utilisées sur la question de la mixité des instances de décision supposent que soit évité le réflexe de suradaptation au majoritaire ou celui d’évitement – D’où l’intérêt de la proportion minoritaire suffisante et la justification des quotas[9].

Le monde bouge, le moteur de pouvoir passe de la main à celui de la responsabilité. Le CA et ses membres sont responsables de la conduite de l’entreprise au nom de l’intérêt social, dans une perspective pérenne et inclusive. Le nouveau code de place du Royaume-Uni de juillet 2018 l’exprime clairement. Les interrogations sur la place des parties prenantes, la mission de la société ou encore la place des administrateurs salariés au Conseils sont autant d’éléments de gouvernance qui viennent abonder cette perspective. Les femmes y trouvent leur place comme agents de changement.

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[1] CEO gender and corporate board structures, Melissa B.Fryea and Duong T. Phamb - The Quarterly Review of Economics and Finance - 6 december 2017.
[2] Structure de la gouvernance des sociétés cotées- Observatoire du capital humain - Centre de gouvernement d’entreprise, 2018
[3] Women on boards in French companies between the desire of new politics and the reality of old power, Maryse Dubouloy, Londres, décembre 2011.
[4] Serge Weinberg - Women Be Board Ready ESSEC : https://youtu.be/SWMO2nSGvGY).
[5] Série d’entretiens CEDE-ESSEC : https://www.boyden.com/media/women-and-their-relationship-to-power-169220/etude_francais.pdf.
[6] Synthèse: https://www.boyden.com/media/women-and-their-relationship-to-power-169220/etude_francais.pdf.
[7] Serge Moscovici.
[8] http://gender.vivianedebeaufort.fr/diversite-des-conseils/.
[9] Critical Mass on Corporate Boards: Why three or more women enhance governance, Richard Ivey, School of business, University Western Ontario, 2006.

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