Le pouvoir au peuple : Les avantages et les limites de l'autosélection des employés dans les organisations

Le pouvoir au peuple : Les avantages et les limites de l'autosélection des employés dans les organisations

Qu’est-ce qu’une organisation sans patron ? Il s’agit d’entreprises dans lesquelles les salariés ne rendent pas de comptes à leurs supérieurs au quotidien et peuvent au contraire choisir de manière autonome les projets et les personnes avec lesquelles ils travaillent. Maciej Workiewicz (ESSEC Business School) et Harsh Ketkar (Bocconi University) ont exploré les raisons de l'émergence de ce type d’entreprises. Nombre d’entre elles ont mis en place cette forme de travail à temps plein, comme Valve ou Morningstar, mais il existe également des entreprises qui permettent aux salariés de travailler à temps partiel sans supervision managériale, telles que Alphabet (anciennement Google) ou Preferred Networks, une entreprise japonaise spécialisée dans l’IA. Elles permettent aux salariés de consacrer une partie de leur temps à faire ce qu’ils veulent.

Pourquoi des organisations sans patron ?

Ce projet de recherche a été inspiré par une entreprise appelée GitHub. J’ai déjà rencontré cette entreprise lors de mes précédentes recherches : il s’agit d’un endroit où les entreprises et les particuliers peuvent stocker, gérer et partager du code informatique. Cette entreprise, actuellement détenue par Microsoft, fonctionnait comme une organisation sans patron. Au départ, les salariés pouvaient choisir le projet sur lequel ils voulaient travailler et tant qu’ils trouvaient un autre ingénieur prêt à les rejoindre, ils étaient libres de lancer ce projet et d’y travailler à plein temps. L’entreprise était très fière de cette approche, et elle a fait la publicité du modèle sans patron lors de nombreuses conférences, dans des articles de blog et des vidéos en ligne. Leur siège à San Francisco reflétait les valeurs de l’entreprise. L’entrée principale du bureau, où s’asseyaient les secrétaires, était calquée sur le bureau ovale de la Maison-Blanche. Le but était clairement de montrer aux visiteurs que la hiérarchie n’existait pas chez GitHub et que seule la méritocratie régnait. Cependant, l’entreprise a ensuite très brusquement modifié sa structure opérationnelle sous l’impulsion du nouveau PDG et est passée à une hiérarchie traditionnelle avec des chefs de projet et d’autres règles traditionnelles. Nous nous sommes alors demandé pourquoi cela s’était produit. Si le format était si génial et que rien n’avait vraiment changé de manière substantielle dans l’environnement de l’entreprise, pourquoi cette dernière a-t-elle décidé d’abandonner quelque chose qu’elle chérissait depuis longtemps ? Cette question est devenue la principale motivation pour explorer de manière plus formelle les limites potentielles des organisations sans chef et les raisons pour lesquelles il pourrait être difficile de passer à l’échelle supérieure.

Les défis des organisations sans patron

Nous nous sommes concentrés sur un mécanisme spécifique, à savoir la capacité d’une organisation à gérer la distribution de ses salariés, de ses talents, aux opportunités disponibles. Pour une distribution réussie, il faut faire au moins deux choses bien. Premièrement, quelqu’un doit évaluer aussi précisément que possible la valeur de chaque opportunité. L’entreprise gagnerait-elle de l’argent en l’exploitant ? Combien d'argent ? Deuxièmement, l’entreprise doit classer les opportunités disponibles de la meilleure à la pire et distribuer les ressources de manière à maximiser les bénéfices en exploitant d’abord les meilleures opportunités. Pour ce faire, les entreprises peuvent soit confier le droit d’affecter les salariés à un responsable qui identifie et évalue les opportunités et y affecte les salariés, soit confier ce pouvoir aux salariés eux-mêmes. Nous avons décidé d’examiner les conditions qui favorisent la première approche ou la seconde. Nous nous sommes concentrés sur une variable clé, à savoir la quantité de ressources que l’entreprise possède par rapport aux opportunités qu’elle peut saisir. Nous voulions en effet voir comment l’efficacité de chaque approche évolue à mesure que l’entreprise se développe et que les ressources disponibles se multiplient, ce qui est généralement le cas lorsque l’entreprise se développe après son succès initial. Ce que nous avons constaté dans notre analyse, c’est qu’au départ, lorsqu’une entreprise dispose de très peu de ressources par rapport aux opportunités qui s’offrent à elle, pensez à une startup prometteuse, l’approche sans patron est la meilleure. En d’autres termes, lorsque l’organisation compte très peu de salariés, il est préférable de leur donner le pouvoir d’initier et de développer de nouveaux produits et services. Cependant, lorsque l’organisation grandit et acquiert davantage de ressources, ou peut-être en raison de la maturité du secteur et de la diminution du nombre de nouvelles opportunités, la hiérarchie avec un manager traditionnel est plus performante.

Modélisation computationnelle : une approche innovante

Pour ce faire, nous avons utilisé un modèle computationnel qui nous a permis de modéliser une organisation avec ses salariés dans un laboratoire numérique. Il s’agit d’une méthode courante dans les situations où il est difficile de collecter des données qui rendent compte avec précision de la structure de l’organisation parmi les nombreuses tailles d’entreprises et environnements possibles. Dans la recherche sur le rôle du design organisationnel, c’est très souvent le cas. Les chercheurs s’efforcent de collecter suffisamment de données de haute qualité pour effectuer des analyses solides qui peuvent produire des résultats généralisables (largement applicables). Nous pouvons soit trouver des informations très détaillées sur une ou un petit nombre d’organisations qui sont prêtes à coopérer avec les chercheurs, soit trouver des informations sur de nombreuses organisations qui sont très générales et ne nous permettent pas de voir réellement à l’intérieur des organisations pour identifier leurs structures organisationnelles. Les modèles computationnels permettent aux chercheurs de combler cette lacune et d’examiner des mécanismes qui seraient autrement difficiles à identifier et à évaluer.

Ce qu’il faut retenir pour les managers

- Cet ouvrage alerte les managers sur l’importance de considérer l’équilibre entre les ressources disponibles et les opportunités offertes comme un facteur important pour déterminer la structure organisationnelle que l’entreprise doit mettre en place.

- Il montre également l’importance d’évaluer constamment l’adéquation entre la structure organisationnelle et l’environnement dans lequel l’organisation opère, y compris le nombre de ressources dont elle dispose. L’approche qui peut fonctionner au début de l’histoire d’une entreprise peut être à l’origine de son échec par la suite.

- Nous avons également examiné plusieurs politiques populaires que les entreprises mettent en œuvre pour gérer l’allocation des ressources. Nous avons examiné une politique qui permet aux salariés d’abandonner un projet en cours et d’en rejoindre un nouveau projet, l’imposition d’un seuil de profit minimum au projet, l’exigence d’un nombre minimum de salariés qui doivent soutenir une proposition de projet, l’octroi à un gestionnaire d’un droit de veto sur les projets proposés par les salariés, et l’octroi aux gestionnaires d’incitations supplémentaires pour évaluer soigneusement les projets. Nous avons constaté que l’efficacité de ces politiques dépend de l’équilibre entre les ressources et les opportunités disponibles. Encore une fois, l’équilibre entre les ressources et les opportunités est essentiel.

L’entreprise sans patron est-elle l’avenir ? Que réserve l’avenir aux entreprises sans patron ?

Les mécanismes que nous avons identifiés ne sont pas les seuls à jouer un rôle dans le bon fonctionnement d’une entreprise, il est donc difficile de donner une réponse définitive. Cependant, ces résultats suggèrent qu’avec l’importance croissante du savoir, de nombreuses organisations devraient envisager de mettre en œuvre cette formule, au moins dans les parties de l’organisation où de nombreuses possibilités prometteuses existent et où il n’y a que peu de ressources pour les exploiter. D’autres recherches sur lesquelles je travaille actuellement suggèrent que les organisations pourraient voir une utilisation accrue à l’avenir avec la prolifération du travail à distance. Nous verrons probablement des organisations plus plates et moins hiérarchisées dans les entreprises à l’avenir, et c’est un domaine de recherche très prometteur.

Référence

Ketkar, H., & Workiewicz, M. (2021). Power to the people: The benefits and limits of employee self‐selection in organizations. Strategic Management Journal

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