L'ENTREPRENEURIAT SOCIAL : VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE DU NORD

L'ENTREPRENEURIAT SOCIAL :  VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE DU NORD

Avant l'inauguration du nouveau campus de l'ESSEC à Rabat au Maroc, le Professeur Thierry Sibieude fait l’analyse des opportunités d'entrepreneuriat social dans la région et de leur impact sur l'économie locale.

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Un pays émergent se caractérise par une situation socio-économique dynamique, où le marché économique se structure, la part de la population ayant accès aux différents services essentiel croît (santé, transport, éducation, logement,…), les secteurs se diversifient et un véritable écosystème se met en place. Cet écosystème doit fournir les outils nécessaires pour que ces pays émergents deviennent des pays développés, où la majorité de la population accède à tous ses besoins vitaux (IDH > 0,8 selon le Programme des Nations Unies pour le Développement).

Trois dynamiques internes exogènes favorisent la croissance et le développement, et donc stimule le développement de l’entrepreneuriat social en Afrique : la révolution de la gouvernance, l’évolution de l’éducation et la transformation des moyens de communication  

Qu’en est-il au Maroc aujourd’hui ?  Après avoir montré que la frontière entre entreprises sociales et entreprises classiques est beaucoup plus floue que dans les pays développés,  on verra ensuite que, bien que les principes  de l’entrepreneuriat social correspondent bien aux valeurs  traditionnelles de la culture marocaine, les entreprises sociales restent peu nombreuses. Enfin, nous mettrons en évidence l’essor de l’entrepreneuriat social au Maroc et les bénéfices économique et sociaux que la population marocaine peut en espérer, malgré un écosystème encore insuffisant.

L’entrepreneuriat, le  moyen privilégié pour saisir les opportunités

Les responsables économiques des pays développés, les financiers et les hommes et femmes d’affaire  ont une connaissance  superficielle et réduite de la réalité africaine. Ils s’arrêtent le plus souvent aux éléments de risque, aux obstacles indiscutablement nombreux et élevés à surmonter comme l’accès difficile à l’énergie (l’Afrique subsaharienne a le taux d’électrification le plus faible du monde estimé à 64% dans les villes et 24% dans les zones rurales World Energy Outlook 2012, 2012 International Energy Agency) ou l’insuffisance des ressources humaines formées en compétentes (seulement 8% des jeunes d’une classe d’âge ont accès à l’enseignement supérieur, 59% de la population est alphabétisée et l’enseignement professionnel et technique ne joue qu’un rôle mineur  en ne formant que 5% de d’une classe d’âge au Ghana ou au Cameroun,  ou bien encore l’accès à la santé insuffisant, ce qui entraine des taux d’absentéisme record, productivité, concentration, longévité : on estime que le paludisme au coût direct de 12,3 MM $ par an soit 1,3% de PIB,  ou enfin la faible qualité ou même l’absence des infrastructures et équipements indispensable au fonctionnement et au développement d’un marché (on évalue à 90 MM $ les investissement en infrastructures dans les 15 ans qui viennent en Afrique).

Rares sont ceux qui envisagent ces problèmes comme une source de business exceptionnelle et comme autant d’opportunités de création de richesse.   Pourtant le taux de croissance annuel est de 5 à 7 % par an, malgré une légère baisse ces deux dernières années due la chute des cours du pétrole et de nombreuses matières première, et le taux de rentabilité des IDE est de 13%, ce qui est supérieur à la moyenne des pays en développement.

Ainsi Le Maroc doit relever le double défi de l’industrialisation et de la digitalisation de son économie, dans le contexte de mondialisation des marchés et des flux de personnes et de marchandises, que tout le monde connait.  A cet égard, le plan de développement économique en cours prévoit de passer en 5 ans d’une part de l’industrie dans le PIB, de 14% à 23%, et de créer 500 000 emplois dans l’industrie.

Les valeurs de l’ESS ancrées dans la culture marocaine

Depuis quelques années, l’Economie sociale et solidaire suscite un réel engouement de la part des acteurs de la vie sociale, économique et politique au Maroc.

Traditionnellement Les valeurs prônées par l’ESS de solidarité et de travail collectif ne sont pas nouvelles au Maroc.e système de touiza garantissait en milieu rural l’entraide entre membres d’une même communauté au moment des moissons et des cueillettes ou lors de travaux de biens communs. L’économie sociale dans sa forme institutionnelle était représentée par la jmaa, organisation ayant pour objectif la gestion des intérêts communs de l’ensemble de la communauté.

Un plan stratégique pour le développement  économique et social du pays, le plan 2010 – 2020, définit l’, définit l’ESS au Maroc, comme «  l’ensemble des initiatives économiques cherchant à produire des biens ou des services à consommer et à épargner autrement, de manière plus respectueuse de l’homme, de l’environnement et des territoires ».

Les coopératives, avec une nouvelle loi votée en 2014 pour en régir le fonctionnement,  et les associations jouent naturellement un rôle clé. L’ESS ne représente que 3,8% de l’emploi en 2013 au Maghreb. Les signes  pour son développement sont encourageants grâce un très fort engagement des acteurs et plusieurs politiques publiques allant dans ce sens.

A partir des années 1990, les entreprises  sociales, au-delà des acteurs traditionnels de l’économie sociale et solidaire,  sont apparues  en Europe et aux Etats-Unis, pour devenir des acteurs intégrés à ces écosystèmes,  contribuant à leur évolution et à leur enrichissement.

L’entrepreneuriat social est en fait en plein essor

L’entrepreneur social met la finalité économique au service de la finalité sociale, c’est-à-dire qu’il va combiner les logiques économique, environnementale et sociale afin qu’elles se renforcent mutuellement, pour maximiser l’impact de son entreprise. Ainsi de par leur volonté de répondre à une mission sociale identifiée, et leur capacité à mettre l’efficacité entrepreneuriale (performance – rentabilité – croissance) au service de cette mission, les entrepreneurs sociaux contribuent au développement des sociétés qu’ils habitent (« Rather than leaving societal needs to the government or business sectors, social entrepreneurs find what is not working and solve the problem by changing the system, spreading the solution, and persuading entire societies to move in different directions. » - Ashoka definition of a social entrepreneur).

Dans un pays en développement, en Afrique comme au Maroc donc, être rentable et répondre aux besoins de son environnement immédiat constitue une seule et même question. Répondre aux besoins de l’Afrique revient donc à viser un objectif unique de long terme.

Ainsi, il est assez facile d’obtenir l’autorisation des gouvernements de travailler en Afrique. Mais la vraie question est d’obtenir l’adhésion des communautés au sein desquelles l’entreprise décide de s’installer.  En effet si les populations locales n’expérimentent pas la plus-value de l’entreprise  celle-ci sera assez rapidement marginalisée et ne survivra pas. Or l’une des caractéristiques forte de l’entreprise sociale est précisément une gouvernance prenant en compte l’ensemble des parties prenantes. En outre, même si les chiffres sont rares et peu fiables, on sait que les africains sont très entrepreneurs

Enfin cet essor est encore accentué par la micro finance et qui ne témoigne pas seulement de la nécessité  de se créer son propre emploi mais aussi d’une économie de marché naissante avec des entreprises individuelles ou familiales qui commencent à émerger et à créer une offre productive en progression rapide.

En tout état de cause, un créateur d’entreprise en Afrique, doit à la fois s’intéresser à gagner de l’argent en développant son business mais il doit aussi se préoccuper de son environnement et penser son entreprise également comme un moyen de résoudre ou d’aider à résoudre un ou des problèmes sociétaux : là encore il s’agit d’une caractéristiques  de l’entrepreneuriat social.

Mais l’écosystème est encore insuffisant 

Un rapport publié en 2014 par MCISE (Moroccan Center for Innovation and Social Entrepreneurship) rappelle bien la réalité et l’importance de l’entrepreneuriat social, ses difficultés et ses enjeux.

Même si la place de l’entrepreneuriat social au sens explicité ci-dessus reste limitée dans les politiques publiques, différents acteurs nationaux et internationaux, œuvrent a créer un écosystème propice au développement de l’entrepreneuriat social au Maroc.  Pour n’en citer que quelques- uns, le MCISE travaille a la sensibilisation de la population au concept, ainsi qu’à l’accompagnement de potentiels entrepreneurs sociaux. La Fondation OCP a également développé un programme d’accompagnement destiné aux créateurs d’entreprises. Des associations étudiantes, tel que le réseau international Enactus, participent à la diffusion du concept et à l’élaboration de projets d’entrepreneuriat social.

Le CMERES (Centre Marocain des Etudes et Recherches sur l’Entrepreneuriat Social) est également créé à Fes. C’est un éco système puissant et solide qui créera les conditions de la réussite des entreprises qui seront créées.

Pour conclure, Tony Elumelu, entrepreneur et philanthrope nigérian,  ex président de l’UBA (United Bank for Africa) présente dans 19 pays africains et aujourd’hui Président de Transcorp, un conglomérat coté en  bourse, cité par Jonathan Berman dans son ouvrage « Ces entreprises qui réussissent en Afrique »,  a créé le terme « Africapitalisme », qu’il définit  comme une philosophie économique qui représente l’engagement du secteur privé dans la transformation économique de l’Afrique par le biais d’investissement qui créent à la fois de la prospérité et de la richesse sociale».     

Ce concept est bien en phase avec celui d’impct investing, terme qui est apparu pour la première fois en 2007 sous la plume de Sir Ronald Cohen, Président du fonds d’investissement britannique Apax Partners pour définir une classe d’investissement qui poursuit explicitement une rentabilité financière et un impact social.     

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