Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief
Par Sarah Brown, à partir des recherches de Ta Wei Chao
L'Asie est le plus grand continent du monde: 44 390 000 km² peuplés par 3,3 milliards de personnes, soit près des 3/5 de la population mondiale. Du point de vue des entreprises occidentales, l'Asie représente un potentiel de marché inexploité alléchant et un réservoir de talents presque infini. Mais devant ces opportunités se dressent un mur apparemment infranchissable : la langue et la culture.
Toutefois, il y a des bonnes nouvelles : avec une préparation adéquate, les entreprises occidentales peuvent s’aventurer sereinement dans ce terrain miné et conclure des transactions commerciales interculturelles. Voici cinq conseils pour mieux se repérer :
1. Penser à long terme
De manière générale, les cultures occidentales – les cultures anglo-saxonnes en particulier - ont tendance à être individualistes et courtermistes. A l’inverse, les cultures asiatiques ont tendance à se positionner sur l'autre versant, favorisant l'orientation à long terme et l’intérêt collectif.
Les personnes de cultures tournées vers le long terme, comme les chinois ou les japonais, peuvent avoir tendance à poursuivre davantage d'intérêts à long terme et peuvent concéder certains de leurs intérêts. Du point de vue de Wall Street, où la réussite individuelle dépend de résultats immédiats, un temps d’adaptation s’avère nécessaire.
Selon Jeanne Brett, de la Kellogg School of Management, les négociateurs de cultures individualistes doivent garder à l'esprit que les négociateurs dans les cultures collectives partagent de nombreuses similitudes avec les dirigeants syndicaux et les dirigeants politiques dont la longévité dépend de leur capacité à générer de la valeur au niveau collectif. Dans les cultures collectives, le statut social futur dépend du maintien des relations et de l'harmonie au sein du groupe social.
2. Etre conscient des difficultés de communication
Il est probable que les messages puissent se diluer dans la traduction au moment d’une négociation interculturelle. D'abord, il est important de faire la distinction entre les cultures à contexte et hors contexte. Cette différenciation aura un impact sur la façon dont les gens préfèrent communiquer dans les interactions sociales. Selon le chercheur Edward Hall, les divisions sont organisées comme suit :
- cultures à contexte - Dans les cultures à contexte, les gens préfèrent délivrer des messages de manière implicite. Ils ont tendance à transmettre des informations indirectement, ce qui signifie que les messages doivent être interprétés en fonction du contexte.
- cultures hors contexte - dans les cultures peu contextuelles, les gens préfèrent communiquer directement. La signification est à la surface du message. Ils sont directs et vont à l’essentiel, même si le message est critique.
Alors que les cultures occidentales sont plutôt hors contexte, les cultures asiatiques utilisent abondamment l’implicite. La Chine et le Japon sont des exemples particulièrement frappants : plutôt que de laisser un négociateur perdre la face, les agents disent «non» sans refuser catégoriquement. Par conséquent, en oubliant le contexte, le négociateur occidental pourrait manquer le message véritable. Par exemple, un négociateur chinois risque d’utiliser des expressions comme « cela semble assez bien» ou «nous allons jeter un coup d'œil », pour dire «non».
3. Déterminer qui a le pouvoir
Dans les cultures occidentales, les décideurs ont tendance à s'asseoir à la table des négociations et à participer au processus. Cela ne doit pas toujours être le cas en Asie, où les processus de prise de décision s’organisent très hiérarchiquement ou sont au contraire axés sur le consensus. En Asie, il est important de garder à l'esprit que celui que l’on doit convaincre ne se trouve pas nécessairement assis en face de soi.
Trois grands processus décisionnels peuvent être identifiés dans la plupart des pays d'Asie :
- Un processus Top-Down
- Le consensus décisionnel
- Le processus de prise de décision déléguée
Ainsi, au Japon on recherche le consensus pour la prise de décision quitte à rallonger le processus. Habituellement, plusieurs groupes de travail sont formés pour étudier les problèmes en détails afin que des décisions puissent être prises avec information parfaite. Au Japon, même les cadres supérieurs ont rarement le pouvoir de prendre des décisions de façon unilatérale.
4. Connaître le type de conclusion recherché
Dans certains pays, un contrat signifie une simple liasse de documents. Dans d'autres pays, un contrat ne peut pas s’envisager s’il ne contient pas un document décrivant « l’esprit » du contrat ou de l’accord. En Chine, par exemple, les gens préfèrent un contrat sous la forme de principes généraux plutôt que comme un code de règles détaillées. En Corée et au Japon, des formes plus vagues de contrats sont également préférées. Les négociateurs américains, d'autre part, ont tendance à préférer des contrats plus explicites et détaillées qui couvriront toutes les futures éventualités. En Asie, Singapour et Hong Kong s’aventurent également plutôt dans les détails.
En outre, dans une certaine culture, les gens respectent les accords et en suivront le contenu, tandis que dans d'autres, un accord pourrait n’être rien de plus qu'un point de référence. Dans la culture anglo-saxonne, l'action de la signature d'un contrat symbolise clairement l'intention de remplir les conditions énoncées. Un conseiller juridique est souvent inclus dans l'équipe afin de réduire le niveau d'incompréhension après la signature. Ailleurs, comme en Chine, le contrat ne représente pas la finalité, mais le point de départ. Les Chinois négocient pour faire des affaires avec d'autres, laissant souvent les termes spécifiques à déterminer à l'avenir sur la base des circonstances qui se produisent.
5. Comprendre l'importance de l'établissement de relations
Dans certaines cultures, les gens utilisent surtout les négociations pour construire des relations d'affaires durables, plutôt que comme un moyen de trouver une réponse à une question particulière ou obtenir un certain résultat. Des experts de la négociation ont fait valoir que cela constitue l'incompatibilité fondamentale entre les négociateurs américains et asiatiques : ils ont fondamentalement différentes opinions philosophiques quant aux relations entre les humains et leur environnement.
Les cultures asiatiques ont ainsi tendance à mettre l'accent sur les relations personnelles et les amitiés. Le terme chinois "Ganxi", par exemple, décrit la dynamique de base dans les réseaux personnalisés d'influence. En japonais, "Kankei" décrit l'établissement de relations et donne au propos une nuance de proximité.
En somme, les Asiatiques préfèrent faire des affaires dans leurs propres réseaux de confiance. Souvent, le système juridique dans les pays asiatiques ne fournit pas les mêmes garanties que les systèmes juridiques de l'Ouest, si bien que les relations étroites avec des associés d'affaires visent à réduire les risques de coups durs. Pour favoriser de nouvelles relations, les Asiatiques ont maîtrisé l'art de l'hospitalité, de la flatterie.
Mais alors que les relations facilitent la confiance, la flexibilité, et la fidélité, elles créent également des obligations. D'un point de vue occidental, les relations en Asie à double tranchant, car elles sont utilisées pour faire de nouvelles demandes, rouvrir les contrats, renégocier des conditions déjà définies et exiger de nouvelles concessions.
En conclusion, il faut se rappeler que l’on négocie toujours avec un individu, jamais avec un stereotype. On risque de trop en connaître de la culture de l'autre partie et supposer qu'il agira selon le prototype culturelle. Les excellents négociateurs interculturels procèdent lentement, et testent leurs hypothèses : quelle solution risque-t-elle d’être efficace ? Alors qu'ils ne sont pas disposés à faire des compromis sur leurs objectifs, ils sont prêts à ajuster leur stratégie pour les atteindre.
Les questions à garder à l'esprit:
I. Les personnes
1. Avec qui êtes-vous en train de négocier?
Les personnes dont vous vous occupez ont-elles le pouvoir de prendre des décisions? Gardez à l'esprit que la culture peut influencer leur style de négociation.
2. Pouvez-vous anticiper les lacunes de communication?
Certaines cultures peuvent favoriser une communication plus indirecte, afin que les messages soient interprétés en conséquence.
3. Quel sera le mécanisme de prise de décision préféré?
Vous devrez peut-être permettre un délai supplémentaire loin de la table de négociation.
II. Le cœur du problème
1. Quelles sont les motivations de cette négociation?
Déterminer si un contrat ferme ou des lignes directrices plus souples marqueront la fin du processus de négociation. Pour de nombreuses cultures asiatiques, l'établissement de relations seules peut aussi être un objectif important.
2. Pouvez-vous identifier les solutions possibles?
Les solutions peuvent être décidées à plus long terme.
3. Si la négociation échoue, que faire ?
Comment poursuivre les négociations sans perdre la face?
III. Procédés
1. Comment allez-vous organiser la négociation?
Les interprètes doivent-ils être présents? Les négociations se feront-elles à travers de multiples réunions ? Assurez-vous d'accueillir vos homologues selon les coutumes locales.
2. Quelle est la logistique?