Les PDG sont souvent confrontés au défi de la répartition interne du budget en négociant avec les responsables de division. En fin de compte, les relations personnelles entre les cadres supérieurs et le PDG peuvent jouer un rôle important dans ce type de prise de décision.
Dans une grande entreprise qui compte plusieurs divisions, le PDG est souvent amené à décider le montant des ressources allouées, afin de maximiser la valeur créée par toute l’entreprise. Cette décision ressemble à celles que les investisseurs font sur les actions à acheter en bourse. C’est pourquoi ce type d’organisation dans une grande entreprise porte souvent le nom de « marché de capitaux interne ». En théorie, le PDG prend ses décisions sur une base purement rationnelle en utilisant les informations disponibles. Or, en réalité, il ne peut pas connaître tout ce qui se passe dans toutes les divisions, si bien qu’il décide du budget alloué après avoir négocié avec les responsables de division. Cela signifie que les relations entre les cadres supérieurs et le PDG influencent les décisions internes d’allocation.
Nous avons souhaité étudier la question suivante : quel effet sur les décisions d’investissement ont les points communs entre le PDG et les cadres supérieurs ? Par exemple, nous nous sommes demandé ce qui se passait s’ils avaient fait la même carrière ou les mêmes études, s’ils étaient d’âge semblable, ou s’ils avaient fait une carrière similaire dans l’entreprise.
Notre hypothèse était que plus le PDG et les cadres avaient de points communs, plus ils étaient susceptibles de partager la même vision, d’interpréter les informations de la même manière, de les échanger et d’appartenir au même réseau de « copinage ». Par conséquent, ils auraient plus confiance les uns dans les autres, ce qui placerait les cadres supérieurs dans une meilleure position pour faire pression sur le PDG dans le but d’obtenir un budget plus important.
Afin de vérifier notre idée sur ces liens informels, nous avons forgé deux hypothèses : « l’hypothèse de la confiance » et « l’hypothèse de la négociation ».
L’hypothèse de la confiance suggère que les divisions dont le responsable a des liens forts avec le PDG recevront plus de ressources. Dans cette situation, quand les cadres supérieurs et le PGD se font confiance mutuellement, les cadres sont confiants et savent que le PDG distribuera les ressources équitablement. Les responsables de divisions les plus productives ou les plus « méritantes » ne se sentent pas obligés de recourir à des manœuvres en sous-main pour arracher leurs ressources aux divisions moins productives et « non méritantes ».
Par conséquent, quand les responsables des divisions « méritantes » ont des liens forts avec le PDG, nous nous attendons à ce qu’il y ait une allocation optimale des ressources, ce qui créera par conséquent de la valeur pour l’entreprise. Quand les responsables des divisions « non méritantes » ont des liens forts avec le PDG, l’allocation des ressources sera sous-optimale, et par conséquent la création de valeur sera entravée.
L’hypothèse de la négociation est basée sur l’idée que le PDG alloue le budget de manière à décourager les responsables de division de chercher à avoir une rente de situation –cette expression signifie manipuler son entourage afin de s’assurer un avantage économique, par exemple en restreignant l’adhésion à une association professionnelle. En revanche, une rente de situation ne peut que sécuriser davantage une ressource limitée sans créer de nouvelle valeur ou de nouvelles richesses.
Dans notre cas, la recherche d’une rente de situation passe par le fait que les responsables de division font trop d’efforts pour soutirer au PDG des financements au lieu de faire du « bon travail » qui crée de la valeur pour l’entreprise. Les divisions « non méritantes » reçoivent trop d’allocations, car il est plus rentable pour leur responsable de se concentrer sur la recherche d’une rente de situation que de chercher à améliorer les performances. Dans ce cas, les liens informels augmentent le pouvoir de négociation des cadres supérieurs avec le PDG, ce qui favorise les rentes de situation. Si bien que si les liens personnels apportent plus de ressources à une division, ils détruisent de la valeur pour l’entreprise car ils permettent -ou encouragent- à un responsable de division de rechercher une rente de situation.
Nous avons vérifié notre hypothèse entre 1996 et 2004 sur un vaste échantillon d’entreprises américaines comportant plusieurs divisions. Nous avons recueilli des informations détaillées sur l’âge, la formation et la carrière des cadres supérieurs pour créer un « index des liens » qui reflète la proximité entre tel responsable de division et le PDG. Par exemple, si le responsable de division et le PDG avaient intégré l’entreprise au cours de la même période (étalée sur deux ans), avaient quatre ans ou moins d’écart d’âge, avaient obtenu leur poste actuel dans un cadre de deux ans et avaient la même carrière ou la même formation, alors ils étaient considérés dans notre modèle comme « en lien ».
Nous avons dû infirmer l’hypothèse selon laquelle les PDG choisissaient de nommer des cadres supérieurs avec lesquels ils étaient liés à la tête des divisions « méritantes », c’est-à-dire que le lien dépendait des performances, plutôt que l’inverse. Pour ce faire, nous avons observé les conditions météorologiques habituelles relevées dans les endroits où ces divisions étaient situées. Notre hypothèse était que les PDG ont tendance à favoriser les personnes avec qui ils sont liés en les nommant à des postes situés dans endroits où il fait bon vivre, toutes choses étant égales par ailleurs. Nous avons découvert une forte corrélation entre la qualité de vie et les liens personnels, ce qui confirme que les performances ne sont pas le facteur-clé pour la nomination de cadres supérieurs.
Nos résultats ont également démontré que les responsables de division en lien avec le PDG reçoivent effectivement plus de ressources, même si leur division a été à court de liquidités pendant quelque temps. Également, quand les responsables des divisions « méritantes » ont des liens forts avec le PDG, les divisions « non méritantes » reçoivent souvent moins de ressources, ce qui conforte notre « hypothèse de la confiance ».
Nous avons également mesuré la différence entre les divisions « méritantes » et celles « non méritantes » au niveau des liens entre le responsable et le PDG. Nous avons découvert que plus la différence était grande, moins l’entreprise était estimée, surtout si l’entreprise dans son ensemble avait des activités très diversifiées. Cette conclusion va dans le sens de celles d’autres chercheurs, mais nous proposons une interprétation différente : les points communs entre les responsables de division et le PDG ont une influence importante sur la répartition du capital dans les entreprises.
Nos recherches apportent une nouvelle preuve que les points communs entre les PDG et les responsables de division favorisent la confiance réciproque. Elles permettent aussi de mieux comprendre les marchés de capitaux internes ainsi que de la théorie de la firme (c’est-à-dire les hypothèses des économistes sur les raisons de l’existence des entreprises et leur fonctionnement). Nos recherches contribuent aussi aux nouvelles théories sur le rôle de l’influence et de la confiance dans les décisions économiques.
« The Role of Commonality Between CEO and Divisional Managers in Internal Capital Markets », publié dansJournal of Financial and Quantitative Analytics.