Des animaux mignons pour mieux se connecter aux autres ?

Des animaux mignons pour mieux se connecter aux autres ?

Avec Ghalia Shamayleh

 

Julia Smith, rédactrice en chef d'ESSEC Knowledge : Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans Be in the Know, le podcast d’ESSEC Knowledge qui partage les recherches et l’expertise des professeurs de l’ESSEC. Aujourd’hui, je suis avec Ghalia Shamayleh, professeure assistante en marketing. Ghalia est ici pour nous parler de sa recherche sur les bienfaits du partage de contenus d’animaux mignons pour la santé et la psychologie humaine. Pour commencer, pouvez-vous nous dire ce qui vous a mené à un tel sujet de recherche ?

Ghalia Shamayleh, professeure assistante en marketing : Bien sûr ! Merci de m’avoir invitée. Je suis vraiment ravie d’aborder ce sujet avec vous. Tout a commencé lors de mon mémoire de master. À l’époque, je ne savais pas encore quel serait mon sujet, mais je savais que je voulais que ma professeure, Zeynep Arsel — qui enseigne à l’Université Concordia et à l’Université de Bath — suive le compte Instagram de mon chat. 

Je gérais le compte de mon propre chat à ce moment-là. Quand je lui en ai parlé, je ne savais toujours pas sur quoi allait porter mon mémoire, mais elle m’a proposé de l’orienter vers ce phénomène spécifique des comptes de chats sur les réseaux sociaux. C’est donc comme ça, de manière plutôt originale je dois dire, que le sujet fut trouvé.

Julia Smith : Quelle histoire ! Sur quel type de questions vous êtes-vous penché dans cette étude ?

Ghalia Shamayleh : Après une très longue réflexion, ce qui arrive souvent dans le processus de relecture, ma recherche s’est finalement concentrée sur la manière dont les objets numériques — en particulier les contenus en ligne sur les réseaux sociaux — sont créés, consommés et circulent au sein de réseaux affectifs numériques, et nous nous sommes donc spécifiquement intéressées au contexte des animaux de compagnie sur les réseaux sociaux.

Julia Smith : Très intéressant. Comment avez-vous exploré le lien entre contenus mignons d’animaux et relations interpersonnelles ?

Ghalia Shamayleh : Pour commencer, nous avons étudié la création de ces “objets numériques”, autrement dit les contenus en ligne, comme un processus qui débute entre les humains et leurs animaux de compagnie, à travers deux types d’interactions.

D’abord, il y a les rencontres corporelles affectives : ce sont les interactions physiques entre l’humain et son animal. Imaginez vous avec votre chien que vous promenez, ou votre chat que vous nourrissez ou avec lequel vous jouez. Ces moments de contact physique avec nos compagnons à quatre pattes sont chargés d’émotion : ils provoquent des émotions positives qui renforcent profondément notre relation avec notre animal. 

Une fois que nous avons vécu ces rencontres, en tant qu’humains qui sont aussi créateurs de contenu, nous sommes inspirés à créer des objets numériques, c’est-à-dire le contenu en ligne mettant en scène nos animaux. Une fois cette inspiration présente, nous choisissons des éléments visuels et textuels qui nous permettent d’exprimer nos sentiments positifs envers nos animaux, à travers des publications, des stories, ou tout autre format de contenu que nous décidons de partager en ligne.

A ce moment-là, nous passons d’une simple rencontre affective corporelle à quelque chose que nous appelons une rencontre techno-affective. Une fois que cette publication est mise en ligne sur les réseaux sociaux, les personnes qui consomment ce contenu peuvent commencer à développer des relations parasociales avec des animaux de compagnie.

Par exemple, supposons que je tombe sur une publication très mignonne d’un husky, et je ressens une forte émotion. J’ai envie de suivre cet animal en ligne, de créer une relation unilatérale avec lui. Lui ne sait pas qui je suis. La personne qui vit avec ce husky ne sait pas non plus qui je suis. Mais moi, je sais qui ils sont, et je veux poursuivre cette relation à sens unique. C’est cela, une relation parasociale.

À l’origine, ce type de relation concernait les célébrités, puis s’est élargi aux influenceurs sur Internet, car il s’agit toujours de relations unilatérales.

On passe donc de l’émotion entre un humain et un animal de compagnie à l’émotion entre un consommateur et un animal qu’il ne connaît pas. Ensuite, cela s’étend aux relations entre humains sur les réseaux sociaux, avec ceux qui likent et qui veulent partager ce contenu.

C’est là qu’intervient cette fameuse rencontre techno-affective. On voit une publication, elle nous fait penser à un ami qui adore les huskies, ou à quelqu’un qui a eu un animal similaire, et on a envie de lui partager ce contenu. Cela nous aide à créer un lien avec cette personne.

Ainsi, l’émotion circule : d’une relation entre un humain et un animal, à une relation entre humains via le numérique.

Julia Smith : Dans votre étude, vous mentionnez le terme de « pebbling ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Ghalia Shamayleh : Bien sûr ! C’est un terme que nous avons trouvé en ligne dans des articles à l’origine en lien avec les manchots. Chez certaines espèces, notamment chez les manchots papou, le mâle choisit un galet parfait pour l’offrir à sa partenaire en signe d’affection.

Le terme a ensuite été repris pour désigner un comportement que nous avons aussi en ligne, lorsqu’on tombe sur une publication — qu’il s’agisse d’un animal ou d’autre chose, car notre concept s’applique à divers types de contenus — et que celle-ci nous fait penser à un ami ou à un proche. On se dit : « Je pense à eux, je veux qu’ils le sachent, et je partage donc ce contenu avec eux ». On appelle cela le « pebbling numérique » : le partage d’un signe d’affection sous forme de contenu en ligne.

Julia Smith : Donc, passer du temps sur son téléphone — à condition qu’on envoie quelque chose de mignon à ses amis — pourrait en réalité être bon pour nous ?

Ghalia Shamayleh : Oui, tant que cela renforce vos relations interpersonnelles !

Julia Smith : Incroyable. Selon vous, qu’est-ce que cela implique pour nos relations interpersonnelles à l’ère du numérique ?

Ghalia Shamayleh : En réfléchissant à tous les concepts que nous avons développés, je pense qu’il est important de comprendre que la positivité que l’on retire d’un contenu peut aller d’une situation très spécifique — la relation entre un humain et son animal — à des choses très générales, comme les memes.

Prenez par exemple l’hippopotame Moo Deng, d’un zoo en Thaïlande. Le gardien de zoo voulait simplement partager une image sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, cette image est devenue un phénomène mondial et un mème qui dépasse totalement son contexte initial.

C’est ce que nous appelons dans notre article la décontextualisation. On part d’une situation concrète (Moo Deng dans son zoo), pour aboutir à un meme décontextualisé — par exemple, une image où elle mord le genou d’un gardien de zoo, avec la légende : « Comme un lundi ». Cela devient universel, positif, et n’est plus lié au contexte d’origine.

Julia Smith : Pensez-vous que ce phénomène est propre au numérique ? Le contenu mignon est-il perçu différemment selon le support ?

Ghalia Shamayleh : Je ne pense pas que ce soit limité au contenu numérique. À l’origine, cela vient d’interactions physiques entre humains et animaux — quelque chose que nous faisons depuis toujours.

Par exemple, promener son chien dans son quartier. On est plus susceptible de faire des rencontres, car le chien joue le rôle de lubrifiant social. Ce comportement s’est simplement étendu au monde numérique.

Si on se concentre sur les animaux, on peut dire que leur rôle de facilitateurs sociaux est désormais actif aussi en ligne, ce que je trouve fascinant. En tant qu’amoureuse des chats et des animaux en général, je suis ravie de pouvoir étudier ce phénomène.

Julia Smith : Oui, c’est passionnant — et j’ai adoré lire votre article, notamment grâce à toutes ces adorables photos d’animaux. Vous disiez que cela pouvait aussi concerner d’autres types de contenus. Quels sont les critères permettant de nourrir ce genre de rencontre affective ?

Ghalia Shamayleh : Précisément. Nous parlons dans l’article de la dichotomie entre la rencontre affective corporelle et la rencontre techno-affective. Le lien entre les deux, c’est l’émotion.

Tant que l’interaction physique est porteuse d’émotion, elle peut ensuite être transférée au numérique. Si des émotions sont en jeu, les gens peuvent consommer et faire circuler ce contenu.

Par exemple, prenons une influenceuse beauté passionnée, qui parle d’un crayon à lèvres, avec ou sans partenariat commercial. En tant que spectateur, on perçoit son effort, son émotion face au produit. C’est là une rencontre affective corporelle qui se transforme en contenu numérique. Tant qu’il y a de l'émotion et quelque chose à partager, cela peut dépasser le simple cadre physique.

Julia Smith : Au-delà des effets positifs sur les relations humaines, y a-t-il d’autres implications ? Par exemple, pour le marketing ou le travail ?

Ghalia Shamayleh : Absolument. Si on revient à l’exemple de l’influenceuse beauté, cela s’applique à tous les influenceurs. C’est le marketing d’influence. En tant qu’entreprise, il faut comprendre ce qui déclenche l’affect et ce qui génère ces rencontres techno-affectives. Cela permet de créer un enthousiasme autour d’un produit. Cette compréhension est essentielle pour créer des campagnes de marketing efficaces. Elle permet de concevoir des contenus qui résonnent sincèrement avec le public.

Julia Smith : Pour y conclure, y a-t-il d'autres points clés que vous voudriez partager ?

Ghalia Shamayleh : Oui, tout à fait ! C’est un point sur lequel j’ai beaucoup réfléchi, notamment dans la section sur la transférabilité, si l’on sort du cadre animal pour se concentrer sur d’autres individus.

Prenons les influenceurs familiaux. Beaucoup de familles exposent leur vie sur les réseaux, parfois avec des enfants très jeunes. Mais on peut se demander : ces enfants ont-ils consenti à être présents dans ces contenus ? C’est un vrai sujet. Dans le cas des animaux, ils ne peuvent pas donner leur consentement non plus, mais tant qu’il n’y a pas de cruauté et que le contenu est positif, j’aime à penser qu’ils l’auraient accepté.

Julia Smith : Je suis sûre qu’ils seraient ravis de savoir qu’ils apportent joie et bonheur en ligne ! C’était vraiment très agréable de parler de recherche si positive dans un monde où l’on est saturé de mauvaises nouvelles. Je crois que je vais me regarder des comptes Instagram d’animaux maintenant. Merci beaucoup d’avoir été avec moi aujourd’hui, Ghalia.

Ghalia Shamayleh : Merci à vous de m’avoir invitée.

Pour en lire plus 

Shamayleh, G., & Arsel, Z. (2025). Digital affective encounters: The relational role of content circulation on social media. Journal of Consumer Research. https://doi.org/10.1093/jcr/ucaf023

 

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