Extrait du travail de recherche « The Construction of a Trustworthy Investment Opportunity: Insights from the Madoff Fraud », publié en Recherche comptable contemporaine
S'engager dans une relation contractuelle exige un certain niveau de confiance. Parce qu’en général l’information disponible ne permet pas de réduire totalement l’incertitude, les acteurs de toute relation sont amenés à se faire confiance. L’enjeu est donc d’identifier les mécanismes par lesquels les opportunités d’investissement deviennent ou non dignes de confiance.
Paradoxalement, l’influence de la confiance sur nos décisions et actions est davantage visible lorsque la confiance se révèle finalement injustifiée.
Cette recherche a été élaborée à partir d’une série d’entretiens avec des victimes de la tromperie initiée par Madoff. L’analyse de ce « cas extrême » permet de comprendre comment une opportunité d’investissement peut être considérée comme digne de confiance.
1. « Un article paru dans le New York Times ou le Wall Street Journal décrit l’homme comme un sorcier… »
À travers les entretiens, le premier mécanisme de confiance que nous avons pu déceler réside dans les processus. Ce genre de confiance ne repose pas sur une évaluation directe de la performance, mais naît plutôt parce que l’on juge une personne, une association, des individus ou des institutions dignes de confiance.
Les succès précédents jouent un rôle important : « Un ami proche, qui est l’un des individus les plus riches de l’Amérique, m’a suggéré d’investir avec lui, parce que je cherchais à mettre une somme d’argent dans un placement sûr et cohérent… ».
2. L’importance des relations affinitaires
Certaines caractéristiques personnelles comme la famille, l’âge, l’origine ethnique, favorisent l’établissement de relations de confiance entre un individu et les investisseurs. Ces caractéristiques ont tendance à réduire le besoin perçu de négocier en détail les termes de l’échange ou d’enquêter sur la crédibilité du partenaire.
Ainsi, l’appartenance de Madoff à la communauté juive lui a valu la sympathie des philanthropes juifs et des organisations caritatives juives. Ses amis ont également travaillé avec lui, pensant qu’il n’y avait pas de meilleure opportunité d’investissement pour eux.
3. « La Securities and Exchange Commission trouvait saines les opportunités de Madoff »
Beaucoup d’investisseurs ont confiance dans les institutions – en l’espèce, les organismes de réglementation.
Certaines des personnes interrogées avouent ainsi avoir consulté la documentation accessible avant d’investir, et avoir été rassurées par le bilan de santé très positif dressé par la Securities and Exchange Commission (SEC). Le problème avec ce type de rapports, c’est que leur périmètre est souvent mal compris. En fait, aucun examen complet des activités de Madoff n’avait été entrepris par la SEC et, depuis l’arrestation de Madoff, cet organisme a été critiqué pour son manque de diligence à l’égard de Bernard Madoff. Ceci illustre le « dilemme de la confiance » créé par les organismes de réglementation.
Alors qu’elles devraient remplir des fonctions importantes de surveillance et de contrôle, ces agences ne sont généralement pas tenues pour responsables de ne pas avoir détecté un cas de fraude (tout au moins d’un point de vue légal). Les investisseurs ne devraient pas se fier aveuglément à elles – et plutôt assumer la responsabilité de leurs propres décisions d’investissement.
4. « L’appui d’auditeurs renommés… »
D’autres intermédiaires, qui fournissent des garanties sur la sécurité des placements, ou qui s’assurent que la réglementation est bien respectée, peuvent également être jugés dignes de confiance. Ainsi, les cabinets d’audits peuvent renforcer la confiance. Néanmoins, la qualité véritable d’un audit reste difficile à évaluer. En l’espèce, la firme broker-dealer de Madoff (BMIS) était auditée par un cabinet (Friehling & Horowitz) moyennant des honoraires assez modestes (de l’ordre de 12000 $).
Les investigations menées après l’éclatement du scandale Madoff ont révélé que cette firme ne menait en fait aucun travail réel d’audit.
5. « Le plein accord de Bernie Madoff sanctionnait la participation au club… »
Même si les points mentionnés ci-dessus ne font pas de Madoff un homme activement engagé dans son système, il était certainement bien plus qu’un spectateur passif, attendant simplement de récolter les fruits de son incroyable fraude. Il aimait au contraire le contact personnel. D’une part, les rencontres face à face permettent une relation plus intime dans laquelle les parties contractantes se surveillent l’une l’autre. D’autre part, elles permettaient à Madoff de déployer son charisme et son discours persuasif, ce qui contribuait à mettre les investisseurs en confiance.
