Afin de mieux comprendre la rotation des PDG, le professeur Paul André a passé en revue les recherches effectuées ces cinq dernières années. Les résultats montrent que, si les entreprises remplacent généralement le PDG pour améliorer les résultats, ces changements profonds en période difficile peuvent aggraver la situation.
Parmi les rotations des PDG, il faut établir la distinction entre les départs forcés et les départs non forcés. Le licenciement est la seule cause de départ forcé, mais les départs non forcés peuvent être dus à un départ à la retraite, une démission ou même un décès. Il arrive que les entreprises préfèrent ne pas détailler les raisons du départ du PDG, ce qui complique l’analyse. Également, le départ à la retraite comporte du flou : l’âge de départ du PDG varie, or il semble être un facteur important dans la rotation des PDG.
Combien de départ chez les PDG sont-ils forcés ? Les universitaires britanniques David Hillier et Patrick McColgan ont récemment découvert que 34 % des 494 départs analysés étaient des départs forcés. C’est nettement plus que ce des chercheurs américains avaient trouvé, eux dont les estimations allaient de 13 % à 24 %. Néanmoins, ces études portent sur des pays, des secteurs et des périodes différents ; la rotation des PDG a tendance à être plus élevée quand il y a plus de fusions d’entreprises et d’acquisitions.
La nature de l’entreprise et sa situation présente ont des conséquences importantes sur la rotation des PDG, mais l’analyse de ces relations soulève un certain nombre de questions.
De nombreuses études ont montré que les PDG sont plus susceptibles d’être remplacés quand l’entreprise connaît de mauvais résultats, comme l’on peut s’y attendre. En revanche, les mesures utilisées pour évaluer les « performances » ne sont pas fixes, ce qui rend la comparaison difficile. Il arrive que les mesures à utiliser soient définies dans le contrat du PDG. Plusieurs chercheurs ont trouvé que si la croissance des bénéfices par actions, souvent utilisés par les analystes financiers pour débattre ouvertement des perspectives d’évolution d’une entreprise, ne fait pas partie des objectifs de l’entreprise, cela indique certainement la rotation prochaine du PDG.
Départ forcé ou réorganisation de l’entreprise
Un autre problème est soulevé par la sélection des échantillons. Par exemple, peut-on inclure des PDG qui ont perdu leur poste à la suite du rachat ou de la faillite de leur entreprise ? Très peu de PDG résistent à une reprise, seulement 17 % gardent leurs fonctions et deux tiers sont partis au bout de trois ans. Mais c’est un vrai défi pour les chercheurs d’isoler cette sous-catégorie de départ forcé de PDG, car le lien entre le rachat de l’entreprise et le départ du PDG n’est pas toujours clair ou immédiatement visible.
Causes sous-jacentes de l’occupation du poste de PDG sur la longue durée
Les grandes entreprises ou celles ayant de l’ancienneté sont plus susceptibles de remplacer leur PDG, mais les chercheurs sont bien en peine d’expliquer pourquoi. Le problème est qu’une grande entreprise contient souvent d’autres éléments, tels que la complexité ou la bureaucratie, qui peuvent aussi affecter la rotation du PDG. Là encore, il est difficile d’isoler les causes réelles.
Le secteur dans lequel évolue l’entreprise semble également avoir un impact. S’il y a de nombreuses autres entreprises dans le même secteur, la rotation des PDG est relativement probable car il est facile de comparer les résultats du PDG à ceux de ses pairs –et de trouver un « remplaçant » convenable.
La gouvernance d’entreprise
La gouvernance, ou la manière de diriger une entreprise, est essentielle. En 1990, Fizel et Louie ont émis l’hypothèse qu’elle pourrait avoir encore plus d’impact que les résultats sur la rotation des PDG. Les conseils d’administration plutôt indépendants –où se trouvent plusieurs membres à temps partiel ou ne faisant pas partie de la direction– sont plus susceptibles de licencier le PDG, mais l’indépendance est difficile à mesurer. Un autre facteur essentiel est le pouvoir du PDG, qui peut provenir de la possession des capitaux, de l’ancienneté ou de sa position d’autorité. Un PDG qui possède de nombreuses actions est puissant et assied son pouvoir, et il est peu probable qu’il soit licencié, même s’il ne possède que quelques intérêts dans l’entreprise. Néanmoins, nous pouvons également dire que le fait d’être partie prenante incite le PDG à rester et à remédier à de piètres résultats.
La répartition des richesses
Cela soulève la question plus vaste de la propriété. Dans certains entreprises des actionnaires majoritaires (souvent la famille fondatrice) détiennent de grands stocks d’actions et ont parfois un vote qui pèse plus lourd dans la balance. Des recherches récentes ont montré que les grands intérêts familiaux dans les entreprises publiques sont plus fréquents que ce l’on croyait. Il arrive que les grands actionnaires privilégient leurs propres intérêts sur ceux de l’entreprise, par exemple lors de la remise de dividendes spéciaux. Par conséquent, comme tous leurs investissements sont concentrés dans la même entreprise, ils peuvent être plus réticents aux risques que les autres. Cela peut conduire à un repli des dirigeants -par exemple les propriétaires d’une entreprise familiale peuvent refuser de nommer des dirigeants professionnels n’appartenant pas à l’entreprise.
Pour les besoins de l’analyse, la plupart des chercheurs établissent une distinction entre les entreprises contrôlées par le propriétaire (où le dirigeant possède la plupart des actions), les entreprises contrôlées de manière extérieure (des personnes étrangères possèdent la plupart des actions) et des entreprises contrôlées par la direction (la propriété des actions est répartie entre plusieurs personnes). La plupart du temps, plus les dirigeants ont du pouvoir (grâce à la propriété des actions), moins le PDG est susceptible de changer. Il arrive souvent que dans les entreprises contrôlées par les propriétaires, le PDG peut rester en place malgré de piètres résultats financiers.
Nous pourrions dire, de manière informelle, que les entreprises qui sont en majorité possédées et contrôlées par la famille du fondateur sont des « entreprises familiales », mais une telle définition pose problème. Les fondateurs restent souvent les actionnaires majoritaires, comme l’a fait Bill Gates, mais Microsoft est-elle vraiment une entreprise familiale ? Les entreprises dirigées par leur fondateur sont intéressantes dans le contexte de la rotation des PDG, car les fondateurs se retirent souvent au profit d’un nouveau PDG dans les moments charnières de développement de l’entreprise, comme la finalisation d’un projet majeur ou la recherche de nouveaux financements. Mais il est quelque peu difficile de séparer les PDG selon qu’ils sont issus ou non de la famille fondatrice. Ainsi, si l’on se penche sur les noms de famille on risque de passer à côté de la belle-famille. Il est également difficile de déterminer le niveau de participation d’une famille si elle est répartie entre plusieurs membres de la famille.
En finir avec l’ancien pour laisser place au neuf : une méthode pour réussir ?
Est-ce que le changement de PDG améliore les résultats ? Le sens commun suggère que c’est pour améliorer les résultats que les entreprises changent de PDG, mais des changements profonds en période difficile peuvent aggraver la situation. Il arrive même que certains PDG licenciés soient simplement des boucs émissaires, que l’on a remplacés juste pour donner l’impression de prendre des mesures face aux mauvais résultats. Les chercheurs qui observent les réactions de la Bourse face à la rotation des PDG ont obtenu des résultats mitigés, mais il est très difficile d’isoler les effets du changement de PDG parmi d’autres facteurs. Il reste encore un long chemin à parcourir avant de comprendre totalement la relation entre le départ du fondateur ou du PDG et la destinée des entreprises qu’ils quittent.