Professeur Hamid Bouchikhi, Directeur du Centre Impact Entrepreneurship de l'ESSEC, affirme que donner corps à un espace entrepreneurial africain nécessite un travail de fond auprès des jeunes générations. Parce que les entrepreneurs innovants sont, majoritairement, de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, la constitution mentale d'un espace entrepreneurial africain appelle une action massive de promotion de la mobilité intra-africaine des étudiants...
L'essoufflement des économies avancées et le ralentissement observé dans les BRICS tournent les regards vers l'Afrique dont on admire, à juste raison, la vitalité démographique, l'émergence d'une classe moyenne solvable et des taux de croissance dont on n'ose plus rêver ailleurs. L'émergence, un peu partout sur le continent, d'une nouvelle génération d'entrepreneurs innovants, ambitieux, confiants en eux-mêmes, connectés avec le monde et maîtrisant parfaitement les nouvelles technologies laisse espérer l'amorce d'un modèle de développement africain moins dépendant de l'investissement public ou étranger et contenant une plus forte d'innovation locale.
Force est de constater, cependant, que les néo-entrepreneurs africains ambitieux se heurtent à de nombreux obstacles endogènes qui représentent de véritables désavantages compétitifs vis-à-vis de leurs homologues américains, asiatiques ou européens.
La liste de ces obstacles étant trop longue, le reste de cet essai sera consacré aux effets adverses de l'extrême fragmentation du continent africain, frein majeur au développement d'un espace entrepreneurial africain.
Globaliser la démarche africaine
Là où un entrepreneur américain, chinois, européen ou indien opère à l'échelle d'un continent, voire à l'échelle du monde, l'entrepreneur africain opère dans un espace domestique beaucoup plus étroit qui réduit son marché potentiel et lui interdit, pratiquement, l'accès à des sources de financement et à des talents dans d'autres pays africains. En vérité, les mouvements intra-africains sont tellement compliqués qu'un entrepreneur africain porteur d'une innovation majeure peut plus facilement traiter avec d'autres continents, voire s'y installer et aggraver ainsi la fuite des cerveaux qui pénalise tant le développement économique de l'Afrique.
Les leviers d'action pour constituer l'Afrique en un grand espace entrepreneurial sont nombreux et chacun peut penser à des mesures administratives et des accords de nature à fluidifier les mouvements intra-africains. Toutefois, ces dispositifs, dont certains sont déjà en place, ne servent à rien s'ils ne sont pas actionnés par des entrepreneurs ayant intériorisé l'Afrique comme leur champ naturel d'action. Dit autrement, l'espace entrepreneurial africain doit d'abord s'implanter dans les schémas mentaux des entrepreneurs du continent. Ayant participé à des événements réunissant de jeunes entrepreneurs africains, j'ai régulièrement constaté que le continent constitue un angle mort dans leur champ de vision. En très grande majorité, ils n'ont pas d'expérience directe d'autres pays africains et n'y ont pas de réseaux alors même qu'ils peuvent être très connectés avec des acteurs des continents américain ou européen où, très souvent, ils ont étudié, voire travaillé de nombreuses années.
Entrepreneuriat collaboratif
Donner corps à un espace entrepreneurial africain nécessite, par conséquent, un travail de fond auprès des jeunes générations. Parce que les entrepreneurs innovants sont, majoritairement, de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, la constitution mentale d'un espace entrepreneurial africain appelle une action massive de promotion de la mobilité intra-africaine des étudiants.
La lecture de quelques statistiques de l'enseignement supérieur africain donne à espérer. Selon une estimation de la Banque Mondiale, le continent compte 18 à 20 millions d'étudiants dans l'enseignement supérieur. Si nous considérons que la proportion de futurs entrepreneurs est de 5% dans cette population, il y aurait un million d'entrepreneurs potentiels sur les campus africains! Comparés à leurs homologues d'autres continents, les étudiants africains sont les plus mobiles (5,7% selon l'Unesco) mais choisissent quasi exclusivement des destinations européennes, américaines et, depuis peu, asiatiques. Orienter 6% d'étudiants vers des pays du continent pour l'intégralité ou une partie d'un cycle d'études reviendrait à exposer, chaque année, 60.000 entrepreneurs potentiels par an à l'Afrique (6% d'un million).
Le niveau de ces chiffres montre l'intérêt et la nécessité d'un travail volontariste sur un Erasmus africain susceptible de promouvoir et de faciliter la mobilité intra continentale des étudiants. Des initiatives existent et devraient être davantage amplifiées. L'Union Européenne a mis en place un programme de mobilité académique intra pour les zones ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique). Faute d'accès à un bilan public de cette initiative, les éléments dont on dispose laissent penser qu'elle n'a pas (encore ?) l'impact attendu. Le volet africain du programme Erasmus Mundus semble, quant à lui, beaucoup plus utilisé, ce qui se comprend facilement vu qu'il s'adresse à des étudiants africains désireux d'étudier en Europe.
L'institut MINDS, dirigé par Graça Machel Mandela, annonce le lancement, en 2017, d'un programme qui ressemble beaucoup à un Erasmus par et pour les africains. Il faut espérer que l'institut trouvera les financements nécessaires et, surtout, des moyens efficaces de mieux 'vendre' des destinations continentales aux jeunes étudiants africains. L'échelle du continent et la croissance rapide des effectifs de l'enseignement supérieur nécessiteront d'autres initiatives, notamment des établissements privés, à but lucratif et non lucratif, qui ont acquis une masse critique en Afrique et jouissent de plus de marges de liberté pour former des partenariats africains transfrontières.
Les médias doivent également contribuer à la mobilité intra continentale des étudiants par la mise en évidence des poches d'excellence d'enseignement supérieur et de recherche qui existent un peu partout en Afrique et par la célébration, sous des formes diverses, de jeunes entrepreneurs innovants qui ont eu une expérience directe d'autres pays africains et à qui cette expérience a servi de tremplin dans une aventure entrepreneuriale.
Liens utiles :
- L'ESSEC Impact Entrepreneurship Center.
- ESSEC CEMAS.
- Chiffres OECD sur l'Entrepreneuriat