Dans une nouvelle étude, Guillaume Chevillon (ESSEC Business School) et Takamitsu Kurita (Kyoto Sangyo University) présentent une boîte à outils économétrique fondée sur une nouvelle base de données afin d’estimer le coût associé à la lutte contre le changement climatique. Contrairement à la plupart des évaluations qui reposent sur des hypothèses et des simulations ad hoc, Guillaume Chevillon et Takamitsu Kurita fondent leur analyse sur des données historiques réelles. En mesurant l’équilibre à long terme entre les variables climatiques et économiques, leur boîte à outils permet d'évaluer les coûts associés au contrôle des températures, soit dans le cadre d'analyses rétrospectives (contrefactuelles), soit pour guider l'élaboration de politiques prospectives. Comme illustration de leur méthodologie, ils se sont demandé ce qui se serait passé si les gouvernements s'étaient coordonnés en 1900 pour contrôler la température du globe. Chevillon et Kurita en déduisent ce qu’aurait été le coût de la réduction des émissions de carbone via technologies permettant de réduire la quantité de dioxyde de carbone produite, par exemple grâce à la capture et au stockage du carbone ou à des programmes d'efficacité énergétique.
Pour étudier cette question, les chercheurs ont compilé une nouvelle base de données historiques leur permettant d'analyser l'interaction entre climat et économie depuis l’an 1000. Leur modélisation permet de mesurer les effets de causalité afin de vérifier formellement si de telles politiques sont "quantitativement" réalisables, c'est-à-dire si les variables économiques peuvent effectivement stabiliser les températures mondiales à long terme. Leur modèle permet également d'évaluer leur coût. Les modèles standard, dits "d'évaluation intégrée", comportent une boucle de rétroaction négative entre le climat et l'économie, selon laquelle l'activité économique non seulement influe sur les émissions de gaz à effet de serre et l'augmentation des températures, mais est également affectée par ces dernières. L’activité économique est ici mesurée via des facteurs tels que la consommation et la productivité de l'investissement en capital. Toutes les variables climatiques interagissent entre elles, qu'il s'agisse de la teneur en carbone de l'atmosphère (dioxyde, méthane...), d'origine humaine ou naturelle (volcanique), de la variation des radiations solaires absorbées par le système terrestre ou de l'énergie stockée dans les océans profonds et de surface. Chevillon et Kurita ont cherché à mesurer quelles politiques économiques génèrent un équilibre entre l'activité économique et le climat.
Dans leur recherche, Guillaume Chevillon et Takamitsu Kurita s'interrogent sur les combinaisons d'investissements verts (sans carbone) et de croissance brune (à forte teneur en carbone) qui peuvent conduire à une stabilisation des températures, constituant une alternative à décroissance économique pure. Cela nous permet également d'envisager la réduction des émissions de carbone comme un moyen de contrôler les températures sans avoir recours à des réductions drastiques de l'investissement et de la consommation.
Dans un modèle hypothétique où ce type de politique aurait été introduit progressivement au XXe siècle pour maintenir les températures à leur niveau de 1900 (si elles avaient été observées à l'époque), ils ont constaté que la stabilisation des températures aurait réalisable pour un coût d'environ 3⁄4 du PIB mondial (au niveau de 2008). Le bénéfice pour le climat aurait été payé par une réduction de la croissance économique ou via un investissement sur la décarbonisation. Bien que cela puisse paraître énorme, les chercheurs considèrent qu'il s'agit d'une mesure du coût de l'inaction climatique, c'est-à-dire de l'absence d'investissement dans les technologies d'atténuation ou de réduction des émissions. Cela suggère que les politiques de réduction massive des émissions de carbone doivent être pleinement mises en œuvre aujourd'hui pour que le climat en bénéficie. Compte tenu de la nécessité de trouver des solutions pour préserver le climat, cette étude fournit les premières données complètes permettant d'évaluer le coût des politiques environnementales.
Référence
Chevillon, G., & Kurita, T. (2023). What Does it Take to Control Global Temperatures? A toolbox for estimating the impact of economic policies on climate. arXiv preprint arXiv:2307.05818.