Avec Karoline Strauss
Karoline Strauss et Jan Lepoutre, Professeurs de Management à l’ESSEC Business School, et Geoffrey Wood, Essex Business School, University of Essex, montrent dans leur article "Fifty shades of green: How microfoundations of sustainability dynamic capabilities vary across organizational contexts" que le développement durable peut imposer des changements majeurs dans les organisations, et expliquent comment les employés peuvent y contribuer à différentes échelles de l’organisation.
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Il existe de nombreuses idées préconçues lorsqu’on parle de développement durable dans les entreprises. Même si beaucoup d’individus trouvent que tenir soin de l’environnement est important, on a tendance à considérer que pour une entreprise les initiatives proactives pour contribuer à résoudre les problèmes environnementaux sont souvent irréconciliables avec l’essentiel de l’activité de l’entreprise. Ou alors, on pense que la RSE est difficile dans le contexte hyperconcurrentiel auquel fait face la majorité des entreprises. Mettre le développement durable au cœur de la stratégie du groupe requiert donc souvent de nombreuses transformations, et il n’existe pas de chemin tout tracé pour parvenir à ces objectifs de durabilité. Cela rend tout de suite cet objet d’étude un peu plus intriguant...
Certaines entreprises ont pour seul objectif de développement durable de réduire leur empreinte environnementale en diminuant leurs émissions de déchets et leur pollution en mettant en place des bacs de recyclage, des systèmes de covoiturage et en construisant des bureaux plus efficaces énergétiquement. Ces programmes ne sont pas initiateurs de changements radicaux ; ils ne modifient pas en profondeur le business model de l’entreprise, et ne la sortent pas particulièrement de son confort habituel. Le changement est continu et se fonde sur des petites améliorations progressives. Elles requièrent souvent « l’incorporation d’innovations ou de méthodes externes au sein de l’entreprise ».
Pour d’autres, l’enjeu de la durabilité ne se cantonne pas simplement à ce désir de réduire l’empreinte écologique. Le développement durable signifie alors pour eux de pouvoir produire de façon à ce que leur activité puisse continuer d’exister de façon durable dans le futur. Cela nécessite des innovations de rupture et entraîne inévitablement des transformations radicales dans le business model de l’entreprise. On peut choisir l’exemple d’Interface, le plus grand vendeur de tapis, qui, pour devenir durable, a transformé son activité de vente en une activité de leasing de tapis. Ces transformations sont certes plus complexes mais aussi profondément disruptives.
Ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dépend de la tonalité de vert choisie par l’entreprise sur son nuancier de couleur : une stratégie « vert clair » visant à réduire l’impact environnemental aura des implications très différentes d’une stratégie « vert foncé », visant à produire de façon durable.
Verdir à partir des racines
Que l’entreprise choisisse le vert clair ou le vert foncé, ce sont les individus qui sont au cœur de l’organisation et qui constituent le lien direct entre la stratégie et son application concrète. En revanche, la façon par laquelle ils sont mis à contribution, managers comme employés, diffère selon la nuance de vert choisie.
« Vert clair », « vert foncé », la durabilité de l’entreprise demande inévitablement une transformation, ce qui implique des changements dans la façon de travailler des employés. Pour les stratégies « vert clair », le changement est progressif et relativement prévisible. Cela permet aux entreprises d’expliquer clairement à leurs employés ce qu’il faut changer dans leurs comportements, et leur donne une certaine motivation, avec des objectifs à atteindre et des incitations. Dans le secteur de la construction, cela peut par exemple passer par la fixation d’objectifs de réduction des déchets matériels sur les chantiers, améliorant l’efficacité et faisant évoluer le comportement des employés.
La stratégie « vert foncé » comprend des enjeux différents. Il est souvent impossible de fixer des objectifs précis aux employés, et comme les changements arrivent souvent de façon très rapide, il ne serait pas vraiment pertinent d’inciter les employés à adopter des nouveaux comportements qui deviendraient désuets en peu de temps. Pour que ces stratégies réussissent, les entreprises doivent s’appuyer sur des employés qui se sentent à l’aise dans un contexte d’incertitude important, et qui n’ont pas de problème à voir leur métier constamment bouleversé.
Lorsqu’il s’agit de transformation, peu importe la tonalité de vert, les employés peuvent jouer un rôle clé et être proactifs dans la conduite du changement vers plus de durabilité. Dans le cas de l’approche « vert clair », les décisions stratégiques se fondent souvent sur les connaissances et l’expérience des dirigeants. Ainsi, ils fixent des objectifs à atteindre, par exemple : ne pas dépasser un certain taux d’émissions. En revanche, les employés ont un rôle capital dans la façon dont ces objectifs sont atteints. Par exemple, si une entreprise dans le secteur manufacturier fixe des objectifs pour limiter la pollution, ce sont les employés au cœur de l’appareil productif qui réfléchissent aux solutions à apporter. C’est aussi ceux qui sont le plus à même de faire remonter les problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement, sources de pollution.
S’agissant des entreprises visant la nuance vert foncé, ce ne sont pas systématiquement les dirigeants qui sont à l’initiative des transformations. Si l’on veut rendre plus verte une organisation de façon radicale, il ne paraît pas vraiment pertinent de se fonder sur l’expérience du passé, bien au contraire. Les individus au sein de l’organisation doivent produire des nouvelles connaissances et se faire le relais de nouvelles idées pour contribuer au changement. Par exemple, l’entreprise de produits ménagers Method a souhaité transformer la façon dont elle produisait ses produits et ses services pour les rendre plus écologiques, en s’appuyant sur les expériences de ses employés et de ses clients.
L’adaptation et la contribution des employés au changement est le fondement même des stratégies de développement durable des entreprises. Les moyens par lesquels on peut encourager ces changements dépendent une nouvelle fois de la nuance de vert choisie. Si l’on est en présence d’une approche vert clair, les entreprises peuvent anticiper les compétences et les connaissances que leurs employés vont avoir besoin, et peuvent donc programmer les formations nécessaires. Par exemple, des travaux montrent que la prise de conscience environnementale par la formation et des campagnes ciblées peut être particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de sensibilisation à l’économie d’énergie ou au recyclage. Des plateformes de suggestions ou des groupes de travails peuvent permettre de dégager des « best practices » et des éléments de progrès. Un système de récompenses peut par ailleurs être mis en place pour impliquer l’ensemble de l’entreprise, pas simplement ceux qui sont plus spécifiquement intéressés par le sujet.
Pour la stratégie du vert foncé, des approches différentes sont nécessaires. Les employés suggérant des idées de changement radical doivent être robustes et capables de faire face aux résistances auxquelles ils vont se heurter. Les entreprises doivent se fonder sur les employés aimant le risque, les projets sur le long-terme, et ayant un réel engagement pour le développement durable. Elles doivent par ailleurs encourager les échanges d’informations entre les différents métiers pour diffuser les connaissances et les idées. Si on reprend l’exemple de Method, l’entreprise recrute uniquement des employés qui feront perdurer cette « l’étrangeté » de Method, visant à faciliter les échanges très directs entre les employés et les clients.
Le développement durable n’est donc pas une nuance de vert uniforme, pouvant être réutilisée à toutes les sauces. Il n’existe pas de méthode préétablie pour adopter une stratégie verte. Bien au contraire, Strauss et al. ont montré que les organisations n’ont aucun intérêt à appliquer des grands schémas déjà existants. Elles doivent plutôt adopter des méthodes sur mesure, dépendantes de la nuance de vert qu’elles visent spécifiquement. S’agissant de leur contribution globale au développement durable, la balle est alors dans leur camp.