La voiture électrique, souvent présentée comme une solution aux cycles de crise de l’industrie automobile, est néanmoins devenue le parent pauvre. Est-ce que désormais les conditions sont favorables pour l’émergence d’un nouveau paradigme de mobilité.
Que le futur réserve-t-il pour l’industrie automobile européenne ? Les évènements des dernières semaines ne semblent certes pas encourageants : Peugeot Citroën PSA devait être renfloué de 7 milliards d’euros fin 2012, Renault a annoncé ce mois-ci la suppression de 7 000 emplois et les statistiques montrent que l’enregistrement des voitures a chuté de 8 % au cours de l’année dernière. Néanmoins, pour Carole Donada, professeur de management à l’ESSEC et directrice de la Chaire Armand Peugeot, ces « crises » ne sont pas neuves et doivent être remises en perspective.
« Environ tous les cinq ans nous parlons de crise. Mais plutôt que de parler de crise au sens traditionnel du terme, je décrirais plutôt la situation comme un concours de circonstances. Outre la récession économique et son impact sur le pouvoir d’achat public, les ventes en chute libre sont également dues au fait que les marchés dans les pays développés sont saturés, le prix de l’essence augmente en continu et l’opinion publique change d’attitude envers l’environnement et la propriété. »
En permettant aux usagers de répondre aux préoccupations sur le prix de l’essence et l’impact environnemental, est-ce que le véhicule électrique serait une réponse possible à ces problèmes d’importance ? Tandis que les gouvernements européens font augmenter les investissements dans les nouvelles technologies mobiles, il est clair que le véhicule électrique peut être considéré d’une certaine manière comme une réponse possible à la récession.
Néanmoins, à chaque décennie on a prédit des changements radicaux dans l’industrie automobile, et les véhicules électriques ont déjà été présentés comme une solution. En particulier, le choc pétrolier et le développement du nucléaire ont relancé l’intérêt pour les véhicules électriques, mais ceux-ci ne se sont jamais véritablement imposés sur le marché au XXème siècle.
Par conséquent, la vraie question d’aujourd’hui est la suivante : est-ce que les conditions sont réunies pour annoncer la naissance d’une nouvelle ère qui permettra le développement d’un paradigme de mobilité électrique ?
Les véhicules électriques : les éternels parents pauvres de l’industrie automobile
Le véhicule électrique n’est pas une idée neuve. Il a connu un bref succès au début des années 1900, où il représentait presque 40 % des voitures en circulation. Mais la montée du moteur à combustion interne, accrue par le succès de la Ford T et d’autres modèles proches, a donné lieu à un paradigme industriel qui a éloigné les véhicules électriques du marché de masse pendant au presque un siècle.
« Il y a plus d’un siècle, les constructeurs automobiles ont défini un paradigme industriel basé sur deux facteurs de succès : une stratégie basée sur la quantité et le contrôle interne des composants clés : le moteur à combustion interne. Il est clair que ce paradigme ne conduit pas au développement des véhicules électriques, non seulement parce qu’ils ne seraient pas produits en quantité suffisante, mais aussi parce qu’ils désavantageraient les constructeurs automobiles, car il leur manque la capacité à produire et à assembler des composants électriques.
« Néanmoins, les constructeurs ont conscience des limites du paradigme historique dans lequel ils se trouvent, car ils est plus adapté à un marché en croissance qu’en récession. Ils veulent anticiper les demandes des consommateurs de demain. Cela explique pourquoi les constructeurs automobiles actuels s’impliquent dans des think tanks, des programmes de recherche universitaires, des études et des opérations de prévision : il s’agit de développer un plan d’action avant que l’industrie automobile telle qu’ils l’ont mise en place ne connaisse une transformation radicale. Certes des avancées ont été réalisées, mais elles restent timides. »
En d’autres termes, si les consommateurs remplacent progressivement leurs véhicules à combustion interne, les constructeurs automobiles perdent leur monopole du savoir car il leur manque la capacité à produire et à assembler des composants électriques. Ils seront par conséquent forcés de dépendre de leur partenariat avec les producteurs de batteries. Par conséquent, si des avancées ont été réalisées et que la plupart des constructeurs travaillent actuellement sur des véhicules électriques ou hybrides, leurs parts de marché restent limitées : l’année dernière en France seulement 4 000 véhicules électriques ont été vendus, et 80 % d’entre eux ont été achetés par des entreprises.
Le premier élément dissuasif pour le consommateur est le coût relativement élevé des véhicules électriques. Dans l’économie d’échelle de l’industrie automobile, le volume actuel ne sert pas seulement à maintenir les prix vers le bas pour les consommateurs moyens, si l’on compare avec le coût d’achat d’une voiture standard avec un moteur à combustion interne. Le coût est en effet déterminé par le volume.
“Le truc est que les propriétaires de véhicules électriques font des économies sur le long terme, non seulement sur les frais d’essence, mais aussi sur les frais de réparation : il n’y a ni pistons, filtres ou carburants qui requièrent la visite de contrôle habituelle. Seule la batterie est un problème réel. Par conséquent, si l’achat d’un véhicule électrique peut représenter une grande dépense initiale, il faut regarder les coûts sur dix ans, par exemple, pour voir que l’on a fait des économies.
