Contenir les risques sans étouffer le marché

Contenir les risques sans étouffer le marché

Laurence Lescourret et Andras Fulop ont reçu le « Best Paper Award on Derivatives » (parrainé par le IFSID, Montreal Institute of Structured Finance and Derivatives), au cours de la réunion annuelle de la Northern Finance Association, pour leur article «Transparency Regime Initiatives and Liquidity in the CDS Market ».

Avant la création des CDS (Credit Default Swaps), les banques faisaient face à un enjeu majeur de gestion des risques : alors qu'elles prêtaient des dizaines de milliards de dollars aux sociétés, elles n’avaient aucun moyen de compenser le risque de défaut sur ces prêts, et devaient de fait conserver d’énormes quantités de capitaux en réserve. En 1994, JP Morgan développa un produit destiné à protéger les banques contre le défaut des emprunteurs privés. Les capitaux de réserve, bouée de sauvetage des banques, pouvaient alors être libérés sur les marchés financiers.

Les CDS se présentaient comme des contrats d'assurance pour le banquier : qui achète des CDS (l'assuré) paye des frais à qui vend les CDS (l'assureur) et en retour, est indemnisé en cas de défaut de paiement. Cependant, les CDS sont différents de simples polices d'assurance de deux façons essentielles :

  • Premièrement, les acheteurs de CDS n’ont pas nécessairement un intérêt financier dans l'entité de référence – Pour mieux comprendre, acheter un CDS revient presque à assurer la voiture de son voisin et être payé si celui-ci a eu un accident.
  • Deuxièmement, les CDS étaient (jusqu'à récemment) très peu réglementés et exempts de supervision. Ils représentaient alors le cas typique d’instrument dérivé de gré à gré opaque.

Ces deux caractéristiques ont rapidement rendu très populaires les CDS auprès des investisseurs, en tant que moyen facile de maintenir un rendement stable avec un risque minimal. Mais, à certains égards, le marché des CDS a été victime de sa popularité : à son apogée - le marché a atteint 58 trillions de dollars en 2007 - les traders utilisaient les CDS pour spéculer sur la performance future de différents prêts hypothécaires, y compris les plus risqués : les subprimes.

La bulle spéculative s’est soldée de façon catastrophique : AIG s’est fait prendre la main dans le sac, avec plus de 440 milliards de dollars de sa dette en contrats CDS, dont plus de 57 milliards $ sur les prêts hypothécaires subprimes, l’emmenant au bord de la faillite. Devant l’opacité du marché des CDS, il était impossible de prévoir les conséquences qu’un défaut de AIG aurait sur le système financier. Le gouvernement américain n’avait d'autre choix que de renflouer l’institution financière avec la somme astronomique de 85 milliards de dollars.

Redonner confiance aux investisseurs

La crise financière mondiale de 2008 a ébranlé les fondements du système financier. Dans les semaines qui ont suivi le plan de sauvetage de AIG et la faillite de Lehman Brothers, le marché a connu une période de ralentissement due entre autre à un manque de transparence autour des détenteurs effectifs des CDS. Par une tentative pour améliorer la viabilité du marché et de rétablir la confiance des investisseurs, des changements importants survinrent par la suite sur le marché des CDS à la fin de 2008 et en 2009 :

  • Premièrement, le 31 Octobre 2008, la Depository Trust & Clearing Corporation (DTCC), qui prend en charge le traitement post-marché des contrats de gré à gré sur produits dérivés, a décidé unilatéralement de mettre à disposition du public et du régulateur des données agrégées post-échange par la création du Trade Information Warehouse. La diffusion de ces données était une première étape pour rassurer les marchés quant à l’absence complète de transparence.
  • Deuxièmement, en 2009, le commerce des CDS a considérablement changé avec la mise en œuvre du « Big Bang » aux États-Unis, et du « Small Bang » en Europe. Ils avaient pour objectif d’apporter de nouveaux protocoles et de nouvelles conventions commerciales pour améliorer la standardisation des contrats CDS en vue de régler définitivement le problème de la transparence, de faciliter les comparaisons de prix entre tous les contrats de CDS, et de faciliter la gestion des stocks en cas d'un dénouement de positions.

La question cruciale restait de savoir comment le marché des CDS allait s’accommoder de ces mesures de transparence ?

Dans le passé, des changements similaires avaient été effectués sur le marché obligataire. Les coûts de transaction avaient diminué, notamment pour les petits investisseurs (dont les investisseurs particuliers), tandis que la concurrence des prix entre distributeurs avait augmenté. Néanmoins, les courtiers en obligations sont devenus plus réticents à détenir des stocks importants de positions variées et ont commencé à plus s’intéresser aux obligations privées et aux autres instruments de crédit alternatifs comme les prêts bancaires syndiqués ou les CDS exempts de reporting public et de coût d’échange. Le gain de transparence a conduit à une réduction significative de l'activité de trading, en particulier pour les obligations les plus importantes en valeur.

On pourrait raisonnablement supposer qu'une plus grande transparence sur le marché des CDS a donné des résultats semblables : davantage de concurrence, des coûts de transaction plus faibles, moins de dispersion des prix. Ceci dit, on en vient à relativiser cette comparaison, notamment car la valeur moyenne d’un CDS est beaucoup plus élevée que celle d’une obligation, avoisinant les 5 millions de dollars. Par ailleurs, les investisseurs particuliers ne sont pas autorisés à traiter sur ce marché, et les investisseurs institutionnels sophistiqués pourraient être plus réticents à échanger dans un environnement plus transparent.

L'impact de la mise en œuvre de la transparence sur les marchés opaques

Comprendre comment ces changements concernant la transparence post-échange pourraient remodeler le marché des CDS est d'une importance primordiale, notamment à cause du vif débat entourant leur rôle dans la crise financière depuis 2008.

Après le sauvetage de l’AIG et la faillite de Lehman Brothers, beaucoup craignaient le risque systémique dû aux positions risquées des banques propriétaires ou émettrices de CDS. La divulgation des informations post-échange par la DTCC mit d’abord un terme à la spéculation inutile sur la taille du marché des CDS. En effet, les données ont montré que le montant réel de l'exposition des CDS au risque systémique était plus faible que ce qu’il avait été envisagé en premier lieu.

Notre recherche étudie plus spécifiquement la façon dont la diffusion par DTCC des données post-échange ainsi que la mise en œuvre du Small Bang ont joué sur la liquidité des CDS. Le marché des CDS reste bien moins actif que celui des actions - les CDS les plus échangés ne dépassent pas une vingtaine de transaction par jour, tandis que la plupart des CDS ont moins d’une transaction par jour. Par conséquent, pour mesurer la liquidité dans ce marché très illiquide, nous avons développé un modèle de prix cotés tient compte de la plus faible activité du marché des CDS et fournit des estimations claires des coûts de transaction et de la volatilité. Utilisant les données de CreditMatch pour les 175 CDS européens les plus actifs, nous avons effectués deux analyses d’événements autour de la première parution des données agrégées de post-échange de DTCC et de l’implementation  du Small Bang.

Nos résultats montrent que, suite aux mesures de transparence sur les données post-échange à l’initiative de la DTCC, la liquidité s’améliore de manière significative pour les contrats de CDS dont l'entité de référence est une banque, et notamment une des 14 banques en charge de fournir de la liquidité au marché des CDS (donc vendeuses de protection). Les données publiées par DTCC ont contribué à réduire l’asymétrie d’infomation existant entre les banques et les investisseurs (demandeurs de liquidité) qui craignaient que ces dernières (les banques) représentent un  risque de contrepartie élevé. Cette réduction d’asymétrie d’information sur les CDS des vendeurs de protection et des entités liées s’est traduite par une meilleure liquidité à leur endroit.

En ce qui concerne la mise en œuvre du Small Bang, nous constatons que la liquidité est significativement meilleure après l'introduction des nouvelles conventions d’échange et des nouvelles définitions normalisées des contrats de CDS. En particulier, le Small Bang a rendu plus liquides des contrats illiquides. Dans l'ensemble, ces résultats fournissent des preuves préliminaires d'un impact positif d’une plus grande transparence sur la qualité du marché des CDS.

Nous montrons ainsi que les premières initiatives pour instaurer davantage de transparence ont un impact, certes encore faible, mais significatif. Par conséquent, nous pourrions nous attendre à ce que des changements réglementaires drastiques mis en place par EMIR en Europe ou par la Loi Dodd-Frank aux États-Unis auront un impact positif plus important sur la liquidité des contrats pour lesquels les données sont disponibles en temps réel.

Nos résultats, nous l'espérons, contribueront à éclaircir le débat en cours sur la transparence du le marché des CDS.

Article extrait du magazine:

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