Le 11 mars 2020, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a officiellement qualifié la propagation de Covid-19 de pandémie [1].
Depuis, des cas d’infection ont été signalés dans plus de 190 pays. La propagation du virus ne prend pas en compte les différences territoriales, politiques, religieuses, linguistiques ; elle touche des pays aux niveaux de revenus par habitant différents et aux systèmes de santé variés [2].
Il faudra du temps pour établir un taux de mortalité réel et juger les réponses politiques et gouvernementales des pays.
Pour l’instant, les décideurs politiques et les citoyens doivent réagir à la crise sanitaire et, comme a dit Epictète, " Ce n'est pas ce qui vous arrive, mais la façon dont vous réagissez qui compte ". Comment y réagissons-nous ? Et qui sont ceux d'entre nous qui sont en première ligne ? En répondant à cette question, la première image qui vient à l'esprit est celle de ceux en première ligne de la pandémie : les corps soignants.
Dans un article de l'OMS publié en 2019, les auteurs documentent l’influence du genre dans le secteur de la santé [3]. En Europe, 84 % des infirmières sont des femmes, un taux similaire dans le monde entier. Et si les infirmières sont en première ligne de manière visible, les femmes sont également en première ligne de manière moins "visible". Ces contributions visibles et (in)visibles des femmes ne sont pas un fait nouveau. Ce qui est peut-être nouveau, c'est la façon dont la "guerre" actuelle contre le Covid-19, telle que définie par le président Emmanuel Macron, pourrait modifier notre reconnaissance de ces contributions.
Parmi les soignants, la contribution des femmes est sous-estimée. En effet, l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes soignants en 2018 est de 28 % et donc supérieur à l'écart de rémunération global qui est proche de 22 %. Une partie de cet écart résulte d'une plus forte incidence du travail à temps partiel chez les femmes. Un pourcentage plus élevé s'explique par les choix de métiers dans le secteur de la santé. Cependant une partie encore plus importante de cet écart est inexplicable, résultat probable de la discrimination.
Mais les contributions des femmes à la société ne sont pas seulement sous-évaluées en raison de ces différences de rémunération, mais aussi car elles ont lieu en dehors du marché. Considérez, par exemple, le fait que les femmes assurent une plus grande partie des tâches ménagères et des soins aux enfants et aux personnes âgées [4]. En parallèle, les femmes sont plus susceptibles de travailler dans l'économie informelle, ce qui leur donne la flexibilité nécessaire pour assurer leur "double emploi", dans leurs emplois et la sphère domestique en assurant des soins aux personnes dépendantes.
La contribution des femmes n'est pourtant pas prise en compte dans les statistiques du PIB. En effet, le problème de l'exclusion de la production domestique et donc d'une partie de la contribution des femmes à la société est considéré comme un défaut majeur du calcul du PIB [5].
Pourtant, il est difficile de modifier les indicateurs que la société et les décideurs politiques utilisent pour mesurer la prospérité économique. Cela s'explique en partie par le fait que les indicateurs alternatifs, bien que nombreux, tendent à proposer des tableaux d'affichage multidimensionnels ou à s'attaquer à un problème à la fois, comme l'inégalité ou les externalités environnementales.
De plus, un défi majeur pour modifier les statistiques que nous utilisons vient du fait que les statistiques sont une convention sociale et que leur modification nécessite une coopération internationale importante. En effet, le système de comptabilité nationale, dont le PIB est le concept le plus connu, a été adopté par les Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale.
Le moment est donc peut-être venu de repenser collectivement la façon dont nous mesurons la prospérité. Car pendant cette crise, les décideurs politiques du monde entier concentrent leur attention sur une même menace, et les citoyens du monde entier prennent davantage conscience de la valeur de leur temps mais aussi du temps que nous donnons les uns aux autres. Cette crise met davantage en évidence les contributions visibles et (in)visibles des femmes à la prospérité économique. Profitons de l'occasion pour, non seulement reconnaître ces contributions en les applaudissant, mais aussi en adaptant nos outils statistiques afin de mieux les mesurer et de mieux les récompenser.
References
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https://www.ft.com/coronavirus-latest
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Boniol M, McIsaac M, Xu L, Wuliji T, Diallo K, Campbell J. Gender equity in the health workforce: analysis of 104 countries. Working paper 1. Geneva: World Health Organization; 2019 (WHO/HIS/HWF/Gender/WP1/2019.1).Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO.
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Hicks, D. L., Santacreu-Vasut E. and Shoham A. (2015) Does mother tongue make for women’s work? Linguistics, household labor, and gender identity, Journal of Economic Behavior & Organization 110, 19-44
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The trouble with GDP- The Economist, April 30th 2016, pp 21-25.