Le vrai problème serait plutôt une mauvaise communication. S’ils voulaient vraiment que cette technologie connaisse du succès, les constructeurs automobiles pourraient mettre l’accent sur les économies à long terme. Au contraire, ils sont réticents à communiquer sur cet aspect car cela irait contre leurs liens avec concessionnaires qui réalisent de gros profits grâce aux visites de contrôle. En outre, encourager les consommateurs à voir les coûts à long terme pourrait les encourager à réévaluer leur idée de la propriété. Par exemple, ne serait-il pas moins cher de louer une voiture seulement quand on en a besoin ? »
C’est dans ce contexte que l’on voit que l’industrie automobile cherche –au moins inconsciemment- à ralentir le plus possible de déclin du moteur à combustion interne, afin de préserver la complexité du paradigme industriel dans lequel ils se trouvent. Comment peut-on renverser cette évolution ?
L’argument pour plus de régulation
Il y a cent ans, le paradigme industriel s’est développé grâce à l’entier soutien des autorités publiques qui ont financé et créé les infrastructures nécessaires pour les véhicules à combustion interne. Est-ce que les véhicules électriques bénéficieront des mêmes aides ? Est-ce que les gouvernements doivent intervenir ou est-ce que les marchés s’en occupent ?
Afin d’examiner de manière plus approfondie le thème des politiques et des infrastructures, la Chaire Armand Peugeot a accueilli Willett Kempton, professeur à l’Université de Delaware et expert en mobilité électrique. Il soutient que l’électricité est le meilleur substitut pour les énergies fossiles mais que le succès à long terme des véhicules électrique nécessitera que le gouvernement les soutienne davantage.
« La France et les États-Unis ont tous deux une forte industrie automobile, tous deux comprennent que la pollution de l’air peut peser sur leur système de santé, et tous deux ont des objectifs en termes d’émissions de CO2, explique-t-il. C’est tout à fait dans leur intérêt au point de vue économique de mettre en place des politiques qui feront croître ce nouveau marché. Le problème avec les véhicules électriques est que l’énergie est bon marché, mais que le lieu de stockage (la batterie) est très cher. Les subventions gouvernementales pour l’achat ont du sens… Dans ce domaine nos deux pays vont du bon travail.
Néanmoins, une batterie plus petite pourrait aussi réduire le coût d’achat d’une voiture électrique mais nécessiterait d’être changée plus fréquemment ; il faudrait par conséquent un réseau de points de recharge plus important et mieux adapté. C’est dans ce domaine que nos gouvernements doivent s’impliquer davantage. »
En effet, posséder une voiture électrique implique de devoir la recharger chez soi. Un appareil domestique installé comme tous les autres signifierait une charge lente, durant plus de douze heures. Mais qu’en est-il du rechargement dans les lieux publics, où les conducteurs ont nettement moins de temps ?
Aux États-Unis il existe entre 5 et 10 millions de subventions accordées aux entreprises privées pour développer des points de rechargement. En revanche, le professeur Kempton affirme que les normes nationales devraient être établies à partir des emplacements des points de rechargement, le type de courant utilisé et leur puissance en watts.
« Quels sont les endroits appropriés ? Pour moi il ne s’agit certainement pas d’une station-service… Je pense qu’il faut placer les points de rechargement là où il est facile de se garer pour un déjeuner ou des courses d’une heure. Cela nécessite une analyse précise des routes. »
Et une bonne infrastructure électrique non seulement rendrait les véhicules électriques plus pratiques et plus abordables, mais aussi elle pourrait aider les utilisateurs à utiliser leur électricité non utilisée et conservée.
« L’idée de réseau pour les véhicules est séduisante car il permet aux utilisateurs de renvoyer l’énergie non utilisée dans le réseau. Il permet aux utilisateurs de faire des économies supplémentaires tout en continuant à réduire leur empreinte carbone. En outre, il aide à stabiliser les pics de demande sur le réseau. À l’heure actuelle les utilisateurs peuvent déjà revendre leur énergie non utilisée sur le réseau ; il s’agit d’un autre domaine où des politiques doivent être mises en œuvre pour réguler les prix et encourage les conducteurs à maintenir leur véhicule branché. »
Tant les contraintes et les avancées technologiques du XXIème siècle ont donné un grand potentiel à la mobilité électrique. Et si les constructeurs avancent toujours timidement, de nombreux gouvernements et dirigeants ont de l’espoir et maintiennent l’objectif de 20 millions de véhicules sur la route d’ici 2020. En revanche, il y a encore beaucoup à faire pour atteindre ces objectifs, non seulement en termes de technologie et d’infrastructures mais aussi en termes de mentalité des consommateurs. Seule la mise en œuvre d’offres, de structures industrielles et de politiques révolutionnaires accélèreront l’établissement d’un nouveau paradigme.