Cet extrait est tiré de l’article « Strategic Dynamics : Agency, Path Dependency, and Self-Organized Emergence », publié dans le Strategic Management Journal, qui a reçu le « Prix Académique de la Recherche en Management » attribué par Syntec (ConsultInFrance).
Nos recherches précédentes ont montré que la capacité d’une firme à agir rapidement peut faire la différence entre son succès et son échec, et que les entreprises qui agissent vite sont aussi celles qui s’adaptent avec succès. En revanche, bien que les managers aient à agir rapidement afin de se maintenir dans la course, disposent-ils toujours des moyens nécessaires pour prendre leurs décisions au moment opportun?
Ce nouveau travail de recherche – Strategic Dynamics : Agency, Path Dependency, and Self-Organized Emergence – aborde ce problème et pose la question suivante: est-ce que les managers ont le contrôle du timing de leurs décisions stratégiques ?
Pour analyser cette question, l’article s’appuie sur une large base de données s’étendant sur plus de 42 années d’événements de nature stratégique initiés par Danone, une grande entreprise multinationale française de l’agro-alimentaire. Fondée sur une démarche mêlant analyses micro et macro, et s’appuyant sur des outils qualitatifs et quantitatifs multiples, cette recherche met en évidence les relations complexes qui existent entre choix et hasard, ordre et confusion, décision formelle et émergence, qui contribuent toutes à dessiner la trajectoire stratégique de la firme.
Retracer le parcours stratégique de la firme
Trois différents régimes d’évolution ont pu être identifiés au sein de Danone :
- Une période aléatoire, sans structure, caractérisée par une longue période de recherche d’opportunités et d’exploration ;
- Une phase d’expérimentation des opportunités découvertes ;
- Une période de stabilité, caractérisée par l’exploitation ;
Les résultats montrent que, même si les choix managériaux influencent la stratégie de la firme, ils semblent influencer seulement indirectement la façon dont l’activité stratégique a évolué au court du temps, et le timing des différentes actions. Le timing dépend toujours des événements passés, sur lesquels les managers n’ont pas le contrôle. En effet, c’est seulement dans la période de stabilité que les managers ont eu un contrôle relatif sur le timing de leurs actions stratégiques. Pour la période turbulente et sans structure, où les dynamiques étaient aléatoires, le timing de ces actions était sans contrôle. Concernant la période d’expérimentation, le timing émergeait des interactions spontanées et auto-organisées. Les managers semblent avoir agi lorsque cela était possible, avec intelligence certes, mais sans nécessairement contrôler le rythme de leurs actions et le moment où celles-ci avaient lieu.
Vers une compréhension nouvelle des dynamiques de la stratégie
Ces résultats mettent en exergue le rôle indirect que les managers peuvent jouer dans le timing de leur action stratégique, mettant en avant leur rôle de facilitateurs, plutôt que de contrôleurs. S’ils sont généralisables, ces résultats pourraient permettre d’aboutir à une nouvelle compréhension des dynamiques de la stratégie, qui se détacherait de la simple problématique du choix, et se rapprocherait d’une combinaison complexe entre passé, hasard et émergence auto-organisée.
Le cas Danone nous amène à penser qu’il faut être beaucoup plus prudent lorsqu’il s’agit de lier la décision aux conséquences qu’elle implique, car si la stratégie est affaire de contenu, elle l’est aussi de timing. Dans le cas Danone, les managers ont pu choisir le contenu de leur stratégie mais n’ont nécessairement pas eu la main sur le timing de leurs actions. Le timing était soit effectivement imposé, soit semble avoir été choisi de façon ad hoc. De façon générale, le timing des actions à caractère stratégique ont souvent échappé au contrôle des managers.
Qu’est-ce qui donc a pu faire que la firme ait eu des résultats aussi remarquables sur le long terme, si ses managers n’avaient pas le pouvoir d’agir au moment opportun ? Parallèlement à la vision stratégique de ses dirigeants le contenu même de la stratégie a certainement eu un impact important, tout comme le choix du régime des dynamiques : exploration, expérimentation, exploitation. Les actions stratégiques et leur mise en œuvre ont influencé ces régimes, sans pour autant les imposer. Selon le niveau de structuration de ces actions stratégiques, la firme a pu peu à peu évoluer d’un régime à l’autre et ainsi avoir une influence indirecte sur le temps de son action.