La culture fabrique la façon dont les gens se perçoivent, la manière dont ils vivent les relations avec ceux qui les entourent, et leur perception du monde extérieur. Comment peut-on avoir un impact sur leur capacité à être créatifs et concevoir de nouveaux objets, des idées et des solutions ? Plusieurs ont fait valoir que les personnes issues de certaines cultures sont naturellement plus créatives que d’autres. Des résultats ont suggéré, par exemple, que les cultures anglo-saxonnes, mettant l’accent sur l’indépendance et la spécificité de chacun, faisaient atteindre les plus hauts niveaux de créativité ; tandis qu’en Extrême-Orient ou dans les cultures asiatiques confucéennes, la conformité et les pensées interdépendantes, sont reconnues comme étant des freins à la créativité.
Cette perspective, cependant, ne parvient pas à expliquer comment les pays dont les cultures seraient théoriquement inhibitrices de la créativité ont construit quelques-unes des entreprises les plus innovantes du monde : la liste Forbes des « 100 entreprises les plus innovantes » traite des entreprises de vingt pays différents, dont l’Indonésie (Unilever Indonesia – n° 0), la Chine (Baidu – n° 11), la Thaïlande (CP ALL – n° 17), et le Japon (Rakuten – n° 19).
Par conséquent, Michael Morris et Kwok Leung offrent l’explication alternative suivante – une explication que soutiennent mes recherches –, selon laquelle les différentes attentes sociales d’un travail évalué prennent en compte différents aspects de la créativité à travers le prisme de la culture. En d’autres termes, il ne s’agit pas de dire que certaines cultures sont plus ou moins créatives que d’autres, mais plutôt de considérer que chaque culture valorise différents aspects de la créativité.
Depuis que la créativité est un avantage concurrentiel pour les organisations à travers une grande variété de pays, et pour un nombre croissant de sociétés multinationales, il est essentiel que ces organisations soient en mesure de favoriser la créativité dans une variété de contextes culturels. Pour aider les gestionnaires internationaux à surmonter ce défi, la perspective sociale normative propose une formule simple. Dean Keith Simonton et Shing-Shiang Ting ont proposé la formule suivante : créativité = nouveauté x utilité.
Deux fondements de la créativité : la nouveauté et l'utilité
Notre perspective sur la culture et la créativité suggère que chaque culture met un accent différent sur la nouveauté par rapport à l’utilité. En conséquence, la créativité dans les organisations est à prendre comme une construction sociale, conformément à ce que prescrivent les valeurs de la culture dans laquelle se trouvent les organisations.
Ainsi, les différences culturelles sur la créativité peuvent être expliquées en fonction de la primauté donnée à la nouveauté ou à l’utilité. En d’autres termes, certaines cultures ne sont pas intrinsèquement moins porteuses de créativité, mais il y a différents niveaux d’attente de l’utilité d’une idée plutôt que de sa nouveauté.
Les cultures anglo-saxonnes ont tendance à accorder une grande importance à la nouveauté, valorisant davantage les idées différentes des précédentes. Les icônes de créativité sont Steve Jobs, Richard Branson ou Elon Musk – des individus qui ont défini leur propre chemin vers le succès en créant des entreprises et en bouleversant les paradigmes existants. Les histoires de ces héros reflètent les normes sociales des cultures anglosaxonnes : ils ont tendance à être très individualistes, ont le goût du risque, sont des hommes et préfèrent créer et casser les codes. Ce style cognitif souligne une pensée divergente et flexible. Ainsi, ces normes favorisent la production d’une variété de solutions de rechange, ce qui facilite la nouveauté. Les cultures asiatiques, d’autre part, ont tendance à accorder plus d’importance à l’utilité, ou à la façon dont une idée répond à un problème. Leurs icônes de créativité comptent Sim Wong Hoo, Robin Li et Jack Ma.
Les normes sociales dans les cultures d’Asie orientale – n’aimant pas l’incertitude, ayant un rapport lointain au pouvoir favorable au féminin – impriment un style cognitif qui met l’accent sur la pensée convergente et la fermeture, ce qui facilite la sélection d’idées et la structure intellectuelle. Ainsi, ces normes favorisent l’utilité.
Normes sociales |
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Normes favorisant la nouveauté |
Normes favorisant l’utilité |
Individualisme : la valeur d’une idée dépend de la façon dont les créateurs s’émancipent des groupes |
Collectivisme, la valeur d’une idée depend de la façon dont elle unit |
Gout pour le risque |
Aversion au risque |
Rapport lointain au pouvoir : l’idée n’est pas assise sur une instance de pouvoir |
Rapport étroit au pouvoir : l’idée de est assise sur une instance de pouvoir |
Masculinité, promotion de la competition et de la performance |
Feminité, promotion de la cooperation et de l’apprentissage |
Tolérance envers les comportements marginaux |
Intolérance envers les comportements marginaux |
Cependant, une solution créative devrait être à la fois nouvelle et utile. En analysant ces « différences créatives » entre les cultures, mes collaborateurs de recherche et moi-même sommes en train de développer une théorie sur la façon dont les gestionnaires pourraient effectivement améliorer la créativité à travers différentes cultures.
Nous nous appuyons sur la théorie componentielle de créativité de Teresa Amabile, qui identifie quatre pilotes théoriques de la créativité, dont chacun doit être présent pour la créativité à atteindre. Notre recherche suggère que ces composants sont la clé pour faciliter ou encourager la créativité à travers les cultures. La clé est d’identifier la composante de la créativité qui complète les attentes sociales normatives d’une culture donnée.
Composantes de la créativité dans les organisations |
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La motivation : si le travail est intéressant et porteur |
Maitrise de la tâche : connaissance, expertise, technique. |
Organisation de la gestion de problèmes : favoriser les solutions qui émergent de l’extérieur |
Environnement du travail : tolérance envers les échecs et écoute de l’expertise des membres de l’organisation |
Encourager la créativité dans tous les domaines: la nouveauté et l'utilité
Les gestionnaires ne peuvent pas changer les attentes imposées par la culture de leur pays. Ils peuvent, cependant, développer ou déclencher la composante de la créativité qui complimente leur culture. En d’autres termes, étant donné que chaque culture peut accorder de l’importance à une variable de l’équation, la créativité peut être favorisée dans toute culture par le déclenchement de la composante complémentaire :
Créativité = nouveauté x utilité
Nous soutenons que les différentes cultures mettront l’accent sur chaque composante de la créativité à un degré plus ou moins fort selon les valeurs et les déterminants culturels. Par exemple, selon la perspective sociale normative, les cultures individualistes, prônant un faible contrôle de l’incertitude, peu assises sur les instances de pouvoir, masculines, et se défendant d’un goût pour le risque, devraient par défaut davantage porter l’accent sur la composante « nouveauté » de l’équation. Inversement, les cultures collectivistes, ayant une aversion au risque, fortement assises sur les instances de pouvoir, féminines et moins portées vers l’innovation mettront par défaut davantage l’accent sur la partie « utilité » de l’équation. L’effet de chaque composante sur la créativité sera maximisé s’il complète bien les comportements que prescrivent les normes des cultures mères. Par exemple, la recherche à ce jour semble indiquer que la tâche de motivation, les compétences de créativité pertinentes et l’environnement de travail sont davantage susceptibles d’affecter la nouveauté, alors que les compétences de domaine pertinent sont relativement plus susceptibles d’affecter l’utilité. Par conséquent, notre idée – en termes d’équation – est la suivante :
Créativité = (motivation x compétences créatives x environnement du travail) x (collectiviste, aversion du risque, rapport lointain au pouvoir, féminine, et culture serré)
Et
Créativité = (individualiste, gout pour le risque, rapport étroit au pouvoir, masculine, et culture desserré) x (maitrise de la tache)
Ces concepts présentent plusieurs idées utiles pour la pratique. Les gestionnaires chargés de favoriser la créativité dans leurs organisations devraient être conscients des composantes de la création et des faiblesses du contexte culturel de leur organisation. Cependant, au lieu d’éradiquer les préjugés culturels qui entraveraient la créativité, nous pensons que les gestionnaires obtiendraient de meilleurs résultats en travaillant à l’amélioration de la dimension de la créativité qui n’est pas prioritaire dans la culture du pays où ils travaillent.
Par exemple, les gestionnaires dans les milieux culturels individualistes comme les États-Unis et Israël devraient concentrer leurs efforts sur la fabrication d’innovations utiles. En revanche, les gestionnaires dans le contexte culturel collectiviste comme la Chine et le Japon devraient concentrer leurs efforts sur la fabrication d’innovations tranchant par leur nouveauté.
Le rôle de la culture a été – et continue d’être – l’un des facteurs les plus intéressants de l’étude de la créativité dans les organisations. Même ainsi, les études empiriques ont été conçues principalement pour tester l’hypothèse selon laquelle certaines cultures sont par nature plus propices à la créativité que les autres. En revanche, nous fournissons un aperçu de la façon dont les organisations peuvent atteindre des niveaux supérieurs de performance créative dans tous les pays.