Lorsque Madoff rencontrait les investisseurs, il tenait d’abord à souligner le rôle de réglementation de la SEC, expliquait que sa stratégie d’investissement devait être gardée secrète pour continuer d’offrir des rendements importants, et refusait parfois les premiers versements des investisseurs. Accepter un versement, c’était devenir membre d’un club exclusif…
6. « Je recevais un relevé mensuel très détaillé, tous les mois, sans faute… »
Enfin, Madoff a produit de faux relevés de compte « plus vrais que nature » pour mettre en confiance les investisseurs.
En effet, la précision de l’information (même fausse) est au coeur de toute relation contractuelle. Elle permet aux investisseurs de prendre des décisions d’investissement et de vérifier si les autres parties contractantes remplissent leurs obligations. Des documents semblant sérieux attestent, a priori, de la bonne foi de chaque partie contractante.
À la lumière des conséquences dramatiques de la fraude Madoff, on peut se demander comment un tel cas pourrait être évité à l’avenir. Immédiatement, on est tenté de répondre que ces cas de fraude ne peuvent jamais être complètement évités. Dès lors que la participation à un échange exige de la confiance, il y a toujours possibilité d’usurper cette confiance. De fait, sans l’éventualité d’une fraude, la confiance ne serait pas nécessaire.
Toutefois, cette première réponse ne peut être acceptée par les régulateurs et les représentants des organismes de réglementation. Comme le démontre l’affaire Madoff, une partie importante de la fiabilité attendue par les investisseurs est garantie par des acteurs tels que la SEC ou des vérificateurs, dont le rôle est de surveiller et de contrôler. En cas de défaillance, plus les dommages seront importants pour les investisseurs, plus le marché souffrira d’un manque de crédibilité et de fiabilité.
Alors que les fraudes nuisent en général au bon fonctionnement des marchés financiers, elles peuvent également produire des effets positifs. Ainsi, si les institutions perdent de leur crédibilité en tant que mécanismes de contrôle, les investisseurs auront à assumer davantage de responsabilités. Un paradoxe est ici à l’oeuvre. De bons contrôles institutionnels sont nécessaires au bon fonctionnement des marchés financiers.
Mais plus les contrôles institutionnels sont efficaces, plus les investisseurs auront tendance à se reposer sur ces contrôles et à relâcher leur vigilance, ce qui a pour conséquence d’entraîner des pertes plus importantes en cas de fraude. Le problème est que les investisseurs risquent toujours d’accepter trop facilement des informations produites par des institutions comme des informations crédibles, ce qui réduit vraiment leur perception du risque lors de l’examen d’un projet d’investissement.
Le moyen le plus approprié pour résoudre le problème de la fraude serait peut-être de travailler sur deux fronts en parallèle. D’une part, il semble essentiel de disposer d’organismes de réglementation qui fonctionnent bien, et qui soient équipés de ressources suffisantes pour mener à bien leurs missions de surveillance et de contrôle des placements. D’autre part, il faut être conscient que même les meilleurs contrôles ne sont pas infaillibles. Sur le plan institutionnel, fixer la taille du portefeuille que les conseillers en placement sont autorisés à gérer limiterait aussi les risques. Certes, l’efficacité de certains fonds d’investissement s’en trouverait diminuée, mais c’est certainement le prix à payer pour davantage de sécurité.
Sur le plan individuel, la meilleure façon de limiter ses pertes potentielles est probablement la règle dite de la « diversification ». Elle invite les acteurs à maintenir une certaine variété d’actifs dans leur portefeuille pour réduire leurs risques. Le principe de diversification s’applique également aux intermédiaires mobilisés par les investisseurs. Même si les investisseurs ne peuvent pas complètement dépister les fraudes, diversifier les différents intermédiaires leur permet de réduire l’impact relatif des fraudes sur leur patrimoine.
La dernière possibilité consiste à exclure explicitement des formes d’échange particulières. Notre entrevue avec le directeur financier d’une organisation qui a décidé de ne pas investir avec Madoff donne l’exemple. Il explique que son organisation a pour politique de ne pas confier de fonds à des firmes qui ne feraient pas appel à teneur de compte indépendant. Des règles de cette nature empêchent de s’engager dans certains types d’investissements, quand bien même il y aurait a priori des « bonnes » raisons de le faire, comme une espérance de gain élevé, une bonne réputation du projet ou un droit exclusif d’investir.
Extrait du Hors Série ESSEC Knowledge: