Transformer l’intention en action concrète

Transformer l’intention en action concrète

Pourquoi les grandes intentions sociétales et environnementales proclamées par de nombreuses entreprises ne se concrétisent-elles pas toujours ? De fait, les organisations, quelle que soit leur taille, affrontent un grand nombre de défis techniques quand ils cherchent à mettre en œuvre des initiatives de responsabilité sociale d’entreprise. Ces initiatives sont à la mode, mais la RSE s’avère plus facile à proclamer qu’à concrétiser.

En effet, créer de la valeur pour une entreprise ne signifie pas toujours créer de la valeur pour la société, et vice versa. Quand le marché ne parvient pas, comme c’est souvent le cas, à créer de la valeur pour les deux, les entreprises devraient se souvenir de ces quelques conseils pour transformer leurs bonnes intentions en résultats concrets.

Passer de la parole aux acts 

La communication sur la RSE implique trop souvent de faire référence aux obligations éthiques et/ou morales aussi bien des entreprises que des consommateurs, et ainsi ne parvient pas à prendre en compte les véritables défis auxquels les entreprises sont confrontées quand elles agissent en faveur de leur durabilité. Il ne s’agit pas de railler la RSE, mais de garder en tête que les entreprises, tout comme les individus, sont très occupées.

Ainsi, pourquoi les clients consomment-ils de manière responsable ? En fait, cette attitude ne dépend pas tant de l’intention que des choix qui leur sont offerts. Dans un article intitulé « The social context of recycling » publié en 1993, les chercheurs Linda Derksen et John Gartrell relèvent que les personnes affirmant vouloir recycler mais qui n’ont pas forcément l’occasion de le faire sont nettement moins susceptibles de recycler que ceux qui n’en ont pas l’intention, mais qui disposent des moyens pour le faire. En d’autres termes, selon le contexte, la présence d’alternatives concrètes pourrait être davantage susceptible d’influencer les comportements que le sentiment d’obligation morale[1].

Quand nous blâmons ceux qui ne tiennent pas compte des préoccupations sociétales, nous devons faire attention à la crédibilité que nous accordons aux acteurs de la RSE. Il ne s’agit pas toujours d’une question morale, et de nombreux obstacles peuvent exister entre les intentions des personnes et leur comportement réel ; la question est de trouver des solutions viables pour les consommateurs et les entreprises. 

Imaginer des solutions alternatives

Pour modifier les comportements, il faut offrir au consommateur davantage qu’une raison éthique d’acheter un produit. Les entreprises ont plutôt intérêt à proposer des solutions pratiques à leurs clients, qui répondent aux exigences de la RSE. Prenons l’exemple de Green Pan : Teflon était une entreprise établie et leader du marché des batteries de cuisine antiadhésives, même si leur revêtement n’était pas écologique et pouvait engendrer des risques pour la santé s’il était chauffé à vide. Il n’existait pas d’alternative pratique plus saine ou plus écologique jusqu’à ce que Green Pan  ne propose son revêtement en céramique. L’entreprise a pu proposer un produit similaire à prix comparable et a connu un immense succès. 

Les solutions alternatives ne doivent pas nécessairement être comparables en terme de prix pour prendre l’avantage sur la concurrence moins soucieux de l’environnement. La Tesla Roadster et le « Model S » coûtent plus de 100 000 $, mais leur succès prouve que les individus ne se contentent pas de l’argument éthique pour investir dans une voiture électrique. Les consommateurs de Tesla cherchent également un symbole de statut social, ou de nouveauté. L’une des raisons expliquant le succès actuel de Tesla est que l’entreprise a pris au sérieux les préoccupations de ses clients et a offert d'excellentes solutions pour y répondre.

Changer sa perception du risque

S’il y a des obstacles pratiques entre les intentions et les comportements, alors il pourrait sembler logique de considérer que les petites entreprises connaîtront plus de difficultés que les grandes. Puisque les grandes entreprises disposent de ressources plus importantes, ne devrait-il pas être plus facile pour elles d'investir dans une politique plus durable? Bien sûr, les grandes entreprises peuvent avoir des poches bien remplies mais, dans la mesure où les bonnes intentions exigent des changements et innovations importants, elles  souffrent d’un handicap considérable en matière de flexibilité et d'agilité, qui, à l’inverse, caractérisent souvent les structures plus petites. En outre, les entreprises plus jeunes et de petites taille ont moins intérêt à rechercher le status quo et peuvent être davantage amenées à explorer des chemins différents. De nouveau, même si le potentiel est là, il est important de garder à l'esprit que toute nouvelle entreprise est un risque : le taux de survie initial est faible, même si le potentiel d'innovation est là.

En matière de RSE, les petites entreprises peuvent toutefois rencontrer des obstacles d’une autre nature. Les grandes entreprises font face à la pression et du contrôle plus de pression et de contrôle de leurs parties prenantes, qui les tiennent pour responsables de leurs actions. A l’inverse, les petites entreprises ne sont pas interpellées par Greenpeace qui cogne à leur porte, mais elles subissent tout de même des pressions de la part de leurs employés, leurs pairs et de leurs concurrents. Et malheureusement, cette pression ne favorise pas véritablement la prise en considération de manière proactive des problèmes environnementaux au-delà de ce qui est exigé par la loi. Ces pressions sont encore plus difficiles à surmonter si elles proviennent d'un fournisseur important. Même si une petite entreprise souhaite s'engager dans des stratégies de RSE, dépendance à l’égard d’un fournisseur puissant qui ne s’en soucie pas risque de mettre en péril l’ensemble des étapes essentielles qui pourraient conduire l'entreprise à travailler dans un objectif de responsabilité.

Démontrer ses forces…

Dans l'ensemble, la plupart des recherches ont montré des associations mixtes entre la RSE et la taille des entreprises. Toutes les structures, petites ou grandes, des entreprises naissantes aux compagnies bien établies, ont un rôle à jouer et ont leurs propres défis à relever. Par exemple, les innovations écologiquement et socialement responsables les plus importantes interviennent généralement pendant la phase de lancement. Lors du dernier salon Cleantech Open France, des innovations de tous types ont été présentées, certaines en mesure d’avoir un impact majeur sur notre mode de vie dans les prochaines années et d’autres plus modestes. Il faut retenir que les start-ups sont porteuses d’innovations, créatives et capables de s’aventurer hors des sentiers battus.

Néanmoins, ces jeunes pousses sont limitées quand il s'agit de mettre en place des innovations ; c'est là que les grandes entreprises quant à elles utilisent d’importants budgets, leur machine de marketing ou leur chaîne d'approvisionnement afin de canaliser la croissance rapide de petites innovations. 

… en sachant que les essais et les erreurs sont nécessaires

En fait, nous commençons à comprendre que le vrai changement passe par des  changements systémiques de production et de modèles de comportements. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ceci est complexe. Mais nous savons aussi que les changements complexes requièrent des essais, des erreurs et une coopération entre de multiples acteurs. Par exemple, Better Place, un constructeur de voitures électriques, a réuni un capital-risque de près d’un milliard de dollars et a déclaré qu’il allait révolutionner à lui seul le secteur automobile. Malgré l’importance des fonds à sa disposition, ce constructeur a fait faillite l’année dernière. A l’inverse, tout en ayant pour point de départ des préoccupations et objectifs similaires, Tesla a récemment rendu publics ses brevets et souhaite plutôt que d’autres entreprises utilisent ses innovations. Cette entreprise a compris qu’elle ne pouvait pas changer seule une industrie.

Bien sûr, à court terme, « les essais et les erreurs » peuvent laisser penser qu’une solution n’est pas viable. Ainsi, à une époque, les panneaux solaires étaient perçus comme trop coûteux pour s’implanter durablement sur le marché… jusqu’à ce des compagnies tel que SunEdison ait l’idée de louer des toits d'usine, d’y mettre des panneaux solaires, de recueillir des paiements mensuels fixes pour l'énergie fournie, et puis de vendre de ces contrats comme des titres adossés à des hypothèques. Tout à coup, grâce à un nouveau business model cette technologie écologique est devenue viable.

Même dans les grandes entreprises, de nombreux facteurs peuvent, en passant par le prisme des « essais et les erreurs », s’articuler en une conjoncture révolutionnaire et transformer profondément le business model. InterfaceFLOR, par exemple, était un fabricant de moquettes prospère. Ils ont d’abord tenté de fabriquer des moquettes avec moins de fibres, puis ont testé l’utilisation de matériaux recyclés ; le fondateur Ray Anderson a ainsi totalement réinventé le business model d’Interface. D’ailleurs, leur modèle de service leur a donné une réelle incitation financière à réduire les déchets et d'investir dans la longévité du produit. Aujourd’hui encore, l’entreprise est reconnue pour son engagement écologique. 

Sentiment d’obligation morale, accès aux ressources humaines et financières, pression sociale : au final, aucun facteur n’a plus de poids que l’autre. Chaque organisation a ses propres challenges, qui doivent tous être pris en considération.

Pour approfondir :

Lepoutre, J. and Heene, A. 2006. Investigating the Impact of Firm Size on Small Business Social Responsibility: A Critical Review.” Journal of Business Ethics, 67(3): 257 – 273. 

Lepoutre, J. 2010. Identifying Opportunities in Clean Technologies. Flanders DC and Vlerick Leuven Gent Management School. 41 pp.


[1] L. DERKSEN, J. GARTRELL, « The Social Context of Recycling », American Sociological Review, Volume 58, Numéro 3, 1993.  